Le retour de l’inflation : une menace sérieuse edit
Dans presque tous les pays du monde, les signaux d’une reprise de l’inflation se font plus alarmants. Au moins trois raisons conduisent à penser que la flambée inflationniste actuelle est potentiellement dangereuse.
1. Si l'inflation augmente aujourd’hui, et quelles qu’en soient les raisons, il est important d’éviter que cette hausse se traduise en augmentations de salaires. En effet, cela pousserait à la hausse les coûts des entreprises, ce qui finirait par engendrer de l’inflation plus tard. Un cercle vicieux, donc : une hausse aujourd'hui amènerait l’inflation à s’auto-alimenter. Un syndicaliste qui négocie des salaires pour les deux prochaines années raisonne sur la base de ses anticipations d'inflation dans cet horizon temporel. Supposons que le taux d’inflation soit aujourd'hui de 3%, au-dessus de l'objectif de 2% fixé par la banque centrale. Si le syndicaliste s'attend à ce que la banque centrale fasse tout pour faire revenir l'inflation à 2 % en temps raisonnable, sa demande sera modérée. En d’autres termes, si la banque centrale est crédible lorsqu’elle donne un objectif d'inflation de 2 %, elle est en mesure de bien orienter les anticipations d'inflation et elle induira ainsi une modération salariale qui contribuera à contenir l’inflation. C’est une leçon des décennies passées, que les banques centrales ont sans doute bien assimilée. La BCE a raison de ne pas baisser sa garde.
2. La forte hausse du prix des produits alimentaires et des matières premières est clairement l’un des facteurs qui alimentent les tensions inflationnistes actuelles. Pourquoi cette dangereuse euphorie dans les prix des matières premières? Il y a à cela au moins deux raisons, l’une structurelle et l’autre cyclique. La première, déjà ancienne, devrait durer et tient à l’excès de la demande de matières premières (fer, zinc, cuivre, aluminium, etc.) de la part des pays émergents. La seconde raison est liée à la politique monétaire actuelle. Des taux d’intérêts nominaux qui baissent (au moins aux États-Unis) et des attentes d'inflation qui montent produisent une forte poussée à la baisse des taux d’intérêt réels. De fait, aux États-Unis, les rendements réels des titres obligataires publics sont aujourd'hui négatifs. Or, des rendements réels négatifs rendent relativement plus attractif de détenir des titres de matières premières. Prenons un exemple, celui du cuivre. Si j'achète 100 kg de cuivre aujourd'hui, et que je peux les conserver sans dommage, demain je me trouverai avec exactement 100 kg de cuivre. Quel est le rendement réel de cet investissement ? Zéro ; mais c’est toujours mieux que le rendement réel négatif d'un investissement en bons du Trésor. Entre ceux-ci et le cuivre, donc, je préférerai le cuivre. Cela, évidemment, pousse le prix du cuivre à la hausse.
Plus la Fed insiste pour baisser ses taux d’intérêts nominaux, plus elle alimente l'euphorie du prix des matières premières. Et ce n’est pas tout. Si une inflation supérieure aujourd'hui pousse à la hausse les attentes d'inflation, cela pousse encore à la baisse les rendements réels, et augmente donc la demande des matières premières et donc leur prix. Cela se traduit donc en une hausse de l’inflation... On retrouve ici le même cercle vicieux : une poussée inflationniste aujourd'hui tend à s’auto-alimenter par le biais des attentes d’inflation. Voilà une autre raison pour rappeler les banques centrales à leurs obligations : un fort contrôle des anticipations d'inflation.
3. Parmi les innombrables commentaires et analyses sur les effets réels de la crise financière actuelle (et potentiellement de la crise du crédit), il semble y avoir un certain strabisme sur ses possibles conséquences inflationnistes. Une critique souvent entendue à l’encontre de la BCE dit ainsi en substance : pourquoi se préoccuper autant de l'inflation ? Si nous entrons dans une phase de récession, le ralentissement de l'économie contribuera naturellement à contenir les pressions inflationnistes ; occupons-nous donc plus plutôt de chercher, autant que possible, à soutenir une croissance européenne déjà modeste. En d’autres termes, le choc financier serait par nature déflationniste. On pourrait difficilement trouver un argument plus fallacieux, et ce pour deux raisons.
La première est connue : ne pas accepter un ralentissement de l'économie aujourd'hui pourrait conduire à des poussées inflationnistes d’autant plus fortes demain, avec à la clé un changement radical de la politique monétaire et de futures hausses des taux potentiellement très douloureuses.
Ce n’est pas tout. L'inflation courante dépend de deux déterminants : (i) les anticipations d’inflation ; (ii) l’écart entre le PIB réel et sa valeur potentielle, qu’on appelle dans le jargon des économistes l’output gap. Qu'est-ce que le revenu potentiel ? C’est le niveau de revenu qu’une économie est en mesure d’atteindre en cas de plein emploi des facteurs de production et/ou dans l'hypothèse que prix et salaires s’ajustent de manière efficace pour équilibrer les marchés. En somme, c’est le niveau de revenu vers lequel une économie tend, en moyenne, au terme d’une phase d’expansion ou de récession.
Mais ce niveau potentiel du revenu n'est pas immuable. Il dépend des changements structurels de l'économie et notamment du degré d’ouverture de ses marchés. Et voilà où je voulais en venir. On ne sait pas encore clairement si le type de chocs financiers et de crédit auxquels nous assistons aujourd’hui est en mesure de comprimer le niveau potentiel du revenu, que ce soit aux États-Unis ou en Europe. En d’autres termes, nous ne savons pas encore si ces chocs sont en mesure d'altérer le degré d'efficacité de nos marchés financiers. Si c’était le cas, nous serions donc confrontés à un choc de type inflationniste, et non pas déflationniste comme beaucoup voudraient le croire. Face à ce scénario, la réponse de politique monétaire devrait être d'augmenter les taux, et pas de les diminuer. Les gouvernements européens sont-ils prêts à une perspective comme celle-ci ?
En réalité il suffirait de repenser à la leçon des années 1970. La chute du revenu potentiel était alors due au ralentissement de la croissance de la productivité que les banques centrales eurent beaucoup de mal à repérer, du fait de mesures parfois complètement erronées du revenu potentiel, et donc des effets des variations de l'output gap sur l'inflation. Aujourd'hui, nous pourrions nous trouver de nouveau confrontés à un problème semblable – sans compter, comme à l’époque d’ailleurs, les effets d’un éventuel choc pétrolier. Raison de plus pour veiller de près sur l'inflation.
Une version italienne de cet article est publiée sur le site de notre partenaire La Voce
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)