UE : le nouveau jeu des petits pays edit
Les économies tchèque, suèdoise, slovaque et polonaise sont aujourd’hui dans une situation curieuse. Ces quatre pays connaissent un rétablissement spectaculaire avec des taux de croissance élevés, et les prévisions sont bonnes. La Suède vise maintenant une croissance annuelle de 4,5%. Le PIB de la Slovaquie a crû de 8,7% pour le seul deuxième trimestre. Si la République tchèque, la Slovaquie et la Suède ne sont pas encore pleinement rétablies, leur dynamisme est impressionnant, et dans le même temps l’inflation reste modérée. La principale préoccupation des dirigeants est le chômage. Mais la persistance de taux d’intérêts bas contribue à former des bulles dans certains secteurs. Plus largement, on peut s’interroger sur le sens des évolutions en cours et sur les stratégies des politiques.
Plans de relance et baisse des taux d’intérêts, les réponses européennes à la crise ont eu des conséquences inattendues dans les petits pays. En Suède et en Pologne, les prix des logements sont à leur plus haut niveau historique. Un appartement du centre de Stockholm vient d’être vendu pour 8 millions d’euros, ce qui constitue un record absolu dans le pays. En Suède, les emprunts immobiliers se négocient en général à moins de 2% d’intérêts annuels. On peut craindre un éclatement de la bulle quand les taux d'intérêt retrouveront leur niveau habituel, qui est presque trois fois supérieur. Il serait raisonnable d’agir avant que les prix ne s'élèvent trop. La Banque centrale suédoise, la Riksbank, vient de relever son taux de 0,25% à 0,5% par l'an, mais ce n’est pas suffisant.
Dans les quatre pays, une bulle touche le cours des actions dans le secteur bancaire, fort prisé des investisseurs depuis que les banques peuvent emprunter à un coût presque nul, car l’écart entre les intérêts qu’elles demandent et ceux qu’elles paient est supérieur à la normale. Cela les aide à se recapitaliser, mais on peut s’inquiéter du fait que les fonds qu’elles attirent obéissent à une logique de spéculation et non d’investissement. Là encore, le retour au réel pourrait être douloureux.
On peut repérer une troisième bulle dans le BTP : les projets d'infrastructure à grande échelle ont connu un boom grâce aux subventions publiques destinées à relancer l’économie, dont une bonne partie est d’origine européenne. Il faut savoir que pour répondre aux appels d’offre des mégaprojets européens, il n’y a que quatre concurrents potentiels : le suédois Skanska, l’autrichien Strabag, le français Vinci et l’allemand Hochtief. Sans qu’on puisse parler d’une entente, ces quatre géants forment un oligopole informel. Puisque tous quatre ont des contrats à ne plus savoir qu’en faire, l’un ou l’autre renoncent souvent à se porter candidat pour un projet, ne laissant au final que deux concurrents en lice. En République tchèque et en Slovaquie, les économistes ont dénoncé publiquement les coûts surdimensionnés de certains projets, comme le nouveau chemin de fer slovaque. Le secteur de la construction et des travaux publics en Europe centrale souffre ainsi ironiquement d’un manque de travailleurs, et pour mener à bien les mégaprojets d'infrastructures on en vient à recruter des ouvriers ukrainiens, ce qui pose la question de la pertinence des plans de relance adoptés.
Il est clair que de profonds changements structurels et régionaux sont en cours, comme c’est toujours le cas après une crise. Mais il n’est pas évident aujourd’hui de saisir le sens de ces changements, qui se compliquent encore avec le jeu des politiques.
Car là aussi la crise a changé la donne. À Bratislava, lors d’une réunion récente des ministres des Affaires étrangères du groupe de Visegrad (groupe informel réunissant la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Hongrie), les observateurs ont été surpris de la confiance nouvelle qui émanait des intervenants. Ils ne se plaignent plus aujourd’hui que personne ne les écoute à Bruxelles. Au contraire, ils parlent le langage du pouvoir. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi son pays avait refusé de participer au plan de sauvetage de la Grèce, le ministre des Affaires étrangères et ancien Premier ministre slovaque Mikulas Dzurinda a répondu calmement qu’étant donné ce que la majorité au pouvoir avait promis dans la campagne électorale, elle n’en avait pas le droit moral. Et rien n’indique que la Slovaquie modifie sa position. Les pays du groupe de Visegrad sont en plein essor. Il est bel et bien fini, le temps ou les dirigeants français et allemands pouvaient dîner ensemble et décider de questions vitales pour les 27 membres d'UE.
Que veulent les gouvernements ? S’ils ont en commun une tendance à affirmer plus nettement leur intérêt national, on peut noter des divergences dans les politiques suivies.
Fiscalement conservateurs, les gouvernements suédois, tchèque et slovaque ont comme première priorité de réduire leurs déficits budgétaires. En Suède le ministre des Finances Anders Borg vient d’annoncer que le gouvernement prévoyait un excédent budgétaire de 2% du PIB sur le cycle conjoncturel en cours. Les électeurs en sont clairement contents, tout comme ils sont satisfaits de voir le déficit budgétaire suédois n’atteindre aujourd’hui que 2% du PIB. Aucun gouvernement suédois n’a autant réduit les impôts et taillé dans les dépenses publiques.
La Pologne semble sur une ligne différente. Bien que son déficit budgétaire doive atteindre 7,5% de PIB cette année, le gouvernement polonais ne fait pratiquement rien pour limiter les dépenses, alors qu’il a augmenté la TVA de un point. La Pologne approche rapidement du chiffre de 55% de PIB qui constitue la limite supérieure, constitutionnelle et auto-imposée, de sa dette publique ; mais le gouvernement ne semble pas s’en inquiéter outre mesure.
Le débat économique a pris un virage stupéfiant en Pologne. Subitement, le tout-puissant Premier ministre Donald Tusk (centre droit) a commencé à chanter les vertus des « champions nationaux », recommandant la fusion de deux grands services de l'État (masquée en privatisation) et favorisant l'achat d'une banque privée par une grande banque publique – projet contrecarré par l’espagnol Santander qui a fait une offre plus élevée. L'un des problèmes de la Pologne est que ce pays compte encore plus d’un millier d’entreprises publiques, et que les interventions de l’État dans l’économie restent fréquentes. Dans une conférence récente, l’ancien ministre des Finances Leszek Balcerowicz a critiqué la pseudo-privatisation et les champions nationaux. Le ministre du Budget Alexander Grad l'a pris comme une attaque personnelle et il répondu avec une grande émotion, mais peu d’arguments. Étrangement, Tusk et son équipe semble suivre la voie des jumeaux Kaczynski auxquels ils se sont pourtant opposés.
La Pologne apparaissait pourtant jusqu’ici comme l’un des modèles de passage à l’économie de marché. Ainsi l’un des grands succès de la transformation économique polonaise, c’est sa bourse. Au début des années 1990, la bourse de Prague comptait 2000 entreprises cotées, issues des privatisations, mais peu d’échanges et guère de normes. La bourse de Varsovie a commencé plus prudemment, avec cinq introductions en bourse et des normes méticuleuses. Aujourd'hui, Prague n’a qu’une poignée d’entreprises cotées, alors que Varsovie en a plus de 500. Cette année, Varsovie a entrepris la plus grande introduction en bourse en Europe (une partie de la compagnie d’assurances publique PZU pour plus de deux millions d’euros) et elle a procédé à plus de 47 introductions en bourse, ce qui est davantage qu’aucun autre marché, y compris Londres. Les entreprises ukrainiennes préfèrent Varsovie à Londres ou Francfort pour leurs introductions en bourse – conduites à de meilleurs prix et obtenant plus de visibilité. Aucune bourse est-européenne ne connaît le succès de celle de Varsovie.
Le problème de la Pologne apparaît double. Tout d’abord elle a été relativement épargnée par la crise et n’en perçoit donc pas tous les enjeux. Ces dernières semaines, les journaux de Varsovie s’inquiétaient surtout de la croix érigée en mémoire du président Kaczynski : fallait-il la déplacer dans une chapelle voisine ? Cela rappelle quand les États-Unis pouvaient se payer le luxe de se passionner pour l'affaire Lewinsky. Ensuite, le Premier ministre Donald Tusk et son parti la Plateforme civique dominent à présent complètement la scène politique polonaise, comme Victor Orban et ses Jeunes Démocrates dominent la politique hongroise. Dans les deux pays, ce qui manque c’est une opposition crédible. Le Premier ministre peut exécuter n'importe quel caprice. Et avec le grand nombre d’entreprises publiques, Donald Tusk a cédé à la tentation de les contrôler au lieu de les privatiser. Il semble aujourd’hui abandonner ses anciennes positions libérales en faveur de réflexes étatistes. Est-ce une évolution durable ?
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