Ne faisons pas du climat l’ennemi du pouvoir d’achat edit
La hausse récente des carburants ne représente qu’une fraction des efforts qui seront nécessaires pour tenir les objectifs climatiques. La grogne qui l’a accompagnée nous rappelle donc l’importance de concilier protection du pouvoir d’achat et protection du climat.
En France, un ménage génère environ 26 tonnes de CO2 par an (en incluant le CO2 des produits importés). Passer de 26 tonnes à zéro coûte 2 à 3000 euros par an, soit la moitié du budget d’alimentation d’un ménage ou la totalité de l’impôt sur le revenu des personnes physiques[1]. Le transport est l’un des secteurs qui a déjà fait le plus d’efforts pour intégrer le coût réel du CO2 (via la taxe sur les produits pétroliers notamment, qui embarque une partie de la valeur carbone), même s’il lui reste encore la majorité du chemin à parcourir. Ce sont l’industrie et la construction qui ont encore le plus de chemin à parcourir.
Aux États-Unis, les progrès ont été encore plus lents. Depuis 1990, les émissions brutes de gaz à effet de serre des États-Unis ont augmenté d'environ 2%. La majeure partie de l'efficacité sous-jacente en matière d'émissions de CO2, qui entraîne une déconnexion avec la croissance économique, est due au passage du charbon au gaz naturel dans le secteur de l'électricité et aux conditions hivernales plus chaudes, ce qui réduit le besoin en combustible de chauffage. Les transports ont peu contribué à l'effort tout en étant le plus grand émetteur de gaz à effet de serre des États-Unis avec un peu moins de 30 % du total.
On pensait initialement que l’effort serait plus progressif car lissé par la croissance : si elle était de 3%, les revenus augmenteraient d’ici 2030 d’un montant suffisant pour financer dix fois l’effort climatique. Malheureusement, en France, la richesse par tête n’a augmenté en moyenne que de 0.3% par an depuis dix ans. Pour les plus modestes, elle stagne depuis 2002. Aux Etats-Unis, la croissance a été plus solide (entre 2% et 3% par an sauf les années de crise financière). Cependant, l'inégalité croissante a conduit la classe moyenne et la classe moyenne inférieure à voir leurs revenus rester stables alors que l'inflation dans les secteurs de l'alimentation, de la santé et de l'éducation était nettement supérieure à l'inflation moyenne. En d'autres termes, leur pouvoir d'achat a diminué ou est au mieux resté stable. Par conséquent, des deux côtés de l’Atlantique les ménages à revenu moyen et faible sont pris en tenaille entre un pouvoir d’achat stable et des coûts en hausse : selon l’OFCE, la trajectoire carbone coûtera d’ici 2022 l’équivalent de 50% de l’épargne des 20% des Français les plus modestes, contre 25 fois moins (moins de 2%) pour les 20% les plus riches.
Pourtant il faut agir : si nous ne faisons rien, les conséquences directes que nous subirons seront encore pires, sans compter les impacts indirects comme la hausse des migrations climatiques. Mais l’ampleur de l’effort nous impose d’abord d’assurer qu’il soit réalisé aussi efficacement que possible, et d’autre part que ses effets massifs sur le pouvoir d’achat soient amortis.
D’abord, le coût de la transition climatique sera d’autant plus réduit que nous nous focaliserons sur les solutions aux coûts par tonne de CO2 les plus bas. Ainsi, il vaut mieux isoler les habitations les plus énergivores que promouvoir les biocarburants (jusqu’à 1000 euros la tonne de CO2). De même, certaines énergies peu carbonées ont un intérêt limité si elles sont placées au mauvais endroit (solaire dans le Nord) ou si elles induisent des coûts déraisonnables de stockage ou d’ajustement entre offre et demande électrique.
Ensuite, s’il est vrai que le plus efficace pour décarboner l’économie est de nous confronter au vrai prix du CO2, on doit en traiter les effets sur le pouvoir d’achat de façon systématique - sauf à susciter le rejet de la population. Les hausses de taxe carbone à venir devront donc être associées à un mécanisme structurel de soutien au pouvoir d’achat. Par exemple une prime pour la transition climatique (PTC) forfaitaire, calculée notamment en fonction du besoin initial de mobilité et de chauffage des ménages. Elle limiterait le risque d’appauvrissement en compensant à peu près le niveau initial de la taxe carbone, tout en gardant l’effet d’incitation à réduire les émissions puisque les produits carbonés verront leur coût augmenter. Le montant de la PTC étant lié au revenu de la taxe carbone, elle diminuera avec la réduction des émissions de CO2, tout en laissant aux français les plus modestes une épargne suffisante pour faire les investissements nécessaires.
Il existe déjà des aides à la décarbonisation que la création d’une telle prime pourrait unifier, tout en apportant la garantie que la hausse de la fiscalité verte vise des objectifs climatiques plutôt que des objectifs financiers. La définition précise des critères de cette prime pourrait faire l’objet d’une conférence annuelle définissant le meilleur compromis entre faisabilité pratique, simplicité du dispositif et protection des catégories les plus vulnérables.
Comme la prime d’activité, créée pour éviter les trappes à bas salaires, la PTC limiterait les « trappes à pauvreté climatique » qui risquent d’être créées par l’ampleur de l’effort de décarbonisation, notamment pour les revenus les plus modestes. Il faut reconnaître au gouvernement d’Edouard Philippe son ambition sur le climat, mais cette ambition nécessite justement de ne pas faire du climat l’ennemi du pouvoir d’achat.
Bien sûr, la PCT ne suffit pas à faire de notre ambition climatique une réalité - nous aurons également besoin de plus de coordination européenne, de plus de coordination mondiale et d'innovation pour nous aider à réduire le coût du CO2. Mais en ce qui concerne le climat, notre ambition collective doit être supérieure à nos espoirs. Et pour bien servir notre espoir, cette ambition exige que le climat soit l'ami du pouvoir d'achat et non son ennemi.
[1] Voir GIEC (2018), Special Report on Global Warming of 1.5 °C, chapitre 2, p. 152. Selon les estimations du GIEC, la tonne de CO2 en valeur moyenne devrait être de 117 euros en 2030 dans le scénario " basse ambition " (+2°C). Dans le scénario plus ambitieux (+1,5 °C), la valeur par tonne devrait se situer entre 130 euros et 6500 euros.
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