Chômage : ne pavoisons pas trop vite ! edit
Entre mai 2005 et mai 2006, l'économie a créé 399 000 emplois, et on compte 131 700 chômeurs de moins, soit une baisse de 10,8%. Le taux de chômage est passé de 7 à 6,1%, malgré une appréciation forte de la devise nationale par rapport au dollar américain, qui pénalise les exportations. Le ministre de l'Emploi n'a semble-t-il pas commenté ces chiffres officiellement. A noter que pour un chômeur de moins, trois emplois ont été créés, ce qui confirme la bonne santé de l'économie et la progression de la population active. Voilà le bilan dont devrait rêver tout ministre de l'Emploi en France. Hélas, il s'agit des chiffres du Canada !
Pour comparer avec la situation en France, on peut faire deux calculs rapides. Le premier, c’est de rapporter ces chiffres à la population de chaque pays. Pour avoir une hausse comparable en France, il faudrait arriver à un chiffre de création annuelle nette de 733 000 emplois. Le second, c’est d’extrapoler le ratio du nombre d’emplois créés sur celui du nombre de chômeurs en moins. Appliquons ce ratio à l’économie française dont le ministre de l’Emploi a célébré récemment la baisse de 210 000 chômeurs en glissement sur un an : on devrait avoir 636 000 créations d’emplois. Notons au passage qu’un ratio supérieur à 1, cela s’est déjà vu plusieurs fois en France, notamment en 1999-2000, quand l’emploi a progressé annuellement à un rythme de 300 000 à 600 000 personnes.
Alors, revenons à ce qui se passe en France depuis 2005. L’Insee donnait jusque récemment une progression pour l’emploi salarié du secteur privé de l’ordre de 43 000 en annuel, ce qui paraît bien maigre en comparaison avec les divers chiffres évoqués ci-dessus. L’Unedic a sorti la semaine dernière des indicateurs en apparence plus optimistes. L’emploi serait passé de 15 926 milliers au 31 mars 2005 à 16 073 milliers au 31 mars 2006, soit une progression de 147 000 sur un an, due en assez grande partie à une hausse de l’emploi au premier trimestre 2006, de 49 000. Ces indicateurs sont essentiellement basés sur les entreprises de dix salariés et plus, et l’Unedic interpole pour les entreprises de moins de dix salariés en précisant : « Une estimation de l'évolution de l'emploi salarié de l'année en cours, toutes tailles d'établissements confondues, est réalisée sur la base des écarts observés les années passées entre les résultats de la statistique trimestrielle (élaborée à partir des résultats des seuls établissements de 10 salariés et plus) et ceux de la statistique annuelle portant sur l'ensemble des salariés affiliés. » Cette méthode de correction n’est pas parfaite, car elle ne tient pas compte de variations sur l’année écoulée entre les petits et les grands établissements, mais elle permet d’obtenir des statistiques trimestrielles révisées. Dans le cas de figure présent, cela conduit en toute logique à sous-estimer légèrement – disons, à la louche, de 10 000 par trimestre – la croissance de l’emploi puisque le CNE s’applique aux entreprises de moins de vingt salariés, du moins si le coefficient correctif est bien resté inchangé sur la dernière année.
Il faut cependant rester prudent pour deux raisons : la hausse Unedic de ce dernier trimestre est obtenue après désaisonalisation: en réalité l’emploi, en chiffres bruts, a décru au premier trimestre 2006, mais simplement un peu moins que les années précédentes : une fois redressé pour tenir compte de la variation saisonnière, cela correspond à une hausse. Bien sûr, si cette correction ne change pas d’une année sur l’autre, la hausse sur un an ne sera sans doute pas remise en cause. Mais, by chance, y a-t-il eu des événements exceptionnels au premier semestre 2006 ? Oui, et cela nous amène à la deuxième raison incitant à la prudence: la majeure partie de l’inflexion détectée par l’Unedic repose sur le premier trimestre 2006, qui correspond à la montée en puissance du nombre d’emplois aidés.
Or, pour évaluer correctement un bilan en emploi, il faut connaître le nombre d’emplois aidés, selon le principe : « refile moi un milliard et je te crée 75 000 emplois ! » En effet, les chiffres de l’Unedic diffèrent du champ des chiffres Dares-Insee par notamment l’inclusion des salariés de l’éducation, du secteur associatif, des administrations publiques et de la santé et l’action sociale, au total 2 millions de personnes. Par chance, la toute récente note de conjoncture du 22 juin de l’Insee permet justement de se faire un début d’idée : l’Insee y annonce une progression de l’emploi sur 2005 de l’ordre de 100 000 en incluant les emplois aidés et prédit 200 000 pour 2006, tout en révisant un peu à la hausse ses chiffres de l’emploi du secteur marchand : 63 000 en 2005, 76 000 pour 2006. L’écart, on le lit entre les lignes, provient des emplois aidés.
Dans cette jungle de chiffres, il est difficile de se faire une idée en honnête homme. On l’a dit sur Telos plusieurs reprises, il y a encore des efforts à faire pour améliorer la clarté du débat démocratique. Premièrement, donner en même temps que les chiffres du chômage mensuels, des estimations même imprécises des créations d’emploi mensuelles : quelles que soient les périodes récentes considérées, en France, il y a moins d’emplois créés que de chômeurs retirés des chiffres et au passage, il faut bien expliquer d’où vient cette différence. Deuxièmement, donner, en même temps que le bilan en emploi, le nombre des emplois aidés, et leur coût pour les finances publiques. Les notes de conjoncture devraient traiter cette question frontalement, quelles que soient les difficultés statistiques ou politiques.
Pour conclure : si le nombre de chômeurs décroît, c’est en large partie par des sorties de la population active. En 2005, celle-ci aura même décru de 24 000, un comble dans un pays qui, pour atteindre les objectifs de Lisbonne et supporter l’accroissement des charges des retraites, devrait tout faire pour l’augmenter à coût nul pour les finances publiques. Le nombre d’emplois progresse, et une inflexion est visible dans les chiffres, mais on l’a vu, ils restent globalement faibles par rapport à ce qu’on est en droit d’espérer et l’inflexion est bien supportée par des emplois aidés – disons au moins un tiers de la hausse-, sachant que 40 autres pourcents de la hausse proviennent de la construction : tant mieux si le grand déséquilibre du marché du logement se résorbe en suscitant de nouvelles créations d’emplois, mais dans ce secteur très cyclique, ces emplois ne sont pas pérennes. On verra bien en 2007 ce qu’il en est, mais le bilan actuel doit nous inciter à la prudence.
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