Russie : nouveau Premier ministre, nouveau Politburo edit

8 octobre 2007

En nommant Viktor Zoubkov au poste de Premier ministre, Vladimir Poutine a créé la surprise. 85 % des Russes n'avaient jamais entendu parler de lui, même si à l’âge de 66 ans il a eu largement le temps de se faire connaître. La Douma fédérale a approuvé sa nomination à une écrasante majorité. L’essentiel du débat a porté sur l’éventualité de le voir succéder à Poutine, mais puisque le Premier ministre est en Russie le premier décideur économique, on peut aussi se demander ce que sa nomination peut signifier pour l’économie du pays.

Même s’il garde un profil bas, sa biographie est connue. Sa réussite la plus remarquable est l’organisation de la coopérative Ozero, qui a permis à Poutine et à ses amis de se faire attribuer des datchas au début des années 1990. Il reçoit aujourd’hui sa récompense.

Il a aussi travaillé presque deux ans comme délégué de Poutine en charge des relations économiques avec l’étranger, à la mairie de Saint-Petersbourg. Un bureau notoirement corrompu dans une mairie terriblement corrompue, comme l’a montré faits à l’appui Marina Salye, une députée pétersbourgeoise qui a, depuis, disparu. C’est sans doute à ce moment, peut-être un peu plus tôt, que Zoubkov a rencontré toutes les figures secrètes qui entourent Poutine aujourd’hui, et notamment Igor Sechine et Viktor Ivanov, du KGB. En se tournant vers Zoubkov, Poutine a encore réduit sa base.

Il est vrai que rien, dans le curriculum vitae de Zoubkov, ne permet d’affirmer qu'il ait travaillé directement pour le KGB. On sait en revanche que depuis la fin 1993 il a été en poste dans deux institutions dont la réputation est pour le moins douteuse : le Service fédéral des impôts et le Service fédéral de contrôle financier, que l’on appelle à Moscou « l'intelligence financière ». Si Zoubkov n'a guère contribué à la modernisation de la Russie, il a en revanche pu constituer de beaux dossiers sur les transactions internationales de certains de ses concitoyens. Pour autant, il ne s’est distingué pour son zèle à faire le ménage dans ces affaires. Cette tâche est revenue à Andrei Kozlov, premier vice-président de la Banque centrale, aujourd’hui décédé. Le quotidien Vedomosti note que les exemple les mieux documentés des activités professionnelles de Zoubkov sont la mise au pas de la banque Guta, qui a vu la fin et le rachat rapide de cette entreprise par VTB, et celle, complètement injustifié semble-t-il, de la banque Alfa.

En tant que directeur du Service fédéral de contrôle financier, Zoubkov a rencontré beaucoup de gens, et il est frappant de constater que la plupart ont la même image de lui. Zoubkov est un partisan loyal de Poutine, avec qui il est à tu et à toi. C’est un officiel soviétique à l’ancienne, qui a fait une carrière au parti plutôt qu’au KGB, et dont la vision du monde est restée communiste. Un parfait représentant de cette cynique et paresseuse période Brejnev, qui n’a guère marqué l’histoire politique russe.

Zoubkov appartient au groupe Sechine – Viktor Ivanov. Mais il pourrait former un groupe indépendant avec son gendre, un marchand de meubles promu ministre de la Défense sur la base d’on ne sait quels mérites. Il semble à la fois austère et prudent, pas le genre à se faire des ennemis personnels. Même s’il a navigué dans des cercles massivement corrompus, Zoubkov n’est pas connu pour s’être enrichi personnellement, même si, dans cette société corrompue et autoritaire, il faut se garder de prendre sa réputation pour argent comptant.

Passons au nouveau gouvernement, nommé lui aussi par le tout-puissant Poutine. Le précédent s’était distingué par son inactivité, et seuls trois changements ont eu lieu pour former le nouveau.

Le seul vrai réformateur de l’ancien gouvernement, le ministre du Développement économique et du Commerce German Gref, est remercié. Il est remplacé par sa directrice de cabinet, Elvira Nabiullina. Elle a une excellente réputation, mais un grave défaut : elle est douce et polie, alors que Gref est un combattant féroce. On peut gager qu’elle perdra toutes les batailles engagées par son mentor.

