La presse régionale se cherche un avenir edit
Au cours des cinq premiers mois de 2016, les recettes de publicité de la presse quotidienne régionale (PQR) ont baissé de 4,9%. Il ne s’agit malheureusement pas d’un accident de parcours. Depuis cinq ans la PQR perd chaque année environ 5% de ses recettes publicitaires et plus particulièrement les annonces classées qui faisaient sa fortune. Rien ne permet d’espérer que cette hémorragie va s’arrêter compte tenu des tendances de fond du marché publicitaire. L’évolution de la diffusion n’est guère plus favorable. Globalement la PQR perd 3% de lecteurs, c’est-à-dire environ 120 000 exemplaires chaque année depuis plus de dix ans. On assiste donc à un affaiblissement durable et dangereux d’une branche des médias qui fut extrêmement prospère pendant des décennies et joue un rôle essentiel dans la vie du pays.
Pour pallier cette chute des recettes, les journaux augmentent régulièrement leurs tarifs, ce qui fait fuir les abonnés habitués à des journaux bien meilleur marché que la presse nationale. Or cette masse d’abonnés qui représente, dans la plupart des titres, 70 ou 80% du lectorat a constitué depuis 1945 le socle de la stabilité de ces publications. Aujourd’hui la publicité ne représente plus qu’un tiers des revenus des journaux contre plus de 45% il y a dix ans. Et ce pourcentage va encore baisser au cours des prochaines années pour atteindre vraisemblablement moins de 30%.
Cette situation n’est évidemment pas propre à la France. Aux Etats-Unis, la presse régionale était extrêmement puissante puisque le pays ne compte que deux vrais quotidiens nationaux, le Wall Street Journal et USA Today. Elle dégageait des marges bénéficiaires impressionnantes, de l’ordre de 30% du chiffre d’affaires. Or, depuis dix ans, tout a changé et elle est plongée dans une tourmente sans fin. Ses recettes publicitaires sont parties chez les grands opérateurs du numérique comme Google et Facebook ainsi que les sites d’annonces gratuites. Parallèlement, la diffusion s’est effondrée et plus de 10 000 emplois de journalistes ont été supprimés depuis 2006. Du coup, la couverture de l’information locale devient de plus en plus limitée. On constate que les réunions des conseils municipaux ne sont plus couvertes dans de nombreux Etats, et même des assemblées d’Etat se réunissent parfois sans qu’aucun journaliste ne vienne y assister tant les effectifs des rédactions ont été réduits. Les centres d’observation de la presse outre-Atlantique, tels que le Nieman Lab, constatent que la presse régionale est le média qui a le plus souffert de la révolution numérique.
Il semble en effet que l’exploitation de services sur internet se révèle bien moins fructueuse que pour la presse nationale. Là encore, le parallèle entre les Etats-Unis et l’Europe est frappant. Outre Atlantique, les seuls quotidiens régionaux qui rassemblent un nombre important de visiteurs uniques et d’abonnés payants sont le New York Times et le Washington Post, deux journaux qui visent une audience nationale grâce à des rédactions de haut niveau et de nombreux correspondants à l’étranger. Les journaux vraiment locaux se heurtent à une relative indifférence du public qui refuse de payer pour des nouvelles locales auxquelles, manifestement, il n’accorde qu’une importance limitée.
On constate le même phénomène pour les pure players. Alors que des sites nationaux comme Politico, Vox, Huffington Post ou Buzzfeed recueillent des millions de visiteurs et espèrent trouver bientôt l’équilibre, les pure players locaux sont nombreux, on en compte plus d’une centaine mais ils vivotent, faute d’audience et de revenus. Beaucoup d’entre eux, pour survivre proposent des contenus sponsorisés par des marques locales, ce qui limite évidemment la qualité de l’information et donc leur crédibilité. D’autres font appel au mécénat ce qui ne leur garantit pas leur survie sur le long terme. Il n’est pas étonnant que les observateurs de la Columbia School of Journalism signalent la quasi disparition des enquêtes de fond sur les pouvoirs locaux, sauf dans quelques métropoles comme Chicago, Los Angeles, Boston ou New York.
En France, on n’en est pas encore là. Néanmoins, aucun quotidien régional n’a réussi à bâtir une activité numérique rentable. En termes d’audience, seul Ouest France, le plus grand quotidien régional, a réussi à se hisser à la neuvième place des sites d’information avec environ 10 millions de visiteurs uniques par mois. Tous les titres se heurtent au même problème : ils parviennent à accueillir sur leurs sites un nombre croissant de visiteurs mais le nombre d’abonnés payants reste très faible, quelques milliers par journal. Par ailleurs, la publicité numérique ne progresse pas car elle est de plus en plus monopolisée par Google et Facebook qui, en Europe comme en Amérique, collectent près de la moitié de ces recettes. De ce fait, on ne peut espérer que l’activité numérique compensera les pertes du papier dans un avenir prévisible. Quant aux pure players locaux, ils ont tous échoué, faute de ressources.
Les pistes à suivre pour sauver un média dont le rôle est essentiel pour le bon fonctionnement de la démocratie locale sont limitées. Un objectif souhaitable est le développement des services que la presse est capable de fournir grâce à son réseau très dense de correspondants locaux et qui, dans certains cas, peuvent prendre la forme de newsletters spécialisées et payantes.
Cependant la concurrence est sévère. Les horaires de cinéma sont déjà fournis par Allo Ciné, les informations sportives par les sites des clubs, la vie municipale est traitée par les sites de ville financés par le contribuable. Au surplus, Google et Solocal (Pages Jaunes) s’investissent de plus en plus sur ces marchés. Les quotidiens régionaux ne pourront pas échapper à des partenariats avec des géants comme Facebook dont la bienveillance est toute relative. En revanche, les techniques du marketing numérique, trop négligées jusqu’à présent, devraient permettre de recruter et de fidéliser des internautes, en s’appuyant sur la bonne image de la PQR qui rassemble encore vingt millions de lecteurs chaque jour. Sur ce point, un travail considérable reste à accomplir.
En tout cas, les difficultés économiques de la presse régionale aboutiront forcément à une concentration croissante. Il y a actuellement une demi-douzaine de groupes en France. Il est probable que dans dix ans, il n’y en aura plus que trois. Cette concentration, qui devra être acceptée par l’Autorité de la Concurrence, présentera de nombreux avantages. Elle facilitera la mise en place de synergies et donc des économies considérable pour le papier. En ce qui concerne le numérique, elle permettra le déploiement de moyens plus ambitieux en matière d’informatique et de prospection des usagers afin de proposer des sites plus complets et plus ergonomiques en termes de services et de négocier dans de meilleures conditions avec les réseaux sociaux.
Ces évolutions inéluctables ne doivent pas faire perdre de vue la finalité de la presse régionale aux yeux des citoyens, c’est-à-dire la capacité à rendre compte d’une manière complète et honnête d’une vie locale qui, elle aussi, se recentre autour des grandes métropoles et de leurs périphéries souvent négligées. L’outil du numérique devrait faciliter cette démarche mais la formule de sa monétisation reste à trouver.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)