À trop crier au loup, on en voit le museau edit
Faut-il craindre un retour du protectionnisme ? En 1929, la Ligue des Nations, comme le G20 aujourd’hui, avait appelé à adopter une trêve tarifaire pour les deux ou trois ans à venir. L’histoire montre que ce type de déclarations n’engage personne, y compris ceux qui les font. En attendant, il est normal de rester vigilant mais il ne faut pas décrier un protectionniste aujourd’hui chimérique, au risque de perdre toute pertinence dans les débats à venir. Comme nous l’enseigne Esope, à trop crier au loup, on en voit le museau.
Le système commercial multilatéral est dans une période particulière. Première singularité : le cycle de Doha lancé par l’OMC il y a huit ans fait du surplace. Depuis l’échec de la négociation de Genève en juillet 2008, il ne semble plus exister de dynamique positive au sein de ce processus. La faute en partie à la crise économique et financière, qui constitue la seconde singularité de la situation actuelle. En effet, dans un environnement économique où l’activité faiblit, le chômage augmente et le risque de déflation apparaît, l’application de politiques protectionnistes est tentante : cela orienterait la demande locale vers la production locale, favoriserait l’activité et l’emploi national à court terme, et augmenterait les prix intérieurs.
Il y a 80 ans, les Républicains américains succombèrent à cette tentation avec le « Household Remedy » du programme Herbert Hoover, élu en 1928 ; ces mêmes Républicains votèrent le projet de loi protectionniste proposé par le Représentant Cillis Hawley et le Sénateur Reed Smoot en juin 1930.
Beaucoup aujourd’hui déplorent un retour du protectionnisme. Certains plans de sauvetage (bail-out) comportent des clauses discriminatoires comme la provision « Buy American» du plan de relance de Barack Obama. Même si l’aspect protectionniste du projet a été au final atténué, le principe de cette clause est resté dans le plan adopté le 10 février 2009. On se souvient aussi de l’émoi suscité par les déclarations de Nicolas Sarkozy réclamant que le développement de nouvelles capacités de production de l’industrie automobile se fasse sur le territoire français. En ce qui concerne les mesures à la frontière, beaucoup ont noté l’adoption récente de mesures protectionnistes (l’Argentine sur des produits textiles, automobiles, des chaussures ; l’Inde sur des produits sidérurgiques ; mais encore l’Equateur, le Mercosur, la Russie, l’Indonésie…).
Face à ce constat, doit-on conclure à une résurgence des vieux démons ? En l’état, la réponse est négative. S’il est important de rappeler les risques du protectionnisme, il est aussi important de souligner que les pays membres de l’OMC ne se sont pas lancés pour l’instant dans une escalade protectionniste. Il serait contre-productif et même dangereux de crier au loup trop tôt. Les changements récents de politique commerciale s’inscrivent dans la conduite normale de ces politiques.
Tout d’abord en matière de protection statutaire, les pays membres de l’OMC ont de la flexibilité pour remonter des droits (flexibilité appelée « marge de consolidation », soit la différence entre taux appliqué et taux consolidé) en fonction de l’activité ou des prix mondiaux. Ce que notent certains observateurs n’est pas forcement significatif puisqu’ils ne comparent pas l’adoption de ces mesures à ce qui se passe dans le moyen terme. Or même si dans le long terme nous observons une tendance à la libéralisation des échanges, dans le moyen terme ce n’est pas forcément le cas ; certains droits sont abaissés certaines années pour être remontés dans les années suivantes. Ainsi, lorsqu’on regarde les taux appliqués par les membres de l’OMC sur les échanges qu’ils réalisent entre eux sur la période 1995-2006, pour 163 pays et plus de 5000 produits, on note dans 4,7% des cas, des remontées de taux entre deux années consécutives, soit presque cinq millions d’occurrence (calculs des auteurs réalisés à partir de la base TRAINS de la CNUCED). Les quelques mesures, citées précédemment et notées abondamment par tous les observateurs depuis septembre 2008 ne sont donc pas forcément significatives et auraient pu être adoptées même en l’absence de crise économique et financière.
On peut aussi assister à des augmentations de taux de protection, non désirées, notamment dans l’agriculture où il y a des droits de douane spécifiques (définis en unités monétaires par unité physique) dont l’impact restrictif augmente mécaniquement en temps de baisse des prix mondiaux.
De plus, les États ont régulièrement recours à des mesures contingentes. Elles correspondent à l’exercice de représailles dans des disputes commerciales. Ces disputes ont toujours existé et existeront toujours. Il n’y a rien de bien nouveau dans tout cela. La mise en place de par la Commission Européenne de droits compensateurs et anti-dumping sur les exportations de biocarburants américains s’inscrit dans la défense normale des intérêts industriels de l’Union Européennes. Malgré la situation, on constate même une certaine modération : les Etats-Unis ont retardé d’un mois (du 23 mars au 23 avril) l'application de nouveaux droits protectionnistes dans le cadre de représailles autorisées par l’OMC concernant le différend sur le bœuf aux hormones.
En fait le système commercial multilatéral est dans une période d'observation où tout faux pas pourrait avoir des conséquences très dommageables. Malgré les incantations répétées, y compris par le dernier G20, le Cycle de Doha n'avance pas. Il n’y aura certainement pas de relance des négociations commerciales avant plusieurs mois. Des élections importantes doivent avoir lieu très prochainement en Inde et en Indonésie (première et troisième démocratie du monde en termes de population). Les effets de la crise se font de plus en plus sentir et parallèlement on attend de voir si les programmes adoptées de relance économique vont avoir une quelconque efficacité. La pression des lobbies intérieurs en faveur du protectionnisme s’accroît, profitant des tensions économiques croissantes et des critiques contre le libéralisme économique nées de la crise financière.
Jusqu’à présent aucun grand pays n’y a cédé et il est important de le reconnaître. Il reste que même si les gouvernements ont aujourd’hui une certaine conscience du danger d’un recours au protectionnisme, le risque à moyen terme est réel : si la crise économique s'ancre durablement, si le chômage s'installe avec des effets sociaux dévastateurs, les gouvernements auront de plus en plus de mal à résister aux sirènes protectionnistes. Dans ces conditions et pour éviter d'en arriver là, plutôt que de crier au loup ou de se contenter de grandes déclarations, la conclusion du Cycle de Doha serait un engagement légal et concret, de même à stabiliser le système commercial.
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