Mikhail Zourabov avait quant à lui une réputation exécrable comme ministre de la Santé et du Développement social, et le plus choquant est que Poutine l’ait nommé à ce poste. Le secteur social est le plus négligé et le plus dégradé dans la Russie d’aujourd'hui. Au lieu de trouver un remplaçant sérieux à Zourabov, Poutine a choisi l’épouse de Viktor Khristenko, le ministre de l’Industrie et de l’Energie.

Zoubkov et son gendre, Serdioukov, ont fait une vraie comédie quand Serdioukov a démissionné de son poste de ministre de la Défense, arguant de sa relation avec le nouveau Premier ministre. Mais ces étonnants scrupules ont disparu en une semaine. La Russie de Poutine est devenue un pays de clans et de familles, comme l’a montré récemment la revue Vlast. Jeunes gens, pensez à ce que deviendront les filles du président quand elles auront grandi !

Poutine a enfin donné congé à sa vieille Némésis, Vladimir Yakovlev, l'ancien gouverneur de Saint-Pétersbourg, dont la longévité gouvernementale injustifiée avait fini par susciter des doutes qui menaçaient de toucher le président. L’arrivée de Dmitry Kozak, l’ancien conseiller juridique de Poutine, est une bonne nouvelle pour le gouvernement, même si la réforme judiciaire qu'il avait conçue a été mise à mal par l'affaire Yukos.

Lors des présidentielles de 2004, Poutine avait procédé au remaniement avant l'élection, ce qui montrait bien au peuple russe qu’on ne tiendrait pas compte du scrutin. On peut présumer qu’il en ira de même cette fois-ci. Poutine envoie un signal : le nouveau gouvernement ne fera rien de plus que le précédent. Franchement, c’est le message le plus positif que nous pouvions espérer.

Un changement majeur, pendant le deuxième mandat de Poutine, c’est que le pouvoir réel s'est déplacé du gouvernement, des gouverneurs et du Parlement au nouveau « Politburo », comme on appelle – avec quel à-propos ! – le sommet de l'administration présidentielle. Rien, dans la formation du nouveau gouvernement, ne suggère une inversion de cette malheureuse tendance.

Même si Zoubkov s’est peu exprimé jusqu’ici, sa ligne politique future apparaît parfaitement claire. Il y a un élément positif important : le ministre des Finances Alexei Koudrine reste en place, et il a été même promu au vice-Premier ministre. Koudrine est aujourd’hui la meilleure garantie de stabilité et de la bonne santé macroéconomique du pays. En revanche, l'expulsion de Gref, seul avocat de l’adhésion de la Russie à l’OMC, signifie qu’il est très peu probable de voir Moscou rejoigne cette organisation avant longtemps, tant que Poutine et Zoubkov seront aux commandes et que les prix du pétrole resteront hauts.

Le discours d’investiture de Zoubkov à la Douma a traité la politique industrielle dans une veine très communiste. Il a notamment évoqué la construction du complexe militaro-industriel, l’aéronautique et la construction navale. Si rien ne change, il va selon toute probabilité creuser la tombe industrielle de la Russie. Tout aussi dommageable, la campagne de renationalisation devrait elle aussi continuer.

Zoubkov se propose d’étendre le soutien et le contrôle étatiques sur pratiquement tout, y compris le paysage. C’était prévisible, étant donné sa formation et son expérience de directeur de sovkhoze : il sait très bien comment gaspiller les ressources de l'Etat. Mais est-cela vraiment de cela qu’a besoin la Russie moderne?

Le Premier ministre a enfin évoqué la nécessité d’une loi anti-corruption, mais sa déclaration était extrêmement vague. Comment pourrait-il en être autrement ? S'il était vraiment sérieux sur ce sujet, il n'aurait pas accepté de renouveler le bail des pires copains de Poutine dans son gouvernement.

 

Note. Anders Aslund vient de publier How Capitalism Was Built: The Transformation of Central and Eastern Europe, Russia, and Central Asia (Cambridge University Press). En novembre paraîtra Russia's Capitalist Revolution (the Peterson Institute).