Trois jours pendant lesquels le multilatéralisme s’est enfin intéressé au climat (timidement) edit
Le mois de juin aura été intense sur le plan diplomatique. Mais si on a beaucoup parlé de la Chine, de la Russie et de la coordination des plans de relance, qu’en est-il des enjeux climatiques ? Après les années Trump où le multilatéralisme a parlé à voix basse et a même été totalement muet s’agissant des enjeux climatiques, la liste des sujets à traiter a pu éclipser ces sujets. Pourtant, lors de ces trois jours qui ont vu se succéder un sommet du G7, un sommet de l’OTAN et un sommet UE-US, on a pu observer des avancées encourageantes : les diplomates des principales puissances et leurs chefs d’Etat et de gouvernement semblent se rendre compte qu’il est dangereux de se contenter de laisser aux COP le soin de régler la question climatique. Retour sur ces trois journées avec un œil vert.
12 juin : une (timide) prise de conscience. Il n’y a rien de moins littéraire qu’une déclaration des chefs d’état et de gouvernement du G7. Celle du sommet de Carbis Bay, en Cornouailles, le 13 juin dernier, n’échappe pas à la critique. Pourtant, les diplomates le savent, les plus grandes avancées se cachent souvent entre deux virgules. C’est précisément le cas avec une étape importante franchie avec ce communiqué, passée trop inaperçue : pour la première fois les pays du G7 reconnaissent le risque de « fuite de carbone[1] ». « Fuite de carbone » c’est-à-dire la perspective de voir les baisses d’émissions de gaz à effet de serre dans les régions les plus ambitieuses, être compensées par une hausse similaire à l’étranger. C’est typiquement le cas lorsqu’une région comme l’UE contraint les émissions de ses entreprises… mais importe ses produits les plus carbonés. Pour la première fois, donc, les pays du G7 reconnaissent que c’est un problème suffisamment important pour être mentionné. Cela est crucial car les fuites de carbone rendent les politiques climatiques nationales inefficaces sur le plan climatique et impopulaires politiquement dès lors qu’elles contribuent à la désindustrialisation massive et aux pertes d’emploi (quand bien même elles créent d’autres emplois par ailleurs). Cela signifie deux choses : d’une part que les pays du G7 ont à l’esprit une politique de transition bas-carbone suffisamment ambitieuse (et donc contraignante pour les entreprises) qu’ils anticipent des « fuites de carbone » et la nécessité de s’en préoccuper ; d’autre part la volonté de gérer cet enjeu de manière coordonnée - ou le constat de cette nécessité.
Certes, le chemin est encore long. Il ne s’agit que d’un communiqué du G7 et la discussion serait plus difficile si la présidence italienne souhaitait obtenir une phrase similaire au sommet des 30-31 octobre prochain, à Rome. En effet certaines économies en développement peuvent potentiellement profiter à plein, au moins à court terme, de ces fuites de carbone, même si un pays comme la Chine, qui se dote progressivement d’une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre, pourrait être confronté pour elle-même, dans les années à venir, au problème des fuites de carbone. Surtout les chefs d’Etat et de gouvernement n’ont pas déterminé de solution commune. Et si l’UE a annoncé mettre en place prochainement son propre mécanisme de lutte contre les fuites de carbone, les Etats-Unis, le Japon, le Canada et le Royaume-Uni restent flous sur leurs intentions.
Mais cela montre que la question climatique investit progressivement le multilatéralisme économique et commercial, en s’attaquant, certes timidement, à un problème économique très concret, qui est aussi un problème pour le climat, loin des engagements abstraits aux horizons lointains.
13 juin : si vis pacem, para climatis transitus[2]. Les médias ont avant tout retenu du sommet de l’OTAN du 13 juin 2021 à Bruxelles, les discussions des dirigeants sur la Chine. Pourtant, ce sommet a aussi été l’occasion de lancer les travaux « OTAN 2030 », qui devraient conduire à l’élaboration d’un « concept stratégique » en 2022, mettant à jour celui de 2010. Or, si ce dernier mentionnait à peine, en passant, la question des changements climatiques, cet enjeu pourrait prendre une place plus centrale dans l’agenda de l’OTAN dans les années à venir. Le communiqué du sommet du 13 juin mentionne le climat 14 fois et y consacre un paragraphe entier, alors que le mot était absent des communiqués précédent, en adoptant notamment la notion de « multiplicateur de menaces » et en annonçant l’adoption d’un plan d’action spécifique.
Là encore, l’avancée peut sembler bien maigre et les menaces pour la sécurité mondiale que pourraient représenter les changements climatiques passent encore largement sous le radar. Il s’agit pourtant de signaux important que le climat se fraye un chemin, au milieu des grandes questions multilatérales en matière de défense que sont le rapport à la Chine ou à la Russie, même s’il reste encore éclipsé par ces dernières. Cette prise de conscience est également porteuse d’espoir politiquement : si les menaces pour la sécurité nationale sont progressivement davantage mises en avant, c’est un argument supplémentaire en faveur des politiques bas-carbone, d’autant plus vis‑à‑vis de l’électorat de la droite conservatrice, globalement rétif à l’écologique politique mais préoccupée par les questions de sécurité.
14 juin : la lutte contre le changement climatique sera transatlantique ou ne sera pas. Cette affirmation peut être formulée sans trop de crainte. D’une part parce que l’UE et les Etats-Unis représentent près d’un quart des émissions mondiales (pour seulement 10 % de la population mondiale). D’autre part parce que les économies américaine et européennes, auxquelles il faudrait rajouter le Japon, l’Australie et le reste des pays dits développés, représentent une puissance économique, financière, technologique et, bien sûr, militaire qu’aucun autre pays, pas même la Chine, n’atteint dans le monde. Pour ces raisons l’UE et les US agissent pour tous les autres pays comme un modèle économique, une frontière technologique à atteindre, un niveau de consommation et d’accès aux services définissant l’horizon du confort matériel. Cela donne à la coopération transatlantique en matière de changements climatiques la responsabilité particulière de montrer que sont possibles une évolution des sociétés vers plus de sobriété, une énergie moins intensive en carbone et des modes de consommation et de transports adaptés à la transition.
Le sommet US-UE du 14 juin montre que l’UE et les US ont pris conscience de leur responsabilité mais ne savent pas comment s’en emparer. Ainsi, si on retrouve la mention des enjeux climatiques tout au long du communiqué, les engagements concrets en la matière sont pour ainsi dire absents, se contentant d’appeler à une COP26 « ambitieuse » sans dresser de stratégie commune pour y parvenir.
Ces trois jours de juin 2021 auront montré que le climat prend progressivement une place centrale dans les discussions multilatérales, qu’il s’agisse de l’économie, du commerce ou des enjeux de sécurité et de défense. Pourtant, ces avancées restent très timides. Surtout, il s’agit uniquement de discussions entre pays développés, qu’il sera difficile d’élargir aux pays en développement si on ne prend pas sérieusement en compte la double contrainte résumée dans l’expression « responsabilité commune mais différenciée » : i) les pays en développement et émergents représentent aujourd’hui plus de la moitié des émissions mondiales ; ii) leur moindre niveau de confort matériel et leur moindre responsabilité historique doit conduire à ce qu’ils ne soient pas soumis sans compensation exactement aux mêmes contraintes que les pays développés. Il reste à trouver les bonnes enceintes multilatérales pour cela.
Une des voies de sortie, que je proposais dans un précédent article, se situe dans la création d’un club des pays ambitieux, le Green 20, qui devrait, pour être crédible, rassembler à la fois les Etats‑Unis et des pays en développement ou émergents (comme le Mexique ou le Chili) que ce club ancrerait dans une transition bas-carbone ambitieuse tout en démultipliant leur force de frappe diplomatique.
[1] « Nous approuvons les conclusions du ministre du Commerce du G7 qui encourage la transition vers des chaînes d'approvisionnement durables, et reconnaissons le risque de fuite de carbone, et travaillerons en collaboration pour faire face à ce risque et aligner nos pratiques commerciales avec nos engagements dans le cadre de l'accord de Paris. »
[2] Si tu veux la paix, prépare la transition climatique
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