La mondialisation profite-t-elle aux pauvres ? edit
La mondialisation profite-t-elle aux pauvres, comme le croient les économistes les plus orthodoxes, le FMI et la Banque mondiale ? Ou les pauvres souffrent-ils au contraire de la compétition globale, comme le suggèrent de nombreux militants altermondialistes ? Le point de vue orthodoxe, le fameux " consensus de Washington " est souvent incorrect : au mieux, l'ouverture des frontières commerciales demande à être accompagnée par d'autres politiques si l'on veut que la mondialisation profite à tous. L'état de nos connaissances suggère quatre leçons, que les dirigeants mondiaux gagneraient à prendre en compte.
En premier lieu, dans les pays de main d'œuvre peu qualifiée, les pauvres ne profitent pas toujours de la libéralisation des échanges. Beaucoup d'économistes considèrent que si ces pays tirent un avantage comparatif de l'abondance d'une main d'œuvre bon marché pour l'exportation de biens requérant un travail peu qualifié, ladite main-d'œuvre en bénéficiera également. Mais cette relation n'a rien d'automatique. Pour qu'il en soit ainsi, les travailleurs devraient en effet être capables de quitter aisément les usines qui ferment pour accéder aux nouveaux emplois créés par la mondialisation. Or, dans de nombreux pays, parmi lesquels la Chine et l'Inde, cette mobilité reste une vue de l'esprit. Et même les travailleurs des pays pauvres ne peuvent entrer dans le marché global sans un minimum de formation et d'éducation. Les pays qui ont été capables de se positionner sur les marchés mondiaux sont ceux qui ont su développer leur système éducatif, leurs infrastructures et leur marché de l'emploi.
La deuxième leçon est que les gains de la mondialisation sont mieux distribués quand des politiques complémentaires sont mises en place. En Zambie, par exemple, les paysans n'ont profité de l'ouverture récente des marchés que quand ils bénéficiaient d'un accès au crédit, d'un savoir-faire technique et d'autres marchepieds. Les pays émergents doivent mettre en place des programmes pour protéger leur population des effets pervers de la mondialisation. Au Mexique, par exemple, les petits exploitants céréaliers qui subissaient la concurrence croissante des importations ont reçu des subventions. Sans ces transferts, la chute des prix aurait divisé leurs revenus par deux dans les années 1990.
On aurait donc tort de compter sur les seules réformes commerciales pour réduire la pauvreté. La conclusion du cycle de Doha ne suffira pas, loin s'en faut, à soulager la pauvreté mondiale. La libéralisation des échanges doit s'accompagner d'une aide des pays riches, sous forme de prêts et de projets pour développer l'éducation et les infrastructures.
La troisième leçon est que les crises financières sont très coûteuses pour les pauvres. En Indonésie, la pauvreté a augmenté après la crise monétaire de 1997. Une meilleure intégration des marchés financiers mondiaux était censée lisser les fluctuations de la consommation, mais sur ce point les prédictions des économistes n'ont pas été réalisées. Les pays à bas revenu profiteront donc d'autant mieux de l'intégration financière qu'ils auront créé des institutions solides et mené des politiques de stabilisation macroéconomique. Dans le jeu des flux financiers, on notera par ailleurs que les investissements directs ont un effet bénéfique pour la population locale, alors que l'arrivée de capitaux libres voit souvent au contraire une augmentation de la pauvreté. C'est ce qui se passe en Inde et au Mexique.
La mondialisation crée aussi bien des gagnants que des perdants chez les pauvres. Dans une même région, elle peut avoir des effets diamétralement opposés. Au Mexique, alors que les petits producteurs de céréales et la plupart des producteurs moyens voyaient leurs revenus baisser de moitié au cours des années 1990, les grandes exploitants ont vu au contraire leurs positions se renforcer et leurs salariés en ont profité. Dans de nombreux pays, les réformes commerciales et financières des années 1980 et 1990 ont profité aux salariés des secteurs exportateurs, alors que le taux de pauvreté augmentait dans les secteurs confrontés à la concurrence croissante des importations. Enfin, dans un même pays ou une même région, une réforme commerciale peut causer des pertes de revenu pour les paysans tout en se traduisant par des gains pour les consommateurs ruraux ou urbains.
Tout cela n'est pas sans conséquences pour le débat sur la mondialisation. Il est bien entendu que les pays en développement ont besoin d'accéder aux marchés des pays développés, ce qui rend si cruciale la réussite du cycle de Doha. Mais la libéralisation des échanges fait aussi des perdants parmi les pauvres. Comme ils sont nombreux, il est nécessaire de les faire bénéficier de programmes sociaux pour les aider dans la transition vers une économie plus ouverte. Ceux qui en ont le plus besoin sont les habitants des pays frappés par les crises financières, mais aussi les petits paysans qui ne peuvent rivaliser avec l'efficacité des grandes exploitations ou la concurrence des importations.
Pour que les pauvres profitent de la mondialisation, les Etats doivent leur fournir une meilleure éducation, un accès plus large aux infrastructures et au crédit, à la santé publique et à la technologie, les conditions en somme d'une meilleure mobilité.
Il serait illusoire et dangereux de faire croire que la libéralisation des échanges peut à elle seule réduire la pauvreté. Le libre échange ne tiendra cette promesse que si les Etats lui en donnent les moyens.
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