Duflot : un coup d’épée dans l’eau ? edit
En France, chaque ministre du logement veut sa loi pour promouvoir le logement. Mme Duflot ne fait pas exception. Destiné à prendre le relais du Scellier, son projet de dispositif subventionne fiscalement les particuliers achetant un logement neuf dans un but locatif. Il est un peu plus généreux que le Scellier (la réduction d’impôt est de 17 à 20% valable de 9 à 12 ans, contre de 13 à 17% pour le Scellier), mais un peu plus contraignant, touche écologique oblige, sur les caractéristiques énergétiques des logements éligibles et, touche sociale cette fois, sur la taille et donc le niveau de revenu des locataires potentiels.
Disons-le après tous les spécialistes du logement : fausse route ! On pouvait attendre d’une ministre venue de la sensibilité écologique des idées ne retombant pas sur les recettes dont le rapport coût budgétaire / efficacité est absurdement démesuré. Sait-on que la France est le pays qui consacre le plus de fonds publics au logement (près de 40 milliards soit 2% du PIB, et même 2,7% si on inclut les avantages données aux locataires des HLM sous forme de loyers en dessous des prix de marché) ? Pourtant, malgré cet effort, la France est parmi les grands pays comparables le pays où la population, notamment en Ile-de-France, ressent le plus vivement la rareté immobilière. Clairement, si le marché immobilier fonctionne mal, l’aide publique censée y remédier fonctionne plus mal encore.
Pourquoi une telle inefficacité?
La réponse tient à un marché où la hausse des prix du logement ne stimule que très difficilement la hausse de la production de logements neufs. Or, une offre inélastique rend vaines les politiques d’aide budgétaire au logement par des subventions ciblées. C’est le cas tant des aides pour le locataire, que préfèrent en général les gouvernements de gauche, que pour le propriétaire, que préfèrent en général les gouvernements de droite – et, curieusement, Cécile Duflot.
Aidez les étudiants à se loger par une allocation logement, et vous retrouvez le gros de l’aide dans les poches du propriétaire qui peut monter ses loyers. C’est un transfert direct du contribuable au propriétaire, neutre pour l’étudiant et nocif pour le demandeur de logement qui ne bénéficie pas de l’aide. Dans une étude qui fait référence, Gabrielle Fack estime qu’une aide de 100 euros donnée au locataire se retrouve entre 50 et 80 euros chez le propriétaire sous forme de hausse du loyer, et donc in fine du prix de l’immobilier.
Aidez pareillement les propriétaires à acquérir leur résidence principale, et là aussi les mêmes effets : l’aide par déduction des intérêts de l’emprunt du revenu imposable (comme l’avait fait la loi TEPA de 2007, heureusement abandonnée) part en hausse des prix, au bénéfice des propriétaires pour les logements anciens, à celui des promoteurs pour les logements neufs, sachant qu’on ne peut en produire davantage que ce que rend possible la libération au compte-gouttes du foncier disponible. Il en va de même des niches fiscales à répétition que sont les lois Périssol, Besson, Robien, Borloo, Scellier et aujourd’hui le projet Duflot, au bénéfice ou non de la mise en location.
Les rapports abondent pour désigner les deux points bloquants sur l’offre immobilière.
Les protections données aux locataires sont excessives. La réponse politique en France à la pénurie de logements a été depuis des décennies de renforcer les assurances qui leur sont données, c'est-à-dire in fine d’augmenter encore les prix des loyers et donc de l’immobilier, voire de raréfier l’offre. Mais qui supporte le coût de ces assurances ? Ce n’est pas l’Etat, bien qu’il ait posé depuis 1993 les bases d’un « droit au logement » qui normalement devrait l’engager légalement. C’est le plus souvent une personne physique, le propriétaire, fortement atteinte si son locataire ne paie pas. Le contraste est saisissant avec l’avantage légal qu’on réserve aux banques quand un débiteur personne physique se permet de ne pas rembourser un emprunt ou de tirer un chèque en bois. On n’ose pas toucher le débiteur immobilier alors qu’on tombe en piqué sur le débiteur financier. Qui pourtant est le mieux organisé et le plus solide des deux créanciers ? L’aide aux mal-logés est nécessaire, peut-être d’ailleurs sous forme pécuniaire, mais elle relève clairement de la solidarité nationale.
Par ailleurs, l’offre foncière est totalement verrouillée. Les raisons abondent : un droit foncier touffu et devenu incohérent ; une gouvernance déplorable où tout agent ou collectivité aura toujours l’incitation et les moyens de bloquer l’avancée d’un projet ; des plans d’occupation des sols privilégiant les gens en place au détriment des gens ayant le besoin de se loger, etc. Le mouvement écologique français, si utile pour pousser à un habitat de qualité et économe en énergie ou bien pour arrêter le mitage immobilier en zone rurale, joue à cet égard un rôle conservateur, qui bénéficie aux propriétaires en place, par hausse du prix de leur bien et par maintien d’un habitat non densifié au cœur des villes jouissant de commodités abondantes.
Évidemment, il faut une belle réserve de capital politique pour entreprendre des réformes majeures dans ces deux directions. La droite a toujours eu peur de l’user sur la première route (qui pourtant lui serait naturelle) ; la gauche sur la seconde, surtout maintenant que son personnel politique est aux commandes dans la plupart des collectivités locales. On se contente de pis-aller, louable comme le projet de taxe sur la détention durable de friches foncières urbanisables, ou absurde, surtout en ces temps budgétaires, comme la rétrocession par l’Etat à prix cassés des quelques emprises foncières qu’il détient encore.
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