L'Union Européenne au défi de la concurrence fiscale edit
Les entreprises se plaignent qu'opérer dans plusieurs Etats membres leur demande de connaître autant de systèmes fiscaux. La Commission Européenne leur emboîte le pas, voyant là de possibles obstacles au fonctionnement du Marché Unique. Mais la souveraineté des Etats membres est chatouilleuse et le principe de subsidiarité commande de maintenir autant de pouvoir que possible à leur niveau.
Le système de consolidation fiscale avec répartition proportionnelle des bases imposables, proposé dès 2001 par la Commission Européenne, pourrait apporter une solution à cette tension. De quoi s’agit-il ?
D’abord de calculer une assiette imposable commune consolidée, pour toutes les entreprises d’un même groupe opérant sur le territoire de l’Union Européenne. La base commune consolidée serait calculée en utilisant la législation fiscale de l’Etat membre de résidence de la société-mère ou au moyen d’une vingt-sixième législation fiscale, celle de l’Union Européenne.
Ensuite de répartir cette assiette consolidée entre les Etats membres concernés, selon une formule déterminée, afin qu’elle y soit taxée localement aux taux décidés par chacun de ces Etats en vertu de leur souveraineté et du principe de subsidiarité. Parmi les pays qui recourent à une telle formule de répartition de la base imposable, on citera les Etats-Unis, avec consolidation à travers les sociétés filiales, et le Canada, sans pareille consolidation, donc avec une base limitée aux revenus recueillis par une société dans l’ensemble des provinces canadiennes. Aux Etats-Unis la formule de répartition est alors une moyenne de l’investissement, des ventes et des dépenses salariales dans l’Etat mais elle peut différer entre les Etats ; au Canada elle repose à part égale sur les ventes et les dépenses salariales et ne varie pas d’une province à l’autre. Ce faisant, la formule canadienne constitue sans doute un meilleur exemple pour l’Union Européenne que son homologue américaine.
L’adoption d’une formule qui donne davantage de poids à des éléments non aisément manipulables par les entreprises – la destination des ventes finales est moins manipulable que la localisation de l’investissement ou de l’emploi – est probablement une voie à considérer.
En éliminant, par la consolidation, la plupart des opérations à visée purement fiscale comme la manipulation des prix de transfert, le calcul stratégique de redevances ou de management fees, l’intérêt d’itinéraires financiers indirects, le système envisagé peut générer une assiette imposable agrégée plus large et des recettes fiscales plus élevées pour l’ensemble des Etats membres, rendant ainsi possible des compensations entre eux sans qu’aucun n’y perde. En outre, la réforme envisagée diminuera d’autant plus la concurrence fiscale entre les Etats membres qu’elle laissera moins de place à l’arbitraire des entreprises dans la localisation de leur base imposable.
Il n’en reste pas moins que l’Union Européenne n’est pas le monde entier et qu’on ne peut exclure que seuls certains Etats membres souhaitent participer à ce système de consolidation et répartition. Dans ce dernier cas, les résultats favorables montrés ci-dessus demeurent-ils valables pour une coalition d’Etats Membres agissant dans le cadre d’un Accord de Coopération Renforcée ? Et pour une Union Européenne jouant sa partition dans le concert d’un monde globalisé ?
La réponse n’est pas positive inconditionnellement. Si la consolidation n’est pas obligatoire ni d’application sur l’ensemble du territoire de l’Union Européenne, des entités localisées dans des Etats de moindre niveau d’imposition pourront demeurer en dehors du périmètre de consolidation et y recueillir des bases imposables qui y seront localisées afin d’éviter un impôt plus lourd : dans ce cas tout le mérite de la consolidation sera perdu. Heureusement, des solutions techniques pourraient être envisagées pour pallier ce risque, en traitant différemment sur le plan fiscal les revenus en provenance des Etats qui ne participent pas à l’accord.
La réforme brièvement discutée ci-dessus et envisagée par la Commission Européenne dès 2001 pourrait donc permettre de satisfaire tant la revendication des entreprises et de la Commission de la levée des obstacles fiscaux au fonctionnement du Grand Marché, que celle des Etats du maintien d’un symbole fiscal fort de leur souveraineté. De plus le passage de l’Union Européenne d’un système fiscal basé essentiellement sur un réseau de traités bilatéraux et de directives à un système caractéristique de grands pays fédéraux serait, de la part de l’Union Européenne, l’émission d’un signal fort de l’avancement de sa construction.
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