L'incroyable M. Lassalle edit
Le groupe japonais Toyo Aluminium est revenu le vendredi 14 avril sur sa volonté d'extension de son usine Toyal hors de la circonscription du député UDF des Pyrénées Atlantiques, Jean Lassalle, qui met ainsi fin à 31 jours de grève de la faim. Ce fait divers, repris par la plupart des médias, mais surtout mis en avant par le gouvernement et les décideurs publics locaux, est révélateur de la confusion qui règne en France sur les mutations économiques en cours.
Au sens strict, et pour paraphraser l'Insee, la délocalisation consiste en une « substitution de production étrangère à une production française, résultant de l'arbitrage d'un producteur qui renonce à produire en France pour produire ou sous-traiter à l'étranger ». L'étude souvent citée de Patrick Aubert et Patrick Sillard, réalisée à l'Insee sur données de firmes françaises, confirme le message de nombreux autres travaux : les ordres de grandeurs sont bien souvent surestimés et les délocalisations ne sont, de loin, pas la première cause de l'augmentation du chômage. C'est pourtant ce qui est souvent répété, particulièrement à la veille de grandes élections en France et c'est pourquoi on voit les gouvernements de droite comme de gauche s'opposer avec tant de véhémence à la délocalisation. L'étude de l'Insee repère, parmi les suppressions d'emplois observées, celles correspondant à un remplacement de la production supprimée par une production à l'étranger. Un emploi industriel sur 300 (0,35 %) aurait été délocalisé chaque année entre 1995 et 2001. Le chiffre est en réalité encore beaucoup plus faible puisque les emplois délocalisés ne correspondent pas forcément à des licenciements : les salariés travaillant dans un établissement dont la production est délocalisée peuvent être affectés dans d'autres établissements du groupe ou dans la même zone d'emploi. Ce qui a bien entendu un coût car dans la plupart des cas les emplois nouvellement créés ne correspondent pas aux qualifications des emplois délocalisés. Cela dit, le cas Toyal, dénoncé comme une délocalisation, n'en n'est pourtant pas une. C'est même tout le contraire puisqu'il correspond à la stratégie d'expansion du groupe japonais à Lacq, une ville voisine d'Accous en France. Entre les deux, 47 km à vol d'oiseau. D'un côté une ancienne usine de Péchiney fabriquant depuis les années 1920 de la poudre d'aluminium pour peintures automobiles, en pleine zone touristique, dans un village comportant 433 âmes et vantant les baignades en rivière, de l'autre un terrain que Total se propose de céder sur le site industriel historique de Lacq comportant de nombreuses entreprises industrielles et doté d'un parc de 455 hectares classé Seveso II. Cette affaire, s'appuyant sur la peur de la mondialisation alors que l'on parle de concurrence entre deux sites distants d'une cinquante de km, est en réalité révélatrice d'une concurrence exacerbée entre les collectivités locales pour attirer ou maintenir les investissements directs étrangers. Ces derniers peuvent conduire à une expansion des firmes locales lorsqu'il y a forte complémentarité dans la production et un accroissement de la productivité à travers la diffusion et l'assimilation de technologies étrangères avancées. Ils peuvent avoir un effet négatif lorsque la concurrence accrue sur les marchés des facteurs et des produits finaux entraîne des effets d'éviction des firmes locales. Une telle concurrence entre collectivités peut avoir une influence positive dans la mesure où elle favorise, entre autres, une meilleure spécialisation des territoires sur leurs pôles de compétence. Un cercle vertueux entre agglomération des activités productives et croissance des territoires peut ainsi s'enclencher. Cette causalité circulaire sera d'autant plus renforcée que les liens entre firmes et entre secteurs seront importants. L'amélioration de la compétitivité d'un territoire aura alors des effets positifs sur les territoires voisins d'un même espace économique. Une telle concurrence entre collectivités est également efficace si elle améliore le cadre de l'activité économique du territoire dans son ensemble sans grever au passage les ressources budgétaires des collectivités. Pourtant, les actions des décideurs locaux doivent être coordonnées dès lors que les actions prises au niveau local ont des conséquences dépassant ce niveau local et débordant sur les localités voisines. La coordination des stratégies de ces collectivités pourrait par exemple se traduire par la mise en place de procédures incitatives de partage des bénéfices attendus d'une localisation. A la coordination, le député Jean Lassalle a donc substitué le conflit. Utiliser des moyens s'apparentant plus au syndicalisme violent qu'à une posture d'élu pour empêcher la remise en ordre de son outil productif par Toyal, est une approche de la concurrence entre collectivités qui va s'avérer catastrophique pour au moins pour trois raisons. La première c'est qu'à moyen terme, cette intervention musclée du politique va empêcher Toyal de mener à bien sa stratégie d'expansion en France, d'améliorer sa productivité, de réduire ses coûts. Ceci est sans compter les coûts directs de la mise aux normes Seveso II de l'établissement d'Accous et les coûts indirects pour la vallée d'Aspe, à vocation tourisitique, liés à l'implantation d'activités que l'entreprise elle-même qualifie de "dangereuses". Le site de Lacq, dejà spécialisé dans des activités industrielles, était au contraire équipé pour les secours. La deuxième est que ce sont l'Etat, les collectivités locales et donc le contribuable qui compenseront financièrement le surcoût éventuel de l'implantation à Accous des investissements initialement prévus sur le site de Lacq. La troisième, c'est que cet esprit de clocher aura des effets désincitatifs sur l'investissement direct étranger en France en général et sur l'investissement japonais en particulier : pour le président de Toyal, Masao Imasu, Jean Lassalle a été "déloyal". Le "particularisme français" finira un jour par irriter, dans un pays où les charges sociales et la réglementation sont déjà fortes.
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