Comment rémunérer les dirigeants ? edit
Beaucoup de commentateurs considèrent que les modes de rémunération des dirigeants ont largement contribué à la crise financière, en les encourageant à prendre trop de risques et à gérer leur entreprise en vue d’un profit à court terme. Le président Obama a proposé de nouvelles règles pour les dirigeants d’entreprises ayant reçu des aides publiques. Mais des critiques se sont élevées, pointant la motivation d'abord politique de ces règles et surtout leur peu d’efficacité. Elles ciblent en effet le niveau de rémunération, plutôt que la structure de cette rémunération, dont l’impact économique est pourtant plus déterminant. Nous proposons ici une solution différente, qui réglerait une partie des problèmes structurels et s’appliquerait à toutes les entreprises.
Les modèles actuels posent principalement deux problèmes. Tout d’abord, les actions et stock options distribuées aux dirigeants peuvent généralement être vendues dans un délai assez court, ce qui permet à leurs détenteurs de réaliser un profit très tôt. Par exemple, Angelo Mozilo, l'ancien PDG de Countrywide Financial, a vendu pour 129 millions de dollars d’actions dans les douze mois qui ont précédé le début de la crise des subprime. Cela incite les dirigeants à privilégier une hausse du cours de leurs actions à court terme, au détriment de la création de valeur à long terme – par exemple en autorisant des emprunts risqués, en coupant les budgets d’investissements, ou en manipulant les gains – parce qu'ils peuvent liquider leurs actifs avant que les dégâts à long terme n’apparaissent. Il faudrait au contraire inciter les dirigeants à maximiser la valeur à long terme. C’est un premier principe.
Ensuite, les modes de rémunération actuels répondent mal à l’évolution des conditions économiques de l'entreprise. Si le cours du titre chute, les stock options perdent leur valeur et cela peut se révéler décourageant, au moment même où un effort particulier est requis du dirigeant. Ce problème se pose d’ailleurs aussi s’il ne possède que des actions et non des stock options. Considérons un PDG qui est payé 4 millions de dollars en argent comptant et 6 millions en actions. Si le prix des actions est divisé par deux, il ne gagne plus que 3 millions. L'effort à exercer pour augmenter la valeur de la firme de 1% n’augmente plus son revenu que de 30 000 dollars au lieu de 60 000 : sa motivation risque de décroître elle aussi. Pour que le système des incitations financières fonctionne mieux, on pourrait imaginer d’obliger le PDG à posséder plus d’actions après la baisse du cours de son entreprise. Dans une étude récente, nous avons montré que pour motiver un dirigeant et donc obtenir le meilleur résultat possible pour la valeur du titre, il faut que l'augmentation de la valeur de la firme (disons 10%) soit liée à une augmentation significative de sa rémunération (disons 6%). Dans l'exemple mentionné ci-dessus, on atteint ce résultat en s’assurant que, à tout instant, 60% du salaire du dirigeant est en actions. C’est ce que nous appelons « le principe de pourcentage constant ». La proportion appropriée variera selon les entreprises en fonction de leur cycle industriel, mais nous estimons que 60% fournit un bon repère pour l'entreprise moyenne (nous raisonnons ici dans un contexte américain où existe un actif marché des dirigeants, ce qui est moins vrai en Europe).
Ces deux principes peuvent être mis en œuvre en adoptant un modèle que nous appelons donnant un arrangement au cadre nous appelons l’“Incentive Account”, ce qu’on pourrait traduire en français par « compte d’incitation », et qui est fondé sur nos propres travaux (Edmans, Gabaix et Landier, “A Multiplicative Model of Optimal CEO Incentives in Market Equilibrium” à paraître dans la Review of Financial Studies)et de recherches menées avec Tomasz Sadzik de New York University et Yuliy Sannikov de Princeton. Le modèle du Compte d'incitation possède deux caractéristiques majeures : un rééquilibrage permanent pour satisfaire au principe de pourcentage constant et un investissement progressif afin de mieux prendre compte le long terme. Au début de chaque année, la rémunération du dirigeant est inscrite sur un compte auquel il n’a pas d’accès immédiat. Pour reprendre notre exemple, 60% du compte est investi en actions de l'entreprise et le reste est en argent comptant. À mesure que le temps passe et que le cours des titres de l’entreprise évolue, ce compte est rééquilibré mensuellement afin que 60% de sa valeur soit en permanence investi en actions de l’entreprise. Dans notre exemple, après la chute de moitié du cours du titre, le Compte d'incitation est de 7 millions de dollars, 4 millions en espèces et 3 millions en actions. Or le ratio d’actions étant de 60% il faut que le PDG en possède pour 4,2 millions de dollars ; 1,2 million de dollars en espèces sont donc utilisés pour acheter des actions. Cela satisfait « le principe de pourcentage constant » et contribue à garantir la motivation du dirigeant quand la valeur de la firme décline. On aura noté en outre que les actions supplémentaires vont de pair avec une réduction de la rémunération en espèce ; les actions ne sont pas données gratuitement. Cela peut contribuer à répondre au problème de l’inefficacité des stock options quand le cours chute. L’échec est sanctionné et devient un aiguillon pour le PDG.
