Faut-il encourager la participation salariale ? edit
Le président Sarkozy prend toute idée qui lui paraît bonne pour l’occasion, quitte à en changer quand l’occasion change. La dernière dont il s’est saisi est la « règle des trois tiers ». Ecoutons-le, lors de son émission télévisée du 5 février : « Cela fait bien longtemps que je pense que la règle des trois tiers est une bonne règle. (...) Sur 100 de bénéfice, il devrait y en avoir 33 qui reviennent au salarié, 33 qui vont directement dans la poche de l'actionnaire et 33 qui servent à être réinvestis dans l'entreprise parce qu'une entreprise, cela doit investir pour continuer à être compétitif. » Sur le tiers pour les salariés, il y a du chemin à faire. Pour 2007, l’INSEE chiffre à 52% la part conservée par l'entreprise, 42% celle versée aux actionnaires et 6% celle distribuée aux salariés. Cette part n’est nullement stable. Elle était de 9% en 2006, ce qui ne doit pas étonner sachant que ni les formules d’intéressement ni celles de participation ne sont exactement assises sur le bénéfice net. Faut-il d’ailleurs qu’elles le soient ? C’est la première question à se poser.
Pour y répondre, on rend un petit hommage à la formule de participation mise en place par le Général de Gaulle en 1963. Elle a comme assiette, non pas le bénéfice net de l’entreprise, mais ce bénéfice une fois retranchée une rémunération « normale » du capital, fixée à 5%. Ceci porte un symbole très différent du « tiers » élyséen, uniquement fonction du bénéfice net. Dans le premier cas, le salarié reçoit une part du « surprofit » après rémunération normale du capital ; dans le second, il prend sa part du profit pour répondre, selon les mots du Président, à « la demande des salariés d'être associés aux bénéfices de l'entreprise dont ils ont contribué à créer la richesse ». Laisse-t-on entendre qu’à défaut ils n’auraient pas leur juste part de la richesse, et donc qu’ils sont spoliés à ne recevoir que du « salaire » comme rémunération ? Le Medef s’en indigne.
L’assiette gaulliste est ensuite multipliée par la part des salaires dans la valeur ajoutée pour éviter de trop défavoriser les salariés des entreprises à faible productivité du travail. Autrement, les salariés d’une raffinerie, à la productivité extrême, seraient très favorisés par rapport à ceux d’une entreprise de nettoyage industriel ; ou bien ceux d’une grande entreprise par rapport à une PME.
Au total, asseoir la participation sur le seul bénéfice net a le mérite de la simplicité, mais n’est pas très équitable, ni à l’égard de la rémunération du capital, ni au sein de la population salariée.
Deuxième question, faut-il accroître la part des salariés dans le profit ? Par la participation, le salarié reçoit leur rémunération non pas sous forme fixe, liée au temps de travail, mais selon un index qui dépend du profit de l’entreprise. Ce transfert peut accroître sa motivation au travail et sa productivité, par exemple en lui donnant un sentiment plus fort d’appartenance à l’entreprise. Mais en même temps que le profit, le risque de l’entreprise est transféré.
On va le vivre à l’occasion de la violente récession qui frappe nos économies. Beaucoup d’entreprises françaises ont versé en 2008 une participation qui dépassait un mois de salaire. Ce montant va très probablement passer à zéro si l’entreprise sort des pertes pendant le creux conjoncturel. Un mois de salaire en moins, cela fait une baisse de 1/13e, soit -8%. Mais comme la participation est chargée ni d’impôt sur le revenu ni quasiment de cotisations sociales, cela fait en net de l’ordre de -13% en baisse de revenu. C'est tout à fait significatif, y compris du point de vue de l’impact conjoncturel dans une période où il importe de soutenir la consommation.
Le salarié se charge ainsi (modestement bien sûr) d’un rôle d’assureur contre les aléas conjoncturels de l’entreprise. Il n’est pas étonnant d’ailleurs que la participation soit la plus élevée dans les pays où il est moins facile de licencier, disons la France ou l’Italie par rapport aux Etats-Unis. Ce dernier pays ne connaît pas ces formules collectives, même s’il a largement adopté des formules de rémunération variable, de type bonus. Là-bas, il est jugé plus sage de laisser les rémunérations variables pour les cadres et dirigeants de l’entreprise qui disposent d’un plus haut revenu et sont plus proches des décisions d’investissement. Ils sont mieux à même de prendre des risques d’entreprise. En retour, les salariés américains prennent leur part du risque conjoncturel à travers une flexibilité de l’emploi plus forte qu’en Europe. Ceci devrait persuader qu’il y a un « équilibre de risque » à ne pas dépasser pour les particuliers. Les conseillers de l’Elysée seraient bien avisés de ne pas trop étendre les formules participatives au moment où ils recherchent en parallèle à rendre plus flexible le marché du travail français.
Troisième question, la hausse de la part variable se fait-elle au détriment de la part fixe ? La réponse est plutôt oui. D’un côté, s’il y a incitation et hausse de la productivité, la richesse totale s’accroît. Mais de l’autre, le constat fait sur longue période est que la part des salaires dans la valeur ajoutée est approximativement constante, autour de 60-65%, ce qui est, selon les économistes, une caractéristique « en dur » du système productif.
Autrement dit, la participation ne déplace pas la part des salaires dans la valeur ajoutée ; elle s’accompagne d’une réduction de la part fixe. Sur cette base, il est vain de vouloir monter à long terme la part des salariés dans les profits des entreprises : cela se solderait à long terme, soit par une baisse de l’emploi, soit par une baisse de la part fixe et donc une hausse du risque assumé par les salariés, surtout les moins payés.
Quatrième question, pourquoi ce statut fiscal si particulier de la participation française ? Elle n’acquitte ni d’impôt ni quasiment de cotisations sociales. Cela peut surprendre puisqu’on a vu qu’il s’agissait d’un revenu salarial. A l’origine, cet avantage était la contrepartie d’une obligation d’immobiliser un certain nombre d’années les montants perçus, dans l’entreprise initialement, puis progressivement dans des fonds salariaux extérieurs au patrimoine de l’entreprise, souvent investis dans des actions de l’entreprise. Le motif était aussi de favoriser une épargne longue des salariés.
Mais le gouvernement a pris récemment diverses mesures tendant à permettre une libération immédiate des fonds de participation. Qu’il y prenne garde : à rendre « liquide » la participation, on la fait ressembler de plus en plus à un « bonus » assis sur les résultats de l’entreprise, et donc tout à fait justifiable d’une imposition standard. Certains députés de la majorité l’ont parfaitement compris et ont réclamé que la participation soit soumise dorénavant aux cotisations sociales.
Enfin, faut-il continuer à favoriser une épargne financière placée en actifs de l’entreprise dans laquelle on travaille. On y met déjà son capital humain. Pourquoi devrait-on y mettre en plus son capital financier ? Pourquoi de plus offrir cette subvention aux salariés des grandes entreprises (plutôt qu’à ceux des petites) ou des entreprises à forte productivité du travail (plutôt qu’à ceux des entreprises de main d’œuvre), alors qu’ils sont déjà favorisés par le salaire et les conditions de travail. En tout cas, faut-il pousser le mécanisme jusqu'à un tiers des profits !
Le président Sarkozy est capable de changer vite de conviction profonde : dans la loi sur le « partage de la valeur » qu’il a annoncé le 25 mars pour l’automne 2009, il a déjà oublié l’idée de partage du profit ; il parle de « partage de la valeur ajoutée », notion guère mieux fondée. À suivre.
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