OMC : la percée Falconer edit
Parmi les sujets qui fâchent à l’OMC et qui expliquent le blocage des négociations figure la question de ce que les spécialistes appellent l’accès au marché, c’est-à-dire la réduction des barrières tarifaires sur les produits importés. La seconde proposition Falconer, mise sur la table le 8 février dernier, offre des solutions nouvelles pour débloquer la négociation.
Les grandes propositions ont été jusqu’ici la proposition Harbinson de 2003, les propositions émises lors de la conférence de Hong-Kong de décembre 2005 et la première proposition Falconer de juillet 2007.
La nouvelle formule de réduction des droits de douane, par paliers, est raisonnable : elle permet de baisser davantage les droits de douane initialement les plus hauts. Une clause des produits sensibles est maintenue, permettant à chaque pays de libéraliser moins certains produits de son choix. Cette clause concernera [4] [6] % de tous les produits agricoles (les crochets signifiant que cela reste à négocier), ce qui apparaît raisonnable compte tenu des positions de départ : 1% pour les Américains, 8% pour les Européens, 16% pour le G10, ce dernier chiffre étant quasiment une proposition insultante pour les pays de tradition agricole.
Evidemment il a été souligné à plusieurs reprises que cette clause des produits sensibles est problématique : la structure de la protection dans le monde est très élevée sur très peu de produits de sorte que cette clause, même fixée à deux ou trois points de pourcentage, amoindrit énormément l’ambition libre-échangiste.
Justement la grande surprise de cette nouvelle proposition Falconer est qu’elle introduit, par dessus la formule par paliers et la clause des produits sensibles, l’exigence d’une coupe moyenne minimale dans les droits agricoles pour les pays développés : 54%. Autrement dit, si l’application de la formule par paliers et de la clause des produits sensibles fait que la réduction moyenne des droits de douane dans l’agriculture est de moins de 54%, il faudra que les pays riches fassent un effort supplémentaire. C’est évidemment dans un souci d’obtenir une ouverture effective significative de ces marchés que ce point a été intégré dans la proposition et afin aussi d’éviter que les effets d’une formule par paliers ambitieuse soient tronquée par des clauses ultérieures.
Pour les pays en développement on leur propose au contraire une coupe moyenne des tarifs dans l’agriculture au maximum de 36%. Ce qui montre un souci d’équilibre dans les efforts demandés aux uns et aux autres, en fonction de leur force respective : les pays les moins avancés et les économies petites et vulnérables bénéficient aussi d’un régime de faveur. On retrouve ces éléments de « traitement spécial et différentié » tout au long du texte.
Si cette proposition est ambitieuse, elle est aussi assez complète en matière de traitement des problèmes posés par la libéralisation mondiale de l’agriculture. Donnons-en quelques illustrations.
La proposition demande à l’ensemble des pays un effort pour convertir leurs droits de douane non ad valorem en droits de douane ad valorem : un droit ad valorem est un droit défini en pourcentage du prix Coût Assurance Fret. Il est simple, transparent et immédiatement comparable d’un pays à l’autre. Lorsqu’au contraire un droit est défini de manière spécifique (tant d’euros par kg par exemple), il est peu transparent, et peut pénaliser davantage les produits de faible prix, comme ceux des pays pauvres, notamment. La Suisse par exemple a 100% de sa protection agricole sous forme de tarifs spécifiques, la Norvège quelque 88%, le Japon 75% environ.
La proposition se préoccupe aussi du problème de l’escalade tarifaire : lorsque les tarifs sur les biens transformés sont supérieurs aux tarifs sur les matières premières agricoles la protection sur le bien transformé s’en trouve mécaniquement amplifiée. Si vous faites de la sauce ketchup (désignation officielle de la nomenclature standardisée) et que vous avez besoin pour cela uniquement de tomates, que le prix mondial du ketchup est de 2 euros le kg et le prix de la tomate de 1 euro le kg, vous avez une valeur ajoutée unitaire de 1 euro le kg en libre-échange. Si on impose un droit de douane de 50% sur les tomates et de 100% sur le ketchup, les prix intérieurs vont augmenter à 1,5 et 4 euros, la valeur ajoutée unitaire passe à 2,5 euros le kg ; autrement dit la protection effective des marchands de ketchup est de 150%. C’est un problème fondamental : si les producteurs des pays riches ont des protections effectives fortes sur les produits agricoles transformés, les pays pauvres ne peuvent pas remonter la filière de production et passer de la production de produits bruts à des produits transformés.
La proposition Falconer inclut donc une clause sur l’escalade tarifaire en augmentant les coupes des tarifs sur les produits transformés, lorsqu’on se retrouve dans le cas de figure précédent et pour un certain nombre de produits (entres autres : les tomates et le ketchup ! la liste étant encore ouverte à négociation).
La proposition inclut aussi une clause concernant les produits dits « tropicaux et de diversification », élément certainement demandé par les grands pays agricoles (Brésil, Argentine…). Ces produits devront être l’objet d’une libéralisation plus poussée ; cela couvre notamment les bananes, l’huile de palme, le sucre…
Comme il y a beaucoup de positions préférentielles sur ces « produits tropicaux et de diversification » (un certain nombre de pays, souvent petits, ont obtenu d’exporter ces produits vers les grands marchés sous des régimes préférentiels ; pays des Caraïbes ou pays d’Afrique Subsaharienne vers l’Union européenne, par exemple) et que cette dernière clause pourrait conduire à une forte érosion des préférences, catastrophiques pour ces petits pays, le texte inclut, sur un certain nombre de produits, un délai de 10 ans pour l’application de la « clause des produits tropicaux ».
Bref le texte recherche une libéralisation assez ambitieuse des marchés agricoles, tout en tentant de répondre à toutes les controverses fondamentales. Il constitue donc un véritable progrès dans des négociations difficiles : on ne peut conclure ce Round du Développement sans parvenir à une libéralisation assez poussée de ce secteur et le texte sera obligatoirement compliqué, car la situation de départ l’est particulièrement.
L’acceptabilité de ce texte dépend d’éléments extérieurs : la négociation dans le secteur industriel et les efforts demandés dans ce domaine aux pays à revenu intermédiaire. Enfin le niveau actuel des prix agricoles mondiaux, niveau qui facilite l’acceptation d’une libéralisation. A condition que ce niveau soit durable.
Reste la réaction du ministre de l’Agriculture Michel Barnier qui juge « inacceptable » le nouveau texte Falconer. C’est un point de vue… et peut-être une position stratégique. Sa justification (ce texte est inacceptable « à un moment où l'on est tous soucieux de la croissance européenne et qu'on constate dans cette croissance la part que tient l'économie agricole ») est étonnamment faible : l’industrie et les services représentent aujourd’hui 97% de la population active française et près de 98% du PIB. Il semble plus souhaitable pour soutenir la croissance économique de garantir l’ouverture de marchés extérieurs pour ces secteurs d’activité.
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