Vaccins: combien ça coûte? edit

11 février 2010

Le gouvernement a-t-il trop dépensé pour sa campagne de vaccination contre la grippe A H1NI ? Jusqu’où faut-il pousser le principe de précaution en matière sanitaire ? Difficile de répondre de manière abrupte. Mais cette affaire aura eu le mérite de mettre en avant le coût de la mesure sanitaire, coût qui ne préoccupe guère une opinion publique soucieuse avant tout qu’on limite les risques auxquels elle est exposée. Comment procéder pour consacrer les deniers publics aux combats les plus efficaces ?

On a beaucoup glosé sur l’insuffisance des mesures de sécurité, la désinvolture des pouvoirs publics, qui a choqué lors de l’affaire du sang contaminé dans les années 80, et à nouveau lors de la canicule de l’été 2003. Qui se souvient en revanche des dépenses engendrées par la crise de la vache folle ? Environ 850 millions d'euros pour l’année 2003, soit approximativement le montant de la commande des vaccins de l’automne dernier.

On ne peut prévenir tous les risques (sanitaires, environnementaux, routiers, industriels, alimentaires...), en disposant de ressources budgétaires limitées. Un arbitrage politique est forcément rendu. Pour souligner le caractère drastique de ces choix, les économistes n’hésitent pas à parler de « meurtres statistiques ». Chaque jour, certains meurent parce qu’on investit trop dans telle politique sécuritaire au dépens de telle autre...

Mais comment procéder dans ce contexte tragique, émotionnel et en même temps fortement contraint, pour garder raison, et consacrer les deniers publics aux combats les plus efficaces ? Malgré les incertitudes, une comparaison systématique des coûts et bénéfices attendus des politiques envisagées peut permettre aux responsables de conserver un cap et dépassionner les débats.

Mais comment savoir si la réduction de risque justifie le coût ? Pour cela, il est naturel d’étudier les choix quotidiens des citoyens, qui révèlent leur consentement à payer pour la sécurité. J’achète une voiture puissante au design attractif, pas forcément un tank sécuritaire. Je refuse un travail dangereux, car la prime reçue ne compense pas le risque subi. J’achète certains produits (casques, crèmes solaires, extincteurs…), mais je voyage parfois sur une compagnie « low cost ». Même en situation d’incertitude scientifique, je ne privilégie pas toujours le maximum de précaution. J'utilise mon téléphone mobile malgré ma crainte des effets produits par les ondes électromagnétiques sur mon cerveau.

Nos choix privés révèlent ainsi quelle valeur nous attribuons à la réduction de risque. Nos choix sociétaux doivent refléter ces valeurs. Mais certains avancent que nos choix privés ne sont pas rationnels, et ne peuvent servir de base pour une politique publique. L’argument a de la force, mais il est paternaliste. Ai-je envie qu’un fonctionnaire ou un élu décide à ma place du niveau de risque qu’il juge bon pour moi sans tenir compte des risques que j’accepte ou refuse de prendre au quotidien ? Cet argument génère par ailleurs une contradiction : si je ne suis pas rationnel quand j’achète une voiture ou choisis un travail, pourquoi serais-je rationnel quand je vote ?

Au contraire, les multiples études sur les consentements à payer individuels pour la réduction de risque présentent de remarquables régularités. Par exemple, dans les pays développés, ces études indiquent que nous sommes prêts à payer collectivement quelques millions d’euros pour un sauver une vie statistique. Cela choquera certains, mais les agences de régulation américaines et européennes recommandent d’utiliser ces valeurs dans l’évaluation des politiques environnementales.

La France doit combler son retard dans l’évaluation des politiques publiques. Cela peut aider à rétablir la confiance dans l’intervention publique aujourd’hui soumise à une suspicion générale, accusée simultanément d’être influencée par les lobbies et motivée par des considérations électoralistes. Attention, ces évaluations ne sont qu’une aide à la décision, pas une règle de décision. Mais elles peuvent aider à organiser le débat sur des bases plus solides, laissant la possibilité à un tiers de critiquer les hypothèses retenues, et contester les résultats. Dans tous les cas, ces évaluations doivent être rendues publiques, accessibles aux citoyens sur internet.

Certains craignent que des évaluations basées sur l’analyse coût-bénéfice conduisent à privilégier la rigueur budgétaire, et donc l’abaissement des investissements dans la prévention. Pourtant, il n’y a pas de biais systématique. Le rapport Stern de 2007, qui préconisait une réduction massive des gaz à effet de serre, est une analyse coût-bénéfice de la politique climatique à l’échelle planétaire. La valeur statistique de la vie humaine, évoquée précédemment et souvent fixée à quelques millions d’euros, est en général bien supérieure aux valeurs couramment attribuées par les tribunaux et les assurances. Ainsi, en appliquant cette valeur basée sur l’étude des consentements à payer individuels, les instances publiques inciteraient en moyenne les acteurs à augmenter, et non pas à réduire, les dépenses de prévention des risques mortels dans nos sociétés.

La loi organique du 15 avril 2009 a rendu obligatoire l’étude d’impact de tout nouveau projet de loi. Cette loi est une occasion d’accéder à une plus grande maturité et transparence politique en France. Il y a plus de trente ans aux Etats-Unis, une loi similaire adoptée par l’administration Carter et renforcée par les administrations successives, a conduit à une évaluation plus systématique des coûts et bénéfices des politiques publiques américaines.

Espérons que cette nouvelle disposition légale conduira à terme à une meilleure organisation de l’expertise socio-économique française, et que cette expertise complètera efficacement les analyses de risque traditionnellement produites. Ces analyses de risque sont fondamentales mais, seules, elles ne fournissent qu’une information partielle. En effet, elles ne prennent pas en compte les coûts. D’autre part, les pratiques courantes en analyse de risque, comme celles qui consistent à introduire des « facteurs d’incertitude » ad hoc, conduisent souvent à donner une prime à la réduction des risques de précaution, sans savoir si ce biais est compatible avec les préférences des citoyens.

Pour lancer sa campagne de vaccination, le gouvernement français s’est appuyé sur les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé. Mais celle-ci recommande de compléter les analyses de risques par des évaluations des coûts des différentes politiques sanitaires envisageables Et si Roselyne Bachelot mettait en ligne les études précises qui ont motivé sa campagne de vaccination ?