Du rififi aux Droits de l’homme edit
Fin juin, l'UE a menacé de se retirer du nouveau Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Elle l’a fait pour garantir au Conseil le pouvoir d’adopter des solutions sur les situations spécifiques des pays, ce qui était une prérogative de l'ancienne Commission des droits de l'homme. Que l'UE ait dû faire un geste aussi radical pour conserver un système dont le maintien aurait dû être tenu pour acquis illustre bien ses difficultés actuelles à projeter ses intérêts et ses valeurs dans les enceintes de l'ONU.
-->Le Conseil des droits de l’homme (HRC) a été créé il y a un an dans le cadre de la réforme de l'ONU, afin de remplacer une Commission des droits de l’homme (CHR) complètement discréditée par les ONG spécialisées et la presse occidentale pour avoir été présidée par des pays comme la Libye et d’autres défenseurs notoires des droits de l’homme. L'idée des Etats-Unis et de l'UE était de créer un nouveau forum, auquel ne participeraient que des promoteurs sincères de cette cause.
Le projet s’est heurté à une féroce opposition de la vaste majorité des pays du Sud, non seulement des dictateurs, mais aussi des démocraties. Le résultat est mitigé : une nouvelle composition, qui rend l’accès à ce conseil plus difficile, mais pas impossible pour la Chine ou pour Cuba. Au cours des négociations, les puissances occidentales ont dû accepter le principe d’une « représentation géographique équitable », qui a conduit à de nouvelles majorités dans le HRC, par rapport à l’ancienne CHR. Sur 47 membres, l'UE a obtenu 8 sièges, l’Amérique Latine 8, et les Etats africains et asiatiques 26.
Pendant sa première année, le HRC a passé beaucoup de temps à essayer de définir ses outils et ses mécanismes de fonctionnement : que reprendre de la CHR, qu'y ajouter, que changer ? Au cœur du débat étaient « les procédures spéciales » de la CHR, en langage commun la possibilité d’envoyer des enquêteurs dans des pays spécifiques pour contrôler la situation des droits de l’homme, d’adopter des résolutions condamnant les abus dans ces pays et la possibilité pour des individus de porter plainte contre leur Etat devant l'ONU. L’an dernier, on s’était entendu sur la création d’un nouvel outil, resté virtuel à ce jour : un « rapport périodique universel » de la situation dans les différents Etats membres. Des questions restaient en discussion : qui écrira les rapports, sur la base de quelles données, et en fonction de quels critères ? Cet instrument a été créé pour répondre à un des défauts notoires de la CHR : sa surpolitisation. Le rapport est en effet censé examiner tous les membre de l'ONU sans exception, dans l'espoir de mettre fin au reproche récurrent d’un traitement des grands et des petits pays selon deux poids et deux mesures. La plupart des pays africains et asiatiques se sont plaints d’être les seules cibles des critiques de la CHR, qui gardait en revanche un silence prudent sur d'autres situations comme en Tchétchénie. En bref, les résolutions étaient politiquement motivées et n'étaient pas fondées sur la situation réelle sur le terrain. La majorité des Non-Alignés s’est donc opposé à la réintroduction de mécanismes qui sélectionneraient des pays. Le groupe africain a introduit un « code de bonne conduite » pour les rapporteurs, code qui aurait pu sérieusement entraver leur liberté pour évaluer la situation sur le terrain. La Chine a demandé que les résolutions sur un pays donné soient adoptées à la majorité de deux tiers (au lieu d'une majorité simple comme dans la CHR). Certains pays ont demandé que rapport périodique ne soit fondé que sur les données fournies par le pays concerné et que la participation des ONG serait limitée. Il y a aussi des points particuliers. Les Européens et Américains veulent pouvoir s’occuper du Belarus et Cuba ; autant l’Iran s’oppose aux résolutions spécifiques en général, autant il soutient celles contre Israël. En pratique, la demande chinoise sur la majorité des deux tiers aboutit à rendre l’instrument inopérant.
C’est en réaction à cette demande que les Européens ont menacé de se retirer du Conseil. Après 14 heures de négociation, Chine a fini par accepter… une minute avant la deadline. Ce changement de position aurait été permis par les efforts de pas moins de 14 ministères des Affaires étrangères différents. Mais la signature de la Chine avait son prix : la fin des mandats des rapporteurs spéciaux sur le Belarus et Cuba. La Russie, qui est membre du Conseil, faisait pression depuis longtemps pour mettre fin au mandat sur le Belarus, dont le rapporteur était en effet contesté. D'autres rapporteurs spéciaux ont été maintenus (en Birmanie, au Congo, à Haïti, en Corée du nord, en Somalie, au Soudan).
L’accord avait aussi pour enjeu d’inscrire comme article permanent dans l’agenda du Conseil « la situation des droits humains en Palestine et dans les autres territoires arabes occupés ». L'an dernier, deux « mandats » ont été abandonnés par le HRC : l'Ouzbékistan et l’Iran. Les 17 sièges du groupement politique des pays musulmans, l'Organisation de la Conférence islamique (OIC), s’étaient révélés décisif puisque 16 voix suffisent pour convoquer une séance spéciale. L'OIC avait convoqué trois séances spéciales en cinq mois, toutes pour critiquer Israël.
Que reste-t-il à faire aux Européens au HRC ? Il y a deux façons d’envisager cette situation. La première est que si l'on croit que le plus important pour l'ONU est son caractère universel, on doit y accepter des dictateurs et des Etats qui ne partagent pas notre ordre du jour. Une seconde lecture soutient que l'UE s’est placée dans une situation où le manque de cohérence et le mauvais cadrage des priorités la mettent à la merci de ses adversaires. Il est incontestable que nous ne pouvons pas avancer certaines de nos priorités à l'ONU, qu’en matière de droits de l’homme nous ne pouvons pas mettre tous nos œufs dans le même panier onusien pour nous rendre compte une fois de plus que l'ONU n'est rien de plus que la somme de ses Etats membres.
L'UE s’est montrée maladroite dans la définition de ses politiques, risquant souvent de perdre ses anciens alliés du Sud. Une réflexion stratégique doit être menée sur les objectifs à poursuivre ou à abandonner au sein du HRC, d’une part, et de l'ONU d’autre part.
Cette réflexion doit analyser dans quelle mesure peut se justifier l’opposition aux politiques de l'UE et si cette opposition est due au manque de cohérence entre les différentes politiques ou si elle est motivée par des objectifs plus spécifiques. Par exemple, les délégués des PVD démocratiques ont pointé l'opposition de l'UE à la CHR et aux tentatives du 3e Comité pour critiquer les abus commis par les Etats-Unis à Guantanamo. De fait, l’UE n’avait pas soutenu les efforts de Cuba pour que les Etats-Unis soient reconnus coupables. Il se pourrait bien que sa position soit due au fait qu’elle considère sa relation avec les Etats-Unis comme plus importante qu'une position crédible au HCR. Si c’est le cas, alors elle doit être consciente des conséquences et ajuster ses objectifs au sein du HRC. De la même façon, l'UE refuse d’aborder à l’ONU la question des violations dans ses Etats membre (par exemple la situation des homosexuels en Pologne, les droits des femmes à Malte). La raison en est le principe d'unanimité au sein de ses institutions, mais aussi l'a priori des diplomates européens qui veut que l'UE est LA démocratie et le club des droits de l’homme, et que nous nous n'avons pas de leçons à recevoir.
Le nouvel instrument du rapport périodique universel est l’occasion pour l'UE de développer une nouvelle approche. Le Conseil s’est accordé pour que chaque année 48 Etats, dont une partie seront choisis parmi ses propres membres, soient évalués. Ces évaluations impliqueront non seulement les données fournies par les Etats, mais aussi des contributions des instances de l’ONU, des procédures spéciales et d’autres organisations et en particulier d’ONG spécialisées. Si les Etats membres de l'UE et l'UE elle-même (en tant qu’observateur) prennent cette mission au sérieux, qu’elle est menée par des experts crédibles pourvus de ressources suffisantes, ce pourrait être une façon de montrer l'engagement de l'UE dans l’action de l'ONU en faveur des droits de l’homme.
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