Traité simplifié, 2. L'Europe sera-t-elle relancée ? edit
Le difficile compromis négocié au Conseil européen de Bruxelles ouvre la voie à la convocation dès juillet d'une Conférence intergouvernementale chargée de rédiger un Traité modificatif pour la fin de l'année. Les termes de Constitution ou de traité constitutionnel sont abandonnés. Ceux qui, en France, ont voté non au référendum de mai 2005 en espérant que le Traité constitutionnel serait redéfini selon des termes plus ambitieux peuvent aujourd'hui mesurer leur naïveté. Les refus français puis néerlandais ne pouvaient conduire qu'à ce qui est récolté aujourd’hui : un Traité minimal qui ne saurait être comparé à l'Acte unique européen de 1987 ou au traité de Maastricht de 1992. S'il faudra attendre la fin de la CIG pour que soit défini le contenu précis du nouveau Traité, il est frappant de constater la précision avec laquelle les chefs d’Etat et de gouvernement en ont déjà fixé le cadre. A tel point que l'on peut s'interroger sur ce sera que le rôle réel de la future CIG.
En reprenant les principales dispositions institutionnelles du Traité constitutionnel, le Traité modificatif se veut d’abord le moyen de permettre un fonctionnement plus efficace de l’Union élargie : réduction de la Commission de 27 à 18 membres, extension de règle de la majorité qualifiée au Conseil des ministres afin de limiter les risques du veto. Cette efficacité renforcée devrait s’appliquer également aux institutions nationales en charge du travail européen. C’est ainsi que les parlements nationaux devraient voir étendu leur délai d’examen des projets d’acte législatif européens.
L’idée qu’il faille réformer les institutions de l’Union parce que l’on est plus nombreux semble découler bon sens, bien qu’elle soit contredite par plusieurs travaux récents de chercheurs qui montrent que l’Union décide plus vite à 25 qu’à 15.
Mais le principal apport du Traité modificatif semble finalement ailleurs : donner des assurances aux citoyens qui, marqués par une sorte de retour vers le national, redoutent de plus en plus les pertes de pouvoir (y compris symboliques) de leur Etat-nation respectif. On peut multiplier les exemples à l’appui de ce constat : abandon de toute référence au drapeau ou à l’hymne européen, refus de la dénomination de ministre européen des Affaires étrangères (un ministre ne peut être que national), absence de référence explicite à la primauté du droit européen à la demande du Royaume -Uni, suppression de la référence à la « concurrence libre et non faussée » dans l’article sur le marché intérieur à la demande de la France, dérogation britannique pour échapper au caractère juridiquement contraignant de la Charte sur les droits fondamentaux. S’ajoute à cette liste déjà longue l’arrangement avec la Pologne qui reporte à 2017 le vote à la double majorité (des Etats et de la population) au Conseil des ministres, au lieu de 2009 dans le Traité constitutionnel.
L’Etat n’est décidément pas mort dans l’imaginaire des citoyens européens et leurs représentants –qui ont à cœur d’être réélus – les ont bien relayés à Bruxelles. La première raison de ce retour un peu crispé à l’Etat est paradoxale : à mesure que la mondialisation défie les compétences de l’Etat, les citoyens réclament en parallèle plus de protection en provenance de ce même Etat. En Europe, les citoyens sont encore loin de considérer les politiques de l’Union comme un substitut légitime à l’Etat destiné à maîtriser la mondialisation. La seconde raison découle de la fin de la Guerre froide. La recomposition démocratique de l’Europe centrale et orientale a redonné vie à des Etats dont la souveraineté avait été bafouée pendant cinquante ans. Les nouveaux Etats membres ont besoin de vivre pleinement cette restauration de leur Etat qu’ils conçoivent comme une juste compensation à leur histoire tragique. Les propos du président Lech Kaczynski déclarant que la Pologne doit bénéficier des mêmes droits de vote que les autres « grands », car elle compterait 66 millions d’habitants sans les expériences douloureuses du nazisme et du communisme, ne sont pas simplement tactiques. Ils expriment la conviction réelle d’une injustice à réparer.
Lorsque la CIG aura rendu ses conclusions, il restera encore à passer une nouvelle épreuve de force de la ratification par chacun des 27. Si la plupart des Etats membres (dont la France) auront recours à la ratification parlementaire, l’Irlande aura l’obligation constitutionnelle d’organiser un référendum. Le Danemark s’interroge également sur l’éventuelle nécessité constitutionnelle d’une procédure référendaire. Quant à la Grande-Bretagne, l’opposition conservatrice appelle d’ores et déjà Tony Blair et Gordon Brown à organiser une consultation populaire. Mais le nouveau Premier ministre ne se lancera certainement pas dans cette aventure qu’il est certain de perdre, ce qui l’obligera à être ferme pendant la CIG pour convaincre son opinion publique que le nouveau texte est très en retrait du Traité constitutionnel.
Si le Traité modificatif a du mal à passionner ceux qui croient encore à l’Union européenne, son adoption puis son entrée en vigueur, souhaitée avant les élections européennes de 2009, présentera au moins un avantage: il permettra d’orienter le débat européen vers des thèmes plus en phase avec les préoccupations réelles des citoyens. Car tout est loin d’être négatif dans la situation actuelle de l’Union européenne. Au contraire, on assiste depuis quelques mois à des changements majeurs susceptibles de relancer les initiatives entre les Etats membres. La première est le renouvellement des leaders dans plusieurs pays, en particulier en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne. La seconde est une amélioration de la situation économique de la zone euro après dix années de quasi stagnation. Pour Gordon Brown, le Premier ministre britannique, cela devrait être une incitation à s’intéresser un peu plus à la coopération avec ses partenaires continentaux. Pour les chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro (ou aspirant à en faire partie), c’est une invitation à s’inspirer des réussites économiques britanniques sans se sentir forcément loin derrière.
Il y a peu de chance que le Traité modificatif contienne une clause de rendez-vous appelant à la négociation d’un Traité à caractère constitutionnel plus ambitieux après 2009. Il serait utile pourtant de penser à cette prochaine étape, en évitant toutefois de reproduire une erreur qui, depuis le traité de Nice, a considérablement limité les chances de succès de toutes les réformes de l’Union : celle de mettre en avant les institutions avant les politiques publiques. Que ce soit le changement climatique, l’énergie, ou la politique étrangère, ce sont d’abord des objectifs de politique publique qu’il faut afficher pour convaincre les citoyens du bien fondé de l’Union européenne. Cela ne veut pas dire, comme on l’entend parfois en Grande-Bretagne ou ailleurs, que la réforme des institutions européennes est inutile. C’est même tout le contraire. Dès lors qu’un agenda de politiques européennes est établi, l’adaptation des institutions en découle et trouve plus facilement sa légitimité auprès des citoyens.
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