Angela : 100 jours à Berlin edit
De manière générale, un verre est soit à moitié vide soit à moitié plein. En Allemagne, les gens ont pris habitude de le voir à moitié vide, et les perspectives économiques ne font pas exception à cette règle. Depuis quelques mois, pourtant, les choses semblent aller mieux : la Bourse, qui reste un bon indicateur de la santé économique, est florissante ; l'index DAX a pris 30 % en un an. Les investissements vont bon train, et les hedge funds étrangers regardent l'Allemagne avec de plus en plus intérêt. Selon une enquête de l’Institut Ifo, le moral des dirigeants n’a jamais été aussi haut depuis la Réunification, il y a quinze ans. La production industrielle à l’Est est en hausse de 30 % depuis 2000 (pour seulement 4 % à l'Ouest). Même les analystes allemands parlent d'un « effet Merkel ». Le bon vieux temps serait-il de retour ?
Je n’aime pas jouer les rabat-joie, mais nous sommes loin d'un nouvel âge d'or, ce qui devrait quelque peu dégriser le reste de l'UE. Evaluée par les plus optimistes à 2% pour 2006, la croissance réelle reste modeste, même comparée à la moyenne européenne. Elle sera pour une large part le fait de consommateurs anticipant une hausse de 3 points de TVA planifiée pour 2007, ce qui laisse craindre une retombée. Si l’on considère le long terme, il faut faire beaucoup plus. Dans la période 1995-2005, la croissance réelle de l'économie allemande n’a été que de 14,5%, contre 23% au Danemark, 25% aux Pays-Bas et 32% au Royaume-Uni (25% dans l'UE 25). En dépit d’un chômage record, l'Allemagne affronte la première grève de secteur public depuis 1992 – à propos d’une augmentation de 18 minutes par jour de la durée du travail. Et le puissant syndicat IG Metall exige une augmentation des salaires de 5%, en arguant de la nécessité de soutenir la consommation : si l’on paie davantage les travailleurs, ils consommeront davantage.
L'Allemagne a pourtant aujourd’hui une magnifique occasion de sa lancer dans des réformes sérieuses, comme on n’en avait pas vu depuis les années 1960. Et les 100 premiers jours du gouvernement Merkel ont vu des discussions significatives autour d’un certain nombre de questions urgentes, qui attendent quelquefois depuis plusieurs décennies :
La réforme des retraites. Après des années d'opposition doctrinale à tout ajustement démographique du système des retraites, le SPD a récemment proposé de relever l'âge de retraite à 67, une décision saluée par les analystes et qui a fait grincer des dents en interne. Pour mémoire, Gerhard Schröder avait abrogé une modeste réforme d’Helmut Kohl (CDU) au milieu des années 1990.
Salaire minimal. L'Allemagne figure parmi les quelques pays de l’OCDE qui n'en ont pas, faisant confiance à ses puissants syndicats et aux associations d'employeurs pour faire respecter les accords salariaux. Mais avec la chute du nombre des adhésions et du fait que l'Allemagne de l'Est est une zone sans syndicats, les salaires baissent, surtout dans les nouveaux Länder. Longtemps refusée par la CDU, l’idée d’un salaire minimal est à présent au programme des deux partis de la coalition. Le plus urgent est sans doute de subventionner les emplois faiblement rémunérés, ce qu’il est prévu de faire à la manière européenne, en versant les aides aux employeurs et non aux salariés. Cela déplacera probablement le bas de la structure salariale, ce qui devrait augmenter le coût de ce programme pour l’Etat. En principe, un salaire minimal devrait empêcher les employeurs d'exploiter des chômeurs de plus en plus désespérés et peu mobiles.
Marché du travail. Gerhard Schröder a largement entamé cette réforme courant 2003 avec l’Agenda 2010. Il a créé la commission Hartz – à présent décriée – qui a notamment proposé de restreindre les conditions d’éligibilité et la durée d’indemnisation des chômeurs tout en utilisant de façon plus disciplinée les politiques destinées à activer le marché du travail. Mais Schröder, qui souhaitait lancer l’intégralité des mesures préconisées par la commission Hartz, en a été empêché par son propre parti et par l'opposition CDU. A présent, on n’entend presque plus personne proposer de revenir en arrière, et à tout le moins on a fait de gros progrès contre le gaspillage des subventions. Au passif de cette politique, on peut compter le fait que l’Etat dépense aujourd’hui plus d’argent pour les chômeurs qu’avant les réformes Hartz IV, mais au moins on ne peut plus leur reprocher leur manque de générosité. En fait, elles jouent aussi bien, et de plus en plus activement, sur la carotte (indemnisations supérieures et offres d’emplois) que sur le bâton (sanctions pour ceux qui refusent un emploi ou ne sont pas disponibles).
La réforme du système fédéral. Cet ensemble de réformes élaboré il y a quelque temps par une commission bipartisane peut à présent être lancé. Les Bundesländer (les Etats fédéraux) auraient plus de liberté dans la réalisation des politique économiques et budgétaires, ainsi que dans la politique éducative ; la seconde chambre (Bundesrat) perdrait un peu de sa capacité de bloquer la législation, comme cela a été de plus en plus souvent le cas au cours des dernières années.
Si l’on souhaite que l’Allemagne se rétablisse durablement, une réforme du système social est aussi nécessaire. Les succès du Royaume-Uni, des Pays-Bas et du Danemark ont tous été rendus possibles par des réserves solides, crédibles et durables. Curieusement, la bonne période économique qui s’annonce – ou que l’on espère – pourraient bien en la matière se montrer contreproductive, car les hommes politiques ont tendance à perdre de leur concentration quand l'économie va bien et que le chômage commence à décliner. La situation se complique ici du fait que le SPD contrôle le ministère du Travail et que sa courbe de popularité fléchit à chaque réforme, alors que la chancelière brille sur la scène internationale. Angela Merkel doit d’ailleurs une grande partie de son succès aux réformes engagées par son prédécesseur – chacun sait qu’elles prennent du temps pour produire leurs effets. .
Il faut reconnaître que les 100 premiers jours d'Angela Merkel ont donné l’impression que quelque chose bougeait. Mais la coalition n’a pas commencé. Et les réformes des marché des biens, des finances publiques et surtout du travail risquent fort de déclencher des conflits dans les mois à venir.
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