La contribution sur la valeur ajoutée, un choix erroné edit
Le président de la République a demandé au gouvernement de revoir l'assiette des contributions sociales versées par les employeurs. Jacques Chirac souhaite que la base de ces prélèvements ne soit plus les salaires bruts mais la valeur ajoutée, afin de relancer l'emploi et décourager les délocalisations. L'idée d'une contribution ou cotisation sur la valeur ajoutée (CVA) n'est pas nouvelle. Je pense que les arguments avancés pour la défendre sont économiquement sans valeur, et qu'au lieu de protéger les salariés en France elle aurait l'effet contraire, en détruisant de bons emplois. Pour couronner le tout, fiscalement neutre au départ, la CVA aggraverait les déficits publics.
Laissant inchangé le taux de prélèvement fiscalo-social, la CVA déplacerait le curseur d'une contribution sur le travail vers une contribution mixte, assise sur le travail et les profits, définition de la valeur ajoutée. Pour la moyenne des entreprises françaises, la compensation totale représente environ les deux tiers de la valeur ajoutée (67,6% en 2004), contre un tiers pour les bénéfices (mesurés par le bénéfice brut d'exploitation). Le calcul est dès lors assez facile. Le principe est de remplacer un prélèvement de un euro sur les salaires par un prélèvement de 67 centimes seulement sur les salaires et d'introduire une taxe de 33 centimes sur l'excédent brut d'exploitation. D'après les comptes de la nation, le montant total des contributions acquittées par les employeurs en 2004 atteignait 149 milliards d'euros. Si elles étaient complètement transférées en contribution sur la VA, le taux de cette dernière serait en théorie 17,4% (soit 21,1% de la valeur ajoutée nette de la CVA). Selon certaines sources, le transfert ne concernerait que le financement de l'assurance maladie et des prestations familiales. Dans ce cas, le taux de la CVA ne serait que de 9,3%, d'après mes calculs. Il est difficile d'être plus précis, puisque le périmètre exact des contributions visées par cette réforme n'a pas été indiqué par M. Chirac.
Mais le ratio 2/3, 1/3 du partage de la valeur ajoutée ne vaut que pour une entreprise virtuelle. Dans le monde réel, les entreprises emploient plus ou moins de main-d'œuvre et sont plus ou moins profitables. Dans les secteurs fortement capitalistiques, les rémunérations relatives du capital et du travail sont distribuées de manière plus égale. Pour les entreprises de ces secteurs, la charge fiscale globale augmenterait alors que, réciproquement, les industries de main d'œuvre pourraient tirer bénéfice de la CVA. Comme les entreprises cotées en bourse sont plus capitalistiques que la moyenne, elles seraient pénalisées, en moyenne. D'ailleurs, les premières simulations que nous avons faites sur un large échantillon de sociétés cotées indiquent que la CVA réduirait les bénéfices de 4 à 7%.
Déplacer le curseur fiscal du travail vers le capital pourrait avoir des effets positifs pour l'emploi à court terme, en théorie tout au moins. En réalité, les principaux obstacles à l'emploi dans les secteurs à forte intensité en main d'oeuvre, tels que le commerce de détail, les hôtels, les cafés et les restaurants, proviennent d'une réglementation excessive, de barrières à l'entrée et du SMIC, plutôt que de la taxation du travail, déjà considérablement allégée pour les bas salaires. Les effets positifs de la CVA à court terme seraient donc, de mon point de vue, très limités.
A moyen et long terme, les choses ne feraient en revanche que se détériorer. Si, à court terme, le capital est peu mobile - il est difficile et coûteux de fermer des usines et des bureaux pour les délocaliser - dans la durée, le capital est fortement mobile : nous ne vivons pas en économie fermée. Par conséquent, un relèvement de l'impôt sur les bénéfices aurait pour résultat probable une fuite de capital productif vers des cieux plus cléments. Et la réduction du stock de capital, on le comprend aisément, nuirait à l'emploi, en particulier à l'emploi qualifié, typique des secteurs capitalistiques. Cerise sur le gâteau, en réduisant la production de richesses, la VAC réduirait in fine la base de l'impôt, augmentant ainsi les déficits publics.
En faisant écho au slogan populiste d'" imposer le capital pour créer des emplois " ce projet vise peut-être à séduire les électeurs inquiets des délocalisations et des plombiers polonais. Le problème est qu'il n'a guère de chances d'être efficace à court terme et de grandes chances de détruire des emplois à long terme. La mondialisation tient surtout à la mobilité des capitaux jusqu'à présent, celle de la main-d'œuvre ne venant que loin derrière. A cet égard, je crains que pénaliser le capital pour conserver les emplois sur le sol national ne soit une stratégie sans issue.
Traduit de l'anglais par René Palacios.
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