Européennes : aimez-vous Sarkozy ? edit
Une fois de plus, l’essentiel des débats en vue de l’élection du Parlement européen porte sur un seul thème : la politique nationale. En 2009, cela veut dire en France le sarkozysme ou l’anti-sarkozysme. Tous les partis politiques sont responsables de ce rapt du débat sur l’Europe, y compris ceux dont on pouvait s’attendre qu’ils s’appuient sur une longue tradition pro-européenne pour faire des propositions originales. François Bayrou, héritier du centrisme pro-européen, n’a ainsi que faire de l’Europe dans cette campagne. La seule chose qui lui importe est d’apparaître comme le principal opposant de Nicolas Sarkozy.
En étant spécialement consacré à la construction européenne, le discours prononcé à Nîmes le 5 mai par le Président de la République aurait pu faire espérer enfin des propositions nouvelles sur l’Europe, qui auraient incité en retour un Parti socialiste totalement asséché sur ce thème depuis le référendum de 2005 à prendre position. Or le discours de Nicolas Sarkozy ne comporte aucune force régénératrice. A l’exception des deux idées intéressantes visant à créer un comité des régulateurs bancaires et une centrale européenne d’achat du gaz, il comporte peu de propositions pour une relance constructive de l’Europe. Il est même à craindre que le discours de Nîmes ait conforté plutôt deux traits pathologiques de la manière dont bien des politiciens français, de droite comme de gauche, appréhendent en 2009 la construction européenne.
Le premier trait est cette conviction (certes pas nouvelle) que, par son rôle « particulier » et son génie, la mission de la France serait de sauver une Europe qui va mal. Le retour de Nicolas Sarkozy sur le bilan de la présidence française de l’Europe en 2008 est à cet égard emblématique: « Si la Géorgie n’a pas été rayée de la carte, si un cessez-le-feu a pu intervenir à Gaza, si l’Europe n’a pas cédé au sauve-qui-peut et au chacun pour soi quand le système bancaire a failli s’effondrer », c’est parce que la France était là. L’Europe est présentée aux Français non pas comme une communauté de vingt-sept membres dont la force est de négocier un bien commun, mais comme un machin qui a besoin du leadership d’un sauveur courageux qui, bien entendu, se trouve à Paris. C’est exactement la même représentation qui animait les politiciens de gauche en 2005, convaincus que le non français au référendum de 2005 allait permettre à la France d’insuffler un plan B pour le bonheur social de l’ensemble de l’Europe. Si cette conception peut flatter utilement l’ego national, il est à craindre qu’elle ne prépare nullement les Français à accepter davantage la réalité de l’Europe qui est faite au contraire de partage, de négociation et de compromis. Mais peut être déteste-t-on le compromis en politique, voire le compromis tout court, dans ce pays?
Le second trait pathologique du discours de Nicolas Sarkozy est cette idée selon laquelle l’engagement des Français en faveur de l’Europe passera forcément par l’énoncé de frontières strictes qui, tout en les confortant sur leur identité, doivent les protéger de la dilution dans « un élargissement sans fin ». Cette conviction remet immédiatement en scène le serpent de mer de l’adhésion turque, un pays certes ami mais si différent de « nous » par la culture et l’histoire qu’il n’a pas « vocation à devenir membre de l’Union européenne ». L’utilisation du repoussoir turc, que certains partisans du oui avaient déjà mis en avant lors du référendum de 2005, est parfaitement stupide car on ne renforcera jamais l’engagement européen des Français (comme de n’importe quel autre peuple d’ailleurs) par la négative. Après les dégâts causés par le fantasme du plombier polonais, la France n’a pas forcément besoin de repousser le Turc musulman pour croire davantage en l’Europe. Au contraire, faire avancer l’idée européenne nécessite de convaincre les Français que l’identité européenne consiste à pas avoir peur de l’ouverture (donc de l’élargissement) et à appréhender l’incertitude (celle du temps, celle des frontières).
Mais peut-on blâmer seulement Nicolas Sarkozy de procéder ainsi ? La réponse est non si l’on considère que sa position ne fait que traduire l’incapacité de nombreux responsables politiques français, socialisés dans la petite Europe d’avant 1989, à accepter que l’élargissement porté par la fin de la guerre froide n’a pas tué l’Union européenne mais lui a donné, à l’inverse, une nouvelle raison de continuer l’œuvre des Pères fondateurs. Tant que cette conviction n’aura pas été acquise, et cela demandera certainement une génération, le peu de discours français sur l’Europe demeurera essentiellement nostalgique et défensif du bon vieux temps où l’on était six voire douze. Regretter le passé empêche de penser l’avenir. C’est aussi pour cela qu’il n’y a pas de débat européen digne de ce nom dans cette élection européenne.
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