Chaque mois, une fraction fixe du Compte d'incitation est payée au dirigeant. Mais même quand il quitte l’entreprise, il ne reçoit pas immédiatement la jouissance du Compte d'incitation, mais par versements réguliers, qui ne s’interrompent qu’après plusieurs années, à un moment où la plupart des manipulations ou des risques cachés auront été rendus publics et auront ainsi affecté le cours du titre et par conséquent la valeur du compte. Puisque le directeur voit ses gains liés aux performances de l'entreprise même après son départ, il est beaucoup moins enclin à manipuler les profits à court terme
Alors que le modèle du Compte d'incitation peut sembler assez éloigné des pratiques en vigueur, il peut être mis en œuvre dans le cadre de modes de rémunération standards, sans établir un compte spécial. Par exemple, pour chaque période, le conseil d’administration peut verser au PDG une partie de sa rémunération en différé, sur la base d’un mélange d’argent comptant et d’actions. Si la performance est mauvaise, pour la période suivante la rémunération différée est exclusivement payée en actions ; si la performance est bonne, elle est exclusivement payée en argent comptant.
Il faut noter que des versements progressifs ne sont pas sans coût. Le dirigeant supporte une plus grande part de risque économique, ce qui peut lui permettre d’exiger une rémunération plus importante. Mais pour les actionnaires les avantages de notre modèle sont beaucoup plus grands que ses coûts. Même si un contrat optimal amène le PDG à n’augmenter la valeur de la firme que de 1%, pour une entreprise valorisée à 10 milliards cela représente 100 millions, ce qui dépasse de très loin l’augmentation qu’il aura négociée pour le risque. Semblable à un investissement réalisé dans un système de management du risque, le Compte d'incitation a un faible coût, mais ses gains sont significatifs : des incitations plus vigoureuses et une gestion du risque mieux calculée.
De plus, pour une période donnée et pour un niveau d’incitation donné également, nous démontrons mathématiquement que les Comptes d'incitation sont toujours moins coûteux que les autres modes de rémunération (stock options, restricted stock, clawbacks, bonus-malus…).
Le Compte d'incitation est un cadre qui peut être amélioré par d’autres caractéristiques, comme du benchmarking pour mettre en regard les résultats du dirigeant et ceux de ses homologues sur le marché. Il pourrait ainsi s’appliquer à d’autres catégories, comme les commerciaux, et ainsi contribuer à éviter des problèmes comme ceux qui ont touché AIG. Dans ces cas, la rémunération ne devrait pas être liée au cours du titre de l'entreprise, mais au profit du département considéré, auquel il contribue plus directement.
Notre projet n’a pas besoin d’être imposé par les régulateurs – mais si les régulateurs souhaitent faire des prescriptions, les Comptes d'incitations peuvent être pris en considération. Même en l'absence de règlementation, les actionnaires peuvent trouver un réel avantage à mettre en pratique cette idée. Nous considérons qu’une réglementation, si elle devait advenir, devrait éviter les distorsions fiscales ou comptables qui favorisent telle ou telle forme de rémunération. Cela mettrait les différents modèles d’incitations sur un pied d'égalité, et les comptes d'incitations sont bien placer pour remporter le test du marché.
Une version anglaise de cet article est publiée sur le site de notre partenaire VoxEU.
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