Retraites : il faut distinguer assurance et redistribution edit
Le régime de retraite par répartition est l'exemple type d'une assurance sociale qui s'est transformée en mécanique de redistribution non maîtrisée. Une réforme future gagnerait à mieux distinguer les fonctions d’assurance et celles de redistribution.
Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, l'espérance de vie à la naissance était d'environ 65 ans, un peu supérieure à l'âge de départ à la retraite à taux plein pour ceux, très rares, qui en bénéficiaient. Le régime de retraite par répartition pouvait alors être compris comme une assurance, certes obligatoire, pour les personnes qui n'étaient plus en mesure de travailler du fait de leur âge avancé.
Depuis 1945, l’espérance de vie s’est accrue d'un trimestre chaque année, soit un an tous les quatre ans. Soixante ans plus tard, elle est d'environ 80 ans. C’est d’abord, et il faut s’en réjouir, un accroissement de vie valide, la durée de vie en incapacité restant presque inchangée. Entre temps, l'âge effectif de départ à la retraite a beaucoup baissé : il est aujourd’hui inférieur à 60 ans, en moyenne.
Peut-on encore parler alors d’ « assurance vieillesse » ? On pourrait tout aussi bien évoquer un système de congés payés. Il faudrait alors aller jusqu’au bout de cette logique : si les Français souhaitent passer quinze ou vingt ans de leur vie adulte en vacances, il serait préférable de leur donner plus de choix quant à la période de leur vie où prendre ces congés. Et il conviendrait aussi de s’interroger sur le caractère obligatoire de leur financement.
L’ « assurance vieillesse », au sens étroit du terme, couvre le risque de ne plus être en mesure de subvenir à ses besoins en raison de l’âge. Notre régime de retraite remplit cette fonction d’assurance, mais s'accompagne en outre de transferts de grande ampleur, qui ne sont pas explicites et fort peu transparents. Entre générations, et l’on sait que c’est l’un des enjeux du débat aujourd’hui. Mais aussi à l'intérieur d'une génération, car les bénéficiaires sont ceux qui vivent le plus longtemps : les femmes, dont l'espérance de vie à la naissance dépasse de sept ans celle des hommes, les personnes qui travaillent dans des professions sédentaires au détriment de celles qui ont une vie professionnelle épuisante. On sait ainsi qu’il existe une différence de huit ans entre l’espérance de vie d’un cadre et d’un ouvrier à l’âge de 60 ans.
La profondeur de ces inégalités, l’ampleur de ces transferts appellent une remise à plat du système, qui devrait viser plus loin que l’équilibre des comptes qui motivait la réforme de 2003.
Mais peut-on entreprendre une réforme d’envergure ? Il est évidemment presque impossible, aussi bien méthodologiquement que politiquement, d’isoler des catégories et de reconstruire sur cette base un fonctionnement différencié.
On ne peut pour autant se dissimuler que la rigidité et plus précisément l’indifférence du système est source d’inefficacité économique et d’injustice sociale. On peut soutenir que c’est le caractère obligatoire de l’assurance vieillesse qui est à l'origine de la dérive du régime et rend d’autant plus difficile sa réforme.
Ce caractère obligatoire est on le sait l'un des fondements de l'assurance sociale, et il se justifie ainsi : on veut assurer une retraite décente à tous ; pour éviter les comportements opportunistes, on force tout le monde à cotiser, sinon on verrait les cigales imprévoyantes refuser de souscrire à l'assurance et faire appel à la solidarité des fourmis au cas où leur vie se prolongerait. C’est logique, mais le système part à la dérive quand on utilise ce caractère obligatoire non plus pour assurer, mais pour faire des transferts redistributifs. Il y a là une grave confusion, qui est d’abord juridique, car en droit ces transferts relèvent de la politique et non de l'assurance. Cette confusion n’est pas la seule : la retraite des fonctionnaires, par exemple, est-elle un élément de leur rémunération, ou participe-t-elle de l'assurance sociale ? Dans ce dernier cas elle peut sembler d’autant plus généreuse que les fonctionnaires vivent plus longtemps que le reste de la population. Il y a là des clarifications à opérer, afin que les choix qui déterminent les différences de traitement soient assumés par le politique et les partenaires sociaux, ou réévalués.
Une voie d’approche pour la réforme consiste à distinguer ce qui relève de l'assurance stricto sensu de ce qui constitue des transferts redistributifs. À durée et montant de cotisation égaux, une logique assurantielle conduit à donner à chacun une même valeur actuelle de droits à pension, en espérance mathématique. Si on reprend l’exemple des femmes, à niveau égal de la retraite leur assurance devrait selon cette logique prendre effet en moyenne à un âge sept ans plus tardif que celui des hommes. Bien sûr, on peut imaginer des formes de transferts variés, pour prendre en compte les interruptions de carrière liées à la maternité, ou les pensions de réversion pour les veuves : à proprement parler il s’agit alors de transferts, pas d’assurance. Sur cette base, des réformes peuvent être décidées afin de corriger les inégalités les plus criantes – vision minimaliste – ou de converger vers l’égalité – vision maximaliste. Mais ces transferts doivent être présentés et assumés comme des choix de la collectivité.
L’une des conséquences de cette logique serait de favoriser l’idée d’une retraite choisie, avec des arbitrages possibles entre loisir, revenu, niveau d’activité, et des pondérations possibles pour tenir compte de la pénibilité de certains métiers, par exemple.
Une raison supplémentaire pour laisser plus de marge aux initiatives individuelles est que l'on connaît mal les interactions entre occupations, qualité de la vie et durée de la vie. On sait que les capacités cognitives se réduisent avec l'âge, mais des travaux récents laissent aussi penser qu'elles baissent moins lorsqu'on les sollicite davantage, par exemple en conservant un emploi ou en poursuivant de multiples activités au cours de la retraite. En tout état de cause, l’idée d’une frontière fixe est aujourd’hui remise en cause au profit d’un système plus souple. Le défi est d’imaginer des formules qui incitent les employeurs à conserver leurs employés jusqu’à un âge élevé, peut-être à temps partiel ou avec des aménagements d’horaires. L’assurance pourrait alors couvrir la réduction des capacités avec l’âge, par exemple en compensant partiellement la baisse de salaire qu’elle peut impliquer.
Aller dans le sens d'une retraite choisie, à côté d'une assurance sociale obligatoire efficace, suppose d'expliciter les transferts associés à la situation présente et de travailler aux arbitrages futurs. Une telle démarche est politiquement semée d'embûches, mais les réformateurs futurs échapperont-ils à une clarification ?
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