Chaos au Capitole: questions sur la sécurité edit
Depuis le 11 septembre 2001, les mesures de sécurité du Congrès avaient été considérablement augmentées et les chiffres peuvent donner le vertige. Le budget annuel estimé du département sécurité du Capitole est évalué à 460 millions de dollars pour un effectif global de sécurité de 2000 personnes (soit trois fois plus qu’en 2001). Il s’agit certainement d’un des dispositifs de sécurité les plus onéreux au monde pour une enceinte de cette taille. En comparaison, Disneyland Floride, site également très sensible, dispose d’un département de sécurité dont le budget avoisine les 50 millions de dollars[1]. À l’aune de ces données, on est en droit de s’étonner que les forces de sécurité ne soient pas parvenues à juguler l’intrusion d’émeutiers dans le bâtiment et que cela ait débouché sur le décès de 5 personnes. Que s’est-il passé ? Qu’est-ce qui explique une telle défaillance du dispositif de sécurité ? Pour y répondre, nous retiendrons trois principaux arguments.
Premièrement, un argument conjoncturel. Les États-Unis sont gravement touchés par la crise du coronavirus. Avec 22 millions d’Américains à avoir été infectés, les États-Unis sont le pays le plus touché par la COVID 19 dans le monde. Un certain nombre d’agents de sécurité étaient malades au moment des violences au Capitole et par conséquent les équipes de sécurité étaient en sous-effectif. De même, la gestion brutale des émeutes liées à la mort de George Floyd devant le Capitole en mai et juin 2020 a conduit à la tempérance. Ainsi la maire Muriel Bowser a-t-elle exigé un recours limité aux FBI parce que la ville et le Pentagone ne voulaient pas répéter les erreurs du Printemps.
Deuxièmement, il semblerait, à partir de certaines images, qu’il y ait eu une complaisance de certains policiers sur place vis-à-vis des émeutiers. À l’extérieur du Capitole, certains policiers semblaient rester immobiles et observer le désordre au lieu de l’arrêter tandis que d’autres officiers semblaient ouvrir les barrières de sécurité. À l’intérieur du Capitole, certains agents se prenaient en photos avec les émeutiers. A cet égard, on peut se demander si parmi les policiers en place, certains n’étaient pas favorables à l’appel de Trump d’un envahissement du Capitole. Le département fédéral en charge de l’enquête a d’ailleurs examiné depuis les vidéos et autres documents en open source et constaté que certains agents et fonctionnaires de l’USCP (police du Capitole) semblaient avoir enfreint les règlements et politiques de l’établissement. Par conséquent pour certains agents, l’intrusion pouvait paraître légitime. D’ailleurs depuis les émeutes, certains policiers ont été suspendus et il est probable que certains soient prochainement licenciés. Pour ceux qui n’ont pas été complaisants, ils ont certainement préféré laisser faire parce qu’ils n’avaient pas les moyens d’intervenir. Dépassés et ne disposant pas des équipements de sécurité nécessaires, ils ont certainement pris soin de se mettre en retrait afin d’éviter un déchainement de violence.
Enfin, le dispositif de sécurité était inadapté, les effectifs mal calibrés et mal équipés (il est frappant de constater que les policiers disposaient d’uniformes ordinaires au lieu de tenues antiémeute). Il y avait un mince périmètre de sécurité à l'extérieur du bâtiment et aucun périmètre de sécurité préétabli à l'intérieur, à part quelques agents. Certaines portes d’entrée n’étaient pas gardées. Aucun couloir n'était bloqué. Les services de renseignement et la sécurité du Capitole ont mal évalué la menace. Malgré les appels du Président Trump et des messages hostiles sur les réseaux sociaux et les forums[2], les différents acteurs de la sécurité du Capitole ne considéraient pas la menace d’un envahissement possible, et ce malgré les moyens de renseignement et d’analyse à leur disposition[3]. Le département sécurité du Capitole disposait en effet de son propre service de renseignement, dénommé National Capital Region Threat Intelligence Consortium qui avait pour objet d’identifier, collecter, analyser et traiter les données relatives aux menaces portant sur le Capitole. Biais cognitifs, peur d’inquiéter les officiels, déni de réalité, refus d’envisager le champ des possibles, mauvais traitement des données disponibles, les responsables de la sécurité ne semblaient pas préparer à piloter une crise de cette envergure.
