Comment la FED gère la crise edit
Les banquiers centraux sont des gens conservateurs. Ils appliquent leur politique avec grand soin, s'expriment avec précision, donnent une explication complète des évolutions et étudient avec précision les signes annonciateurs du prochain désastre. Une bonne politique monétaire est caractérisée par sa prévisibilité, mais si une crise frappe, les outils disponibles ne sont pas adaptés et les responsables des banques centrales doivent improviser. C'est ce qui s'est passé en août 2007.
Depuis quelque temps déjà, un consensus s'est établi parmi les spécialistes sur les fondamentaux de la politique monétaire. Selon ce consensus, les banques centrales doivent être indépendantes mais avec des objectifs clairement définis et elles sont redevables de leurs résultats. Elles utilisent comme instrument le taux d'intérêt. Elles font également preuve de transparence et de clarté quand elles communiquent sur ce qu'elles font et pourquoi elles le font. En outre, c'est aux banques centrales que revient la responsabilité de contrôler et protéger la stabilité du système financier.
Un élément important de ce consensus a été que les banques centrales devaient fournir des liquidités à court terme aux institutions financières solvables qui en avaient besoin. Mais, comme l'ont montré les événements de 2007 et 2008, toutes les liquidités ne se valent pas. Et, ce qui pose un problème, le modèle consensuel n'offre pas de solution immédiate pour construire et résoudre ce genre de problème.
Dès le début de 2007, les éléments d'une crise étaient en place. Les prix de l'immobilier aux Etats-Unis atteignaient des niveaux sans précédent et les emprunts contractés par les acquéreurs étaient plus hauts qