Covid-19 et restrictions des exportations edit
La crise sanitaire due à la pandémie du Covid-19 a eu plusieurs impacts sur le commerce international en général, et celui des produits et équipements sanitaires en particulier. Le confinement d’une partie substantielle de l’humanité et les fermetures des frontières ont fortement ralenti les économies nationales et, sans surprise, les échanges commerciaux internationaux. S’agissant de ces derniers, l’OMC estime qu’ils vont probablement subir un recul bien plus important (de 13 à 32% en 2020) que celui consécutif à la Grande Récession de 2008-2009 avec en outre des perspectives de reprise en 2021 tout à fait incertaines. Ce recul affectera en premier lieu les chaînes d’approvisionnement mondiales. Dans ce contexte, les restrictions et interdictions à l’exportation frappent par leur ampleur et davantage encore lorsqu’elles concernent les produits et équipements sanitaires ainsi que les médicaments.
D’après l’OMC pas moins de 80 pays (dont 72 de ses Membres au nombre de 164) ont récemment adopté une ou plusieurs mesures de ce type. Les plus nombreuses visent les produits et équipements de protection tels que les masques, les gants, les produits de désinfection, les ventilateurs, le savon, certains médicaments, etc. Certes d’autres produits, comme les produits agricoles (ou.. le papier toilette !), voient aussi leur commerce limité au plan national, mais la période récente montre que l’essentiel se concentre sur les produits et matériels utiles pour ne pas dire indispensables pour lutter contre la pandémie du coronavirus. Dans ce contexte, on a entendu parler de cargaisons de masques détournés de façon « musclée » de leur destination première à l’occasion de l’escale de l’avion qui les transportait ; ce qui fait dire à de hauts responsables politiques qu’il s’agit là d’actes assimilables à de la « piraterie » ! Des réquisitions ont paralysé l’acheminement de masques vers les pays qui les attendaient et qui en avaient cruellement besoin, obligeant l’Etat de nationalité de l’entreprise affectée à intervenir auprès de l’Etat procédant à la réquisition. On pourrait également citer des tentatives de confiscation par un pays de chargements de masques à l’occasion du transit de ceux-ci sur son territoire, etc. Bref, la peur de la pénurie et le désir de constituer des stocks de précaution sont à la source de ces comportements pour le moins inhabituels. Et ce phénomène se constate jusqu’au sein de l’Union européenne (UE) où, après avoir bloqué les exportations de ces produits et matériels vers les pays tiers, certains États membres en ont fait de même entre eux. D’où le message de la Commission européenne à plus de solidarité européenne et à une levée de ces interdictions à l’exportation sur le marché intérieur.
Sans doute, le G20 a-t-il par exemple exhorté les États à procéder avec mesure en faisant en sorte que les mesures en cause soient ciblées, transparentes, temporaires et proportionnées. Mais il faut savoir que la plupart de ces mesures sont, a priori du moins, légitimes en ce qu’elles traduisent la volonté de l’Etat de subvenir aux besoins sanitaires de sa propre population, et légales du point de vue du droit de l’OMC. Les règles administrées par l’OMC permettent à ses Membres, moyennant l’observation de certaines conditions (une application non-discrimination par exemple), de restreindre ou même de prohiber les exportations. Les seuls qui ne peuvent le faire sont ceux qui ont renoncé à cette possibilité lorsqu’ils ont adhéré à l’OMC (c’est le cas de pays comme la Chine par exemple). L’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) prévoit que les restrictions quantitatives, qu’il interdit de façon générale, sont néanmoins possibles « … pour prévenir une situation critique due à une pénurie de produits alimentaires ou d’autres produits essentiels… » pour le pays exportateur (article XI, §2, a). Et l’Accord sur l’agriculture de l’OMC précise les conditions régissant les restrictions des exportations alimentaires (article XII). Et il se trouve que les rares pays qui ont notifié leurs décisions d’interdire ou de limiter leurs exportations évoquées plus haut les ont justifiées par cette même disposition. On peut ajouter que le GATT prévoit une autre exception aux règles qu’il pose notamment pour les mesures « nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux » (article XX, b). On peut même se demander si, en voyant l’exemple des Etats-Unis, la sécurité nationale ne peut pas justifier de telles mesures, même si a priori on peut en douter (article XXI du GATT). Il convient d’ajouter que le pays qui procède à ces restrictions peut être lié par un accord commercial régional, comme dans le cas de l’UE, auquel cas celui-ci peut, il est vrai, exclure les possibilité de limiter les exportations de chacun des Etats parties destinées à ses partenaires également parties au même accord. Et c’est précisément le cas de plusieurs de ces accords, nombreux par ailleurs. Ainsi la Commission européenne considère-t-elle que « les interdictions totales d’exportation de médicaments ne sont pas conformes au traité et entravent le fonctionnement du marché unique. (Et) appelle tous les Etats membres à lever les interdictions injustifiées à l’exportation de médicaments à l’intérieur du marché intérieur. »
Abstraction faite des questions de légalité, force est de voir que cette situation crée inévitablement des tensions car, même si le besoin sanitaire est incontestable et légitime, les décisions dont il s’agit peuvent créer de réelles difficultés. Il est paradoxal de constater qu’à l’heure où la coopération (et devrait-on dire la solidarité) est plus que jamais nécessaire, c’est le chacun pour soi qui domine. La coopération internationale et le multilatéralisme n’en finissent pas de souffrir et d’alimenter par là même les critiques sur leur inefficacité renforçant du même coup le recours aux actions unilatérales. Si des pays riches craignent la pénurie, alors même qu’ils figurent pour nombre d’entre eux parmi les principaux producteurs et exportateurs des produits en cause, que dire alors des pays en développement qui attendent justement d’un commerce international libre et non faussé qu’il satisfasse leurs besoins en équipements et médicaments plus que jamais vitaux pour protéger leur population ? Qui plus est, il ne faut pas minorer l’effet domino de ce type d’initiatives, où l’initiative de l’un encourage celle de l’autre, et le rôle des rapports de puissance qui, à eux seuls, peuvent faire la différence. Ainsi, l’Inde, puissance pharmaceutique exportatrice bien connue, a décidé dans un premier temps d’interdire l’exportation de toute une série de médicaments ou de principes actifs pharmaceutiques, parmi lesquels la chloroquine et l’hydroxychloroquine, antipaludéens dont, à tort ou raison, on espère beaucoup pour combattre le coronavirus. Après réaction de mécontentement accompagnée parfois de menaces de représailles de plusieurs de ses partenaires les plus importants, et tout spécialement des Etats-Unis, les exportations ont vite repris vers une douzaine de pays… On s’explique dans ces conditions que l’Assemblée générale des Nations unies ait adopté le 20 avril 2020 une résolution invitant les États et les autres parties prenantes concernées à prendre immédiatement des mesures pour empêcher la spéculation et le stockage excessif et promouvant la mise à disposition de tous, et en particulier des pays en développement, des produits de protection et de tous matériels sanitaires utiles ainsi que du futur vaccin contre le Covid-19. Et le 24 avril dernier, le FMI et l’OMC ont appelé les gouvernements à s'abstenir d'imposer ou de renforcer les restrictions à l'exportation et autres restrictions commerciales, et à s'efforcer de supprimer rapidement celles mises en place depuis le début de l'année.
Ces restrictions et interdictions sont censées être temporaires, mais l’expérience enseigne qu’elles peuvent s’inscrire dans la durée, et les multiples inconnues entourant la pandémie actuelle peuvent alimenter nombre d’interrogations. Plus largement, on peut se demander si toutes ces initiatives ne préfigurent (ou ne signent) pas le nouveau visage de la mondialisation avec le besoin de chaînes de production plus resserrées, moins éclatées aux quatre coins du monde. L’enseignement à tirer est que, pour les pays qui le peuvent et s’agissant de produits sensibles d’importance névralgique, le schéma des chaînes de valeur, des unités de fabrication multiples et disséminées de par le monde, devrait sans doute être repensé pour éviter les situations décrites plus haut et la concentration dans un ou deux pays de la fabrication de produits et matériels indispensables à la protection de la santé. Et ce qui vaut pour la santé ne va-t-il pas être transposé à d’autres domaines ? Au delà, c’est l’avenir du système commercial multilatéral qui est en jeu. Déjà affaibli par les initiatives américaines et les guerres commerciales qui en ont résulté, notamment avec la Chine, il peut se rétracter et évoluer face au besoin d’autonomie et de protection éprouvé par de nombreux pays (leçon de la pandémie actuelle) et opérateurs économiques (affaiblis par la récession et craignant de maussades perspectives de reprise).
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