Alep ou l’impossible victoire d’Assad edit
Fin juillet, l’armée syrienne menait une contre-offensive apparemment foudroyante contre les groupes rebelles qui venaient de lancer, un peu prématurément, la « grande bataille de Damas ». Les incidents récemment survenus dans la capitale montrent que cette reprise en main n’était en réalité que superficielle. Elle a néanmoins inspiré à certains commentateurs l’idée qu’un scénario identique allaitse reproduire à Alep, où des brigades rebelles coalisées sous la bannière du Liwa’ al-Tawhid (« Division de l’Unité ») sont également passées à l’attaque le mois dernier. Il est toutefois peu probable que le régime parvienne à rétablir durablement ne serait-ce qu’un semblant de calme à Alep.
Davantage que Damas, c’est Homs qui doit ici servir de modèle de comparaison. Six mois après la mise en œuvre par le régime d’une « solution militaire » caractérisée par l’usage systématique de l’artillerie lourde, Assad n’est toujours pas redevenu maître de la troisième ville du pays. Certes, les insurgés ont été contraints de reculer en maints endroits mais la poursuite des pilonnages quotidiens atteste du fait qu’ils continuent de se terrer dans les ruines d’une ville désormais détruite et vidée de la majorité de ses habitants. Or, il est bien connu que dans un conflit asymétrique, le pouvoir en place est perdant tant qu’il ne reprend pas le contrôle effectif des zones infiltrées par l’insurrection, tandis que cette dernière est gagnante tant qu’elle n’est pas détruite et préserve un minimum de mobilité et d’activité.
Le caractère interminable du siège de Homs et l’enlisement analogue qui risque de se produire à Alep trouvent leur origine dans ce qui constitue la grande faiblesse structurelle de l’armée syrienne, à savoir son manque de fantassins loyaux. Rétablir le contrôle effectif du pouvoir sur ces villes impliquerait en effet d’engager l’infanterie dans des combats de rue meurtriers avant de stationner des garnisons chargées de prévenir la ré-infiltration des insurgés. Or, le régime syrien s’est généralement abstenu d’opérer de la sorte, préférant le bombardement à distance et l’engagement ponctuel de blindés afin de dégager les principaux axes de communication. Les rares fois où l’infanterie a été impliquée de manière substantielle dans des missions offensives (prise du quartier de Baba Amr à Homs début mars, combats à Damas en janvier et juillet), on a fait appel à la Garde Républicaine, élite de l’élite très largement composée de recrues alaouites.
Le constat que l’on peut tirer de ce qui précède est simple : le régime syrien se fie tellement peu à la loyauté de ses hommes qu’il craint, s’il les envoie se battre dans les rues de Homs ou d’Alep, de leur fournir l’occasion que nombre d’entre eux attendent pour déserter. Des témoignages concordants attestent ainsi du fait que certaines unités demeurent cantonnées dans leurs casernes et ne combattent quasiment pas. En d’autres mots, on est ici face à un pouvoir qui, confronté à une insurrection d’ampleur nationale, préfère se priver d’une partie de ses effectifs plutôt que de les voir se retourner contre lui.
À ce problème général des forces loyalistes s’ajoute, dans le cas d’Alep, des paramètres nettement plus défavorables que sur les autres théâtres d’opération. Les unités déployées dans le Nord sont globalement de moindre qualité et il est difficile de les renforcer au moyen de troupes venues de Damas, parce que la situation sécuritaire ne permet pas de dégarnir le front de la capitale et parce que les renforts doivent traverser la province d’Idlib, largement contrôlée par les insurgés et donc dangereuse pour les convois. Ainsi, c’est par hélicoptère qu’un régiment a été dépêché pour défendre l’aéroport militaire d’Alep (al-Nayrab) face aux attaques répétées des rebelles.
À l’inverse, la rébellion bénéficie d’un environnement géographique très favorable puisqu’elle a chassé les troupes loyalistes d’une grande partie de la province d’Alep et en particulier de l’axe Anadan-Azaaz, qui relie la ville à la Turquie et facilite par conséquent l’approvisionnement des insurgés. Qui plus est, la nécessité pour le régime de renforcer son dispositif militaire à Alep l’a contraint à abandonner de nouvelles positions dans la province d’Idlib.
À Homs, par ailleurs, les forces loyalistes avaient pu s’appuyer sur des quartiers alaouites dont la population est certes minoritaire dans la ville mais est cependant dotée d’un poids démographique nettement supérieur aux communautés alépines susceptibles d’adopter une position similaire, c’est-à-dire les chrétiens et certains clans bédouins de l’Est de la ville. Il est vrai que les quartiers kurdes du Nord-Ouest d’Alep sont fermés aux combattants du Liwa al-Tawhid mais ils n’en sont pas pour autant favorables à Assad.
Le seul avantage du régime par rapport à la situation qui a prévalu à Homs est le blanc-seing accordé jusqu’à présent par la communauté internationale quant à l’usage de l’aviation. Or, les bombardements aériens entraînent des destructions considérablement supérieures à celles qu’occasionne l’artillerie, même si leur précision laisse à désirer puisque l’aviation syrienne est apparemment dépourvue de missiles air-sol et bombes guidées. Pour l’heure, les rebelles n’ont quasiment rien à opposer au feu du ciel sinon des mitrailleuses lourdes et de vieux canons antiaériens ZU-23 capturés aux forces régulières. Il relève de l’exploit d’abattre un avion avec de telles armes, le plus souvent utilisées pour compliquer la tâche des pilotes adverses en les obligeant à prendre de l’altitude. On a récemment fait état de l’acquisition par l’ASL de quelques missiles antiaériens portables SAM-7, un système lui aussi obsolète, mais il n’y a pour l’heure aucun signe qu’ils aient été déployés à Alep. Sur ce plan, l’opposition syrienne fait face à un veto des États-Unis, hostiles à la livraison de systèmes antiaériens modernes à l’ASL au motif que la prolifération de tels équipements représente un danger pour l’aviation civile. En outre, les récentes déclarations d’Hillary Clinton quant au fait que l’instauration du zone d’interdiction de survol en Syrie n’était « plus exclue » ont immédiatement été tempérées par le chef du Pentagone Leon Panetta, pour qui une telle entreprise « ne constitue pas une priorité ».
C’est donc dans les airs que semble pour l’instant se jouer le futur de la bataille d’Alep. L’enjeu n’est sans doute pas ici de déterminer l’issue de l’affrontement, tant la victoire du régime semble improbable, mais plutôt de savoir combien de temps durera le martyre de la métropole du Nord.
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