Face aux disparités régionales, la régionalisation des salaires est-elle une solution ? edit
Les disparités régionales dans l’Union européenne restent fortes. En comparant un groupe représentatif de 50 régions européennes et les Etats-Unis, les variations en termes de revenu par habitant étaient à la fin des années 1990 deux fois plus fortes chez nous. La combinaison entre rigidité des salaires et faible mobilité de la main-d’œuvre contribue à creuser d’inacceptables inégalités entre les régions ; les décideurs auront à faire des choix, soit en faveur d’une plus grande mobilité de la main-d’œuvre, soit d’une plus grande flexibilité des salaires.
Les chiffres et les graphiques ne révèlent pas toutes les disparités territoriales dans l’UE, même lorsqu’elles n’incluent pas les nouveaux pays membres. En 2002, dernière année pour laquelle nous disposons d’un ensemble de données complètement comparable, le revenu par habitant – calculé en pouvoir d’achat – des habitants de Londres intra-muros représentait deux fois et demi la moyenne de l’Union. Inversement, le PIB par habitant de la région grecque de Dytikis atteignait à peine 50% de la moyenne européenne. Les disparités entre les pays sont un peu moins prononcées, mais elles sont loin d’être négligeables. Même en laissant de côté le Luxembourg, le revenu des Danois est de 111% de la moyenne européenne, contre 67% pour celui des Grecs.
Ces inégalités importantes et parfois persistantes du PIB par habitant reflètent des différences de productivité, mais aussi de performance du marché de l’emploi. Le taux de chômage va de 11,4% en Espagne à 2,2% aux Pays-Bas ; au niveau régional, les écarts se creusent, avec un taux de 27% dans la région de Halle en Allemagne contre 2,2% à Utrecht (Pays-Bas). Plus inquiétant, les régions à fort taux de chômage sont souvent celles qui ont le plus faible revenu par habitant. Pauvreté et chômage vont de pair.
On pourrait s’attendre à ce que ces différentielles substantielles de revenu et d’accès à l’emploi suscitent des mouvements migratoires, des régions en difficulté vers les plus prospères ; mais ce n’est pas le cas. A l’exception notable du Royaume-Uni, les flux migratoires intérieurs concernent en Europe une part de la population bien moindre qu’aux Etats-Unis, alors même que les disparités de revenus et de taux de chômage sont plus élevées chez nous.
Une plus grande mobilité favoriserait-elle la convergence entre les régions européennes ? Faut-il mettre en place des politiques pour encourager la mobilité des travailleurs, sinon dans toute Europe, au moins à l’intérieur des pays membres ? Les décideurs européens, curieusement, ne s’intéressent guère à cette question. Dans son Rapport sur la cohésion économique et sociale, la Commission énumère un grand nombre de facteurs entravant la cohésion, mais le manque de mobilité n’est pas mentionné. De même, le sixième Rapport périodique sur la situation sociale et économique et le développement des régions européennes note que les migrations peuvent être associées à une convergence plus rapide, mais il ne pousse pas la réflexion plus avant. Seules les implications démographiques des migrations sont prises en compte.
Quand il s’agit de prendre des initiatives en ce domaine, les décideurs européens ont une attitude quelque peu schizophrène. Les ministres des Finances déplorent certes un manque de mobilité, qui entrave la capacité de régions à s’adapter aux chocs. Mais leurs collègues des autres ministères rechignent à s’engager dans cette direction.
Au vu de cette faible mobilité régionale, on pourrait faire appel dans certains pays à une plus grande flexibilité des salaires, pour permettre aux régions européennes de résister aux chocs. Mais là encore, on n’avance guère. Là où les différentielles régionales sont les plus fortes, en Allemagne et en Italie, les salaires sont déterminés pour l’essentiel lors de négociations nationales, et sans tenir compte des chocs régionaux. En Italie notamment, les salaires sont complètement déconnectés des marchés du travail régionaux. De là deux conséquences. En premier lieu, dans les régions qui ont une faible productivité, les salaires sont trop élevés et le taux de chômage augmente mécaniquement. Ensuite, et c’est peut-être plus grave, les régions les moins développées sont particulièrement mal équipées pour répondre à un choc, puisqu’elles ne peuvent jouer sur des salaires dont le niveau dépend de la prospérité d’autres régions. Comble d’absurdité, un choc favorable dans une région riche peut faire monter des salaires nationaux et susciter du chômage dans les régions pauvres !
Là encore, les décideurs ne sont guère pressés de recommander un système plus flexible de détermination des salaires régionaux. Les distorsions du marché du travail ne sont pas, disent-ils, le problème principal des régions en difficulté. Ils ajoutent que les niveaux de productivité sont pratiquement homogènes d’une région à l’autre. Ce n’est pas une raison pour ne rien faire, notamment dans un pays comme le mien : le taux de chômage en Italie du Sud est trois fois plus élevé que celui du Nord, 13,2 % contre 3,9 %. Le mécanisme de fixation des salaires n’y est évidemment pas pour rien. Les distorsions du marché du travail ne sont sans doute pas le seul problème, mais elles font partie du problème.
Riccardo Faini est professeur à l’université de Rome. Traduit de l'anglais par René Palacios.
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