Le responsable de la sécurité Steven Sund a d’ailleurs démissionné. Comme il le reconnut lui-même, il avait préparé sa police à une manifestation pour la liberté d’expression et ne s’attendait pas à une émeute violente. Des moyens supplémentaires lui avaient été proposés et il donna l’assurance que toutes les précautions avaient été prises. Naturellement, il n’est pas le seul en faute. Des responsables du ministère de la Défense ont déclaré que lors des réunions de planification menées avant le 6 janvier par le ministère de la Justice, les responsables de la ville et les forces de l'ordre fédérales n'ont demandé qu'un soutien modeste de la Garde nationale (300) et ne prévoyaient pas de violences à grande échelle[4].
Une enquête sera certainement diligentée pour mieux comprendre ce qui s’est passé car de nombreuses questions restent en suspens. Comment se fait-il que le centre de renseignement du Capitole n’ait pas correctement apprécié la menace ou s’il l’a correctement apprécié comment se fait-il que son responsable ait minimisé les risques ? Comment se fait-il que les manifestants aient pu passer le premier périmètre de protection ? Qu’est-ce qui a entrainé la mort des policiers sur place ? Y a-t-il eu d’éventuelles compromissions au cours de l’assaut, quand on sait que les personnes rentrées dans l’enceinte ont pu accéder à des bureaux sensibles comme celui de la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi ?
Les premiers éléments à notre disposition nous semblent déjà suffisants pour appréhender les raisons des défaillances du dispositif de sécurité. Les événements du capitole illustrent parfaitement les biais intellectuels pouvant exister en matière de sécurité, et en particulier la difficulté pour les forces de l'ordre d'appréhender les menaces émergentes ou inhabituelles. Malgré l'existence de signaux assez forts, la police du capitole n'a pas su identifier le risque et adapter sa stratégie de sécurité en mettant en œuvre les mesures appropriées.
Les événements du Capitole nous permettent ainsi de tirer un point général important. Les décideurs (publics ou privés) ont du mal à appréhender les risques tant que ceux-ci ne se sont pas matérialisés au moins une fois (on restructure les services de renseignement qu’après des attentats, les entreprises renforcent leurs capacités cyber généralement après avoir été victime d'une attaque...). Et c'est cette sous-estimation du risque qui conduit à des surprises stratégiques. Comme le soulignait le professeur Todd LaPorte, professeur à l’université de Berkeley : « le problème n’est pas de se préparer pour éviter les surprises, mais de se préparer à être surpris[5] ». Ces manquements ont malheureusement coûté la vie de plusieurs personnes et cette impression de « chaos », pour reprendre les termes du futur président Joe Biden, aura des conséquences irréparables sur l’image de la première puissance mondiale.
[1] Robert Iger, The Ride of Lifetime: Lessons Learned from 15 years as CEO of the Walt Disney Company, Random House, 2019.
[2] Sur Facebook, il existait un groupe Red State Capitole, suivi par 7500 personnes, qui discutait de l’assaut du Capitole. Ce compte fut désactivé le 6 janvier dans la journée.
[3] Deux jours avant les émeutes, le FBI avait publié une note mettant une évidence le risques d’attaques armées dans les capitales de 50 Etats américains. On peut se demander si le service de renseignement du Capitole a eu accès à ces informations et s’il a eu accès, ce qu’il en a fait.
[4] À un moment donné dans l'après-midi, la police du Capitole a également demandé aux responsables du ministère de la Défense d'envoyer 200 membres supplémentaires de la Garde nationale pour les aider.
[5] Cité par Patrick Lagadec, Le Continent des imprévus, Les Belles Lettres, 2015, p.12.
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