L’aide alimentaire doit-elle tomber dans l’escarcelle de l’OMC ? edit
Les négociations engagées dans le cadre de l’OMC à propos de l’aide alimentaire internationale posent un nouveau problème de gouvernance globale dans la mesure où l’OMC se retrouve en l’espèce confrontée à d’autres organisations intergouvernementales telles que le Programme alimentaire mondial (PAM), ou le Conseil international des céréales qui administre, en particulier, la Convention relative à l’aide alimentaire. Le paradoxe, c’est que les Etats prennent, dans ces négociations, des positions clairement contraires à celles qu’ils soutiennent dans d’autres débats de gouvernance globale, comme c’est le cas par exemple les relations entre les règles de l’OMC et les Accords environnementaux multilatéraux (AEM).
Ce débat à front renversé est particulièrement remarquable si l’on examine les positions individuelles des Etats-Unis et de la Communauté européenne. Alors que les Etats-Unis refusent de considérer les AEM dans les négociations sur l’environnement à l’OMC, ils entendent renvoyer la plupart des aspects de l’aide alimentaire internationale à un instrument extérieur à l’OMC, à savoir la Convention relative à l’aide alimentaire. La Communauté européenne fait exactement l’inverse : un renvoi systématique aux AEM lors des négociations sur l’environnement à l’OMC et un refus quasi systématique de voir la Convention relative à l’aide alimentaire régir les questions d’aide alimentaire à l’OMC.
Dans le cadre des négociations du cycle de Doha, comme c’était le cas pour le cycle d’Uruguay, les questions relatives à l’aide alimentaire relèvent des engagements en matière de concurrence à l’exportation de l’Accord sur l’Agriculture de l’OMC. En particulier, l’article 10.4 demande aux Membres fournissant une aide alimentaire internationale d’éviter tout détournement commercial .Il précise la définition et les conditions d’une aide alimentaire justifiée, les produits éligibles, la forme, la nature et les modalités de l’octroi de l’aide alimentaire, y compris l’aide d’urgence, le transport, la livraison et la distribution, ainsi que l’évaluation des programmes d’aide alimentaire.
Or, ce sont précisément ces différents aspects de l’aide alimentaire qui sont l’objet des négociations actuelles dans le cadre de l’OMC en vue d’une réforme de l’article 10.4 de l’Accord sur l’agriculture. Ainsi, les Etats-Unis semblent se satisfaire largement de la Convention relative à l’aide alimentaire et des Principes de la FAO et demandent que ces instruments deviennent les instruments de référence en matière d’aide alimentaire. En revanche, la Communauté européenne souhaiterait utiliser les négociations à l’OMC pour renégocier plusieurs dispositions de la Convention relative à l’aide alimentaire et imposer des conditions plus strictes à toute fourniture d’aide alimentaire.
A la lecture des différentes propositions, il apparaît évident que la plupart des points en discussion à l’OMC sont d’ores et déjà couverts par les instruments existants. Par exemple, le fait que l’aide alimentaire doive être basée sur une identification et une évaluation des besoins afin d’améliorer la sécurité alimentaire dans les pays bénéficiaires, le fait que l’aide puisse être fournie sous la forme de dons en produits alimentaires ou en espèces ou de ventes de produits alimentaires contre monnaie du pays bénéficiaire ou à crédit, le fait que toute opération d’aide alimentaire soit effectuée de façon à éviter tout détournement commercial, le fait que l’octroi d’une aide ne soit pas lié directement ou indirectement à des exportations commerciales de produits agricoles ou autres marchandises et services : tout cela est inclus dans les textes existants.
Mais c’est sans doute la définition de l’aide alimentaire d’urgence qui divise les grandes puissances. Ainsi, les Etats-Unis distinguent soigneusement l’aide alimentaire d’urgence des autres aides alimentaires. La définition qu’ils proposent de l’aide alimentaire d’urgence qui serait mise à disposition de pays bénéficiaires dont la liste reste à établir est purement et simplement celle, très large, qu’ont proposée des experts du PAM, et que le PAM a officiellement reprise à son compte en 2005. La Communauté européenne, au contraire, en propose une définition beaucoup plus étroite, à développer dans le cadre de l’OMC.
On perçoit mal cependant les enjeux de la question globale si, derrière la querelle autour des éléments de fond, on oublie le problème plus fondamental de l’instance compétente. L’OMC a su, dans d’autres domaines, renvoyer à l’expertise des organisations internationales compétentes ou des organismes de normalisation pertinents, comme par exemple le Codex alimentarius. Ainsi, l’Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) a permis un renforcement substantiel de la Commission du Codex, mais aussi de l’Office international des épizooties ainsi que des organisations opérant dans le cadre de la Convention internationale pour la protection des végétaux.
Dès lors, il n’apparaît pas judicieux d’investir l’OMC de pouvoirs dans des domaines techniques qui ne relèvent pas de son champ de compétence, de son expérience et de son savoir-faire. Plutôt que d’ouvrir à l’OMC un nouveau champ d’affrontements, l’une des pistes de réflexion pourrait être de renforcer le rôle et les pouvoirs des organismes administrant la Convention relative à l’aide alimentaire et les Principes de la FAO, tout en recueillant l’avis sous une forme à convenir, le Programme alimentaire mondial (PAM), principal responsable de l’aide alimentaire d’urgence.
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