Comment mettre fin au cumul des mandats edit
Le cumul doit disparaître mais le moment est venu de préciser lequel, comment, avec quelles conséquences et quel corollaire.
Chacun sait que certains députés qui cumulent sont néanmoins très présents quand d’autres, qui n’ont qu’un seul mandat, ne se signalent que par leur absence. S’ensuit une interrogation légitime sur la corrélation entre cumul et absentéisme. Toutefois, il faut observer aussitôt que l’échantillon de ces quelques héros – les cumulards présents – est beaucoup trop étroit pour être représentatif et qu’il en va de même de la catégorie opposée, celle des non-cumulards absents.
Chacun sait aussi, puisque les premiers intéressés ne cessent de le seriner, que c’est dans l’exercice de leurs fonctions locales qu’ils ont tout appris. Soit ! Deux objections pourtant.
D’une part, rien n’interdira à quiconque, comme cela se pratiquait jadis en France et se pratique encore partout ailleurs, d’acquérir d’abord une expérience locale pour accéder ensuite à un mandat national. C’est même là le cursus le plus répandu parce que le plus naturel et il est très fécond.
D’autre part, lors même que cette expérience serait irremplaçable, à quoi sert-elle au juste si ceux qui l’ont acquise n’en font, par leur absence, pas profiter l’assemblée à laquelle ils appartiennent ? Le plus sage et expérimenté des députés est cependant inutile s’il ne siège pas, ou très rarement, et il faut, à regret, lui préférer son collègue moins lustré mais qui fait son travail.
Chacun sait, troisièmement, que c’est grâce au cumul, qui les met en contact étroit avec la population, que les élus connaissent les sentiments de celle-ci et sont en mesure de s’en faire les porte-parole. Nos députés sont-ils donc tellement meilleurs que leurs homologues étrangers qui, eux ne cumulent pas ? Collectivement au moins on est en droit d’en douter puisque toutes les majorités qui se sont succédé depuis 1978 ont été impitoyablement sanctionnées par les électeurs en France, quand d’autres, à l’étranger, parvenaient à gagner trois ou quatre élections de suite.
Chacun sait, quatrièmement, qu’il appartient aux électeurs eux-mêmes, s’ils le souhaitent, de mettre fin au cumul qu’ils désapprouveraient. En fait, l’électeur devrait alors soit refuser sa voix au candidat du parti qui a sa préférence, uniquement parce qu’il détient déjà un autre mandat, soit voter pour lui malgré son hostilité au cumul, c’est-à-dire, dans un cas comme dans l’autre, voter contre ses propres convictions. Belle liberté que celle-ci !
Chacun sait, cinquièmement et enfin, qu’en tout état de cause et sans que le cumul n’y change rien, les députés élus dans des circonscriptions ont absolument besoin d’y être très présents pour avoir une chance de réélection. C’est vrai, mais comment font les autres ? La totalité des députés britanniques et la moitié des députés allemands sont, eux aussi, élus sur leur propre nom. Sont-ils moins attentifs à leur réélection, à leur circonscription ? Evidemment non, mais un partage raisonnable du temps fait qu’ils disposent au minimum de quatre jours par semaine, durant lesquels leur assiduité au Parlement n’est pas requise. Leurs électeurs le savent aussi qui, du coup, attendent leur présence ces jours-là mais, en revanche, s’étonneraient s’ils la constataient aussi les jours où ils sont réputés les représenter nationalement.
On le voit, les arguments en faveur du cumul alternent le faible et l’indigent. Aux arguments contre, en revanche, d’autres pourraient être ajoutés à ceux déjà soulignés : le localisme, qui gangrène chaque jour davantage la représentation supposée du peuple et l’évanouissement consécutif de l’intérêt national qui ne trouve plus pour défenseurs que ceux que l’on stigmatise du nom de technocrates, l’injustice qui fait que si le cumul de leur principal élu profite aux collectivités locales, seules 577 d’entre elles, sur plus de 36000 que compte notre pays, peuvent bénéficier de ce privilège refusé à toutes les autres.
Oui, décidément, le cumul doit disparaître mais le moment est venu de préciser lequel, comment, avec quelles conséquences et quel corollaire.
Quel cumul doit être interdit ? Celui des députés et par une mesure radicale. Celui des sénateurs est moins choquant puisqu’ils représentent non le peuple mais les collectivités territoriales. De plus, l’interdiction du cumul aux députés provoquerait un renouvellement simultané des deux chambres : à l’Assemblée nationale, des places se libéreraient pour des candidats nouveaux tandis que le Sénat verrait rapidement arriver de grands élus locaux qui, n’ayant voulu renoncer ni à leur collectivité ni à une présence nationale, migreront naturellement vers le Palais du Luxembourg qui s’en trouvera utilement rajeuni et vivifié.
Ce choix, accessoirement, faciliterait l’adoption de la loi organique nécessaire. N’étant plus concernés, les sénateurs ne disposeraient plus du droit de veto qu’ils ont utilisé dans le passé et la réforme pourrait ainsi se faire si un candidat à l’élection présidentielle s’est assez engagé sur elle pour que les députés soient obligés de suivre. Dans le cas contraire, il resterait toujours la ressource du référendum, auquel la réponse ne ferait ici aucun doute.
Les conséquences seraient considérables, notamment en ceci qu’une séparation nette serait enfin introduite entre les carrières politiques locale et nationale. L’on verrait alors les détenteurs d’un mandat cesser de redouter la concurrence dans leur camp et trouver du coup un intérêt direct, au contraire, à favoriser les meilleurs candidats puisque, comme c’est le cas à l’étranger, ils ne seraient plus des menaces.
Nécessaire à la suppression du cumul, un corollaire enfin consiste à accompagner la suppression du cumul d’une obligation de présence, vérifiée et sanctionnée, comme c’est déjà le cas au Bundestag ou au Parlement européen. L’expérience de ces derniers peut d’ailleurs être mise à profit pour rendre contrôles et sanctions plus adéquats qu’ils ne sont.
Mais cela fait alors surgir une autre interrogation : ne peut-on se contenter de cette obligation de présence, puisque c’est elle qui compte vraiment, plus que l’interdiction du cumul qui n’est qu’un moyen de la favoriser ? L’objection est sérieuse mais elle n’est pas décisive. L’objectif, en effet, n’est pas seulement d’assurer une présence, il est d’assurer une présence active. Or, le député qui n’a que ce mandat à accomplir, placé au milieu d’autres députés qui tous n’ont que ce mandat à accomplir, libéré du souci des protéger ses arrières contre des concurrents locaux internes sera fatalement conduit à se saisir des moyens nombreux mis à sa disposition, à exploiter les ressources et pouvoirs que l’Assemblée lui offre, sachant qu’il lui restera le temps nécessaire pour faire le travail indispensable, et qu’il a bien le droit d’aimer, dans sa circonscription. Au contraire, celui qui ne serait présent que par obligation, emprisonné à l’Assemblée, dans l’angoisse permanente que d’autres mettent à profit contre lui son absence, n’en sera que plus enclin à rechercher comment utiliser au mieux de ses seuls intérêts locaux une présence nationale contrainte.
L’interdiction du cumul et la présence obligatoire sont, chacune, nécessaires et insuffisantes. Ce n’est qu’ensemble qu’elles deviennent nécessaires et suffisantes.
La suppression du cumul pour les députés n’est pas une réforme parmi les autres. En l’état de nos institutions, elle est la mère de toutes les autres.
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