Fiscalité des entreprises : sortir de la complexité edit
Tous les Etats cherchent à taxer les profits des entreprises, mais ils sont alors confrontés à deux problèmes au moins.
Le sens commun nous dit qu’ils doivent rivaliser les uns avec les autres pour attirer les précieux investissements des multinationales, et que cette concurrence doit inévitablement amener les taux d’imposition à baisser. Jusqu’à se rapprocher de zéro ? Les données dont nous disposons ne permettent pas de l’affirmer, car depuis une dizaine d’années les revenus de l’impôt sur les sociétés se sont plutôt bien comportés. Les annonces de sa disparition sont donc pour le moins prématurées.
Mais les Etats doivent faire face à un problème assez différent : où sont les profits ? Il n’était pas très difficile de répondre à cette question avant la mondialisation de nos économies – et elle peut toujours paraître assez facile pour beaucoup d’entreprises. Mais elle est pour le moins épineuse dans le cas des grandes entreprises multinationales, celles-là mêmes qui paient l’essentiel de cet impôt.
Prenons par exemple une compagnie que nous appellerons ABC. Sa maison mère est officiellement située au Royaume-Uni, mais elle a des actionnaires partout en Europe et dans le monde. Ses activités de recherche et développement sont localisées en Allemagne et en Espagne, elle lève des fonds au Luxembourg, en Suisse et aux Etats-Unis, sa production est réalisée en France, en Grèce et en Chine, elle vend de l’assurance en ligne depuis un serveur de Hong-Kong et elle a des clients dans 37 pays du monde. L'an dernier, elle a fait 500 millions d’euros de profits. Combien en a-t-elle en France ?
Le système fiscal international a développé des règles de plus en plus complexes pour essayer de répondre à ces questions. Ces règles sont fondées sur une structure datant du début du siècle dernier, à une époque où les activités internationales étaient encore assez rares. Le principe fondamental – pour autant qu'il y en ait un – est que le profit est prélevé là où la valeur d'un bien ou d'un service est créée. Ainsi par exemple, l'usine ABC en France paierait à l’Etat français un impôt sur le profit réalisé en France. Ce qui nous ramène à la question : quel profit est réalisé en France ?
Première difficulté : l'usine française achète des marchandises et des services aux filiales non françaises de la même entreprise. Les règles internationales exigent que le commerce entre des filiales du même groupe se fasse au prix de marché, celui qui serait pratiqué si les deux filiales n’avaient aucun lien. Mais en réalité, les marchandises et les services échangés sont propres à ABC : il n’y a pas de prix de marché.
Mais il y a quelque chose de plus fondamental ici : en principe, il ne peut y avoir aucun prix qui ne puisse être justifié. Supposons que les laboratoires de R&D contribuent de manière essentielle aux profits d’ABC. Si c’est là que les profits sont réalisés, alors le laboratoire doit être rémunéré en interne par des royalties de la part des autres entités d’ABC, de manière à ce que le profit soit bien localisé dans ce laboratoire. Mais comment fait-on si chacun des deux laboratoires de R&D a créé un élément essentiel pour la production ? On n’a tout simplement aucun moyen de répartir le profit entre l'Allemagne et l'Espagne.
Ce n'est qu’un exemple ; il y en a d’autres. Par exemple, pourquoi l’impôt ne dépend-il pas du lieu où le bien ou le service sont vendus ? Après tout, le consommateur est un élément essentiel dans la création de valeur : sans lui il n'y aurait aucun profit. Et pourquoi l’impôt ne dépendrait-il pas du lieu où vivent les actionnaires ? Après tout, ce sont eux qui possèdent l’entreprise ayant réalisé le profit.
Le problème est simple : il n'y a aucune base conceptuelle, aucune raison de principe, pour nous dire où le profit est vraiment créé. Ce que nous avons, c’est un ensemble de règles internationales impénétrables, complexes et arbitraires qui sont fondées sur des accords et des compromis historiques, mais ne peuvent être défendues sur une question de principe.
Ce qui est plus ennuyeux, c’est que ces règles sont si compliquées que presque personne ne les comprend. Les avocats fiscalistes qui en sont capables peuvent gagner des fortunes.
Comment avancer ? La Commission européenne propose que dans l'UE, au moins, on devrait avoir une seule façon d’évaluer le profit. Peu importerait alors qu’ABC ait réalisé son profit en Allemagne, en France ou en Espagne, tout serait englobé dans un profit réalisé dans l’UE. La question, alors, est de répartir ce profit entre les différents Etats afin de leur permettre de le taxer. Comment, on ne le sait pas encore. La répartition serait nécessairement fondée sur une formule arbitraire.
Mais tout système plus simple et plus transparent constituerait une avancée par rapport à la situation actuelle. Cependant, cette proposition ne répond pas à la question de la concurrence fiscale. Conformément à la proposition de la Commission, les Etats membres continueraient à avoir différents taux, qu'ils appliqueraient à leur part de profit total. Ils seraient donc toujours incités à rivaliser. Évidemment, beaucoup semblent croire aux bienfaits d'une telle concurrence dans la fiscalité des sociétés, en arguant du fait que les Etats, quand ils en ont la possibilité, choisissent généralement des taux d’imposition trop élevés.
En tout état de cause, le degré de concurrence entre les Etats dépendra de la formule choisie. Et on voit bien qu’ils continuent à s’intéresser de très près aux revenus qu’ils peuvent tirer du profit des entreprise. Pour le moment, les taux d’imposition ne sont pas près de disparaître. Tant qu’ils existent, cela vaut la peine de réduire leur complexité.
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