Le retour de l'Entente cordiale ? edit
Pour la diplomatie française, la visite d'Etat de Nicolas Sarkozy au Royaume-Uni, en mars 2008, est considérée comme un succès. Le président a montré dans ses interventions un engagement et une chaleur qui tranchent avec l'attitude plus protocolaire de ses prédécesseurs. Il a parlé de la nécessité de construire une « entente fraternelle » entre les deux pays. Mais ces paroles sont-elles appelées à devenir des réalisations concrètes ou resteront-elles ce que l'on appelle en anglais du wishful thinking ?
À l'adresse de ses concitoyens, Nicolas Sarkozy a donné les réformes économiques britanniques depuis Margaret Thatcher comme des " références " et des modèles pour les réformes qu'il a engagées en France. Mais son principal objectif pendant cette visite fut d'inviter le gouvernement britannique à agir davantage avec la France au sein de l'Union européenne. " L'Europe a besoin du Royaume-Uni " a-t-il répété devant les membres britanniques des deux chambres. Voici un autre changement par rapport à ses prédécesseurs plus enclins à faire de telles déclarations devant le Bundestag.
Une question cependant se pose après la visite de Nicolas Sarkozy : les demandes qu'il a adressées à Gordon Brown peuvent elles devenir des réalisations concrètes ou resteront elles ce que l'on appelle en anglais du " wishful thinking " ? La réponse à cette question dépend de l'évolution de la politique européenne à Paris, qui semble connaître une certaine normalisation depuis l'élection de Nicolas Sarkozy, mais surtout aussi du débat à Londres. Un gouvernement britannique, travailliste comme conservateur, peut il vraiment renforcer l'engagement politique du pays au sein de l'Union ? Pour l'instant, sur fond de sondage favorable aux Conservateurs, la réponse est plutôt réservée. Gordon Brown comme David Cameron, le leader de l'opposition conservatrice, ne souhaitent pas faire de l'Europe un thème trop ouvertement explicite du débat politique. Le principal problème n'est d'ailleurs pas l'opinion publique britannique, qui n'est pas aussi antieuropéenne qu'on le pense parfois sur le continent, mais leurs partis. Au Royaume-Uni, l'euroscepticisme est davantage marqué au sein de l'establishment politique que de la société.
Les chances de voir Londres s'engager davantage aux côtés de Paris au sein de l'Union dépendront beaucoup des secteurs car Londres n'a jamais eu de politique globale ou holiste à l'égard de la construction européenne.
Si l'on revient aux propositions de Nicolas Sarkozy, il ne fait pas de doute que l'énergie ou la lutte contre le changement climatique (deux priorités de la prochaine présidence française) peuvent recevoir un soutien réel de Londres. Ce sont deux politiques que le Parti travailliste comme le Parti conservateur ont inscrit dans leurs manifestes politiques. Des progrès peuvent aussi être réalisés dans le domaine de la défense. Bien qu'il n'ait jamais explicitement évoqué une échéance lors de son voyage à Londres, Nicolas Sarkozy pourrait réintégrer l'ensemble des structures militaires de l'Otan quittées par De Gaulle en 1966. Cette perspective est jugée positivement à Londres. Il y a cependant une contrepartie dans le projet de Nicolas Sarkozy qui est l'obtention de la part des Etats-Unis d'une plus grande autonomie opérationnelle de l'Europe au sein de l'Otan. Ce deuxième élément du deal est regardé avec moins d'enthousiasme à Londres. Toutefois, Gordon Brown comme David Cameron doivent aussi prendre en considération le fait que les Américains eux-mêmes sont prêts à faire preuve de flexibilité sur ce sujet et que l'activisme de Nicolas Sarkozy à Washington est devenu une nouvelle réalité.
Au-delà de ces sujets, il y a peu de chance qu'un rapprochement ambitieux se manifeste entre Paris et Londres sur un sujet comme l'immigration. Quand Nicolas Sarkozy déclare devant la Chambre des Communes et des Lords qu'il est " essentiel d'obtenir un Pacte européen sur l'immigration ", qu'attend-il de Londres ? Une adhésion pleine et entière aux accords de Schengen ? Une levée des exemptions contenues dans le traité de Lisbonne ? Sur cette question, qui concerne la sensibilité des électeurs britanniques, il y a fort peu de chances que le Parti travailliste, et encore moins le Parti conservateur, aillent beaucoup de l'avant en Europe. De même, lorsque Nicolas Sarkozy appelle à Londres à dire " oui à la globalisation et, en même temps, oui à une plus grande protection des travailleurs ", il ne doit s'attendre à ce que les Britanniques soutiennent plus de politique sociale au sein de l'Union.
Il serait donc très optimiste de penser que la relation franco-britannique va devenir le nouvel axe stratégique de l'Union à 27, comme le fut pendant de nombreuses années la relation franco-allemande. Sur des sujets comme l'immigration ou la politique monétaire, la France peut faire encore davantage avec l'Allemagne, les Pays Bas ou l'Espagne, pour la bonne et simple raison que ces pays sont membres de l'Eurozone et des accords de Schengen. La France ne pourrait vraiment construire une nouvelle relation stratégique avec Londres au sein de l'Union que si le Royaume Uni renonçait, comme le propose le Premier ministre danois pour son propre pays, aux nombreux opting out qui régissent encore ses engagements européens. Mais une telle normalisation ne semble pas prioritaire au sein des deux principaux partis qui continuent à être traversés par d'incessants débats sur la spécificité britannique en Europe. Cette spécificité, qui nourrit l'imagination des politiciens - et des tabloïds - relève largement du mythe. En fait, la structure et l'ethos de la société britannique sont très européens et l'opinion publique britannique pourrait soutenir une politique plus ambitieuse à l'égard de l'Europe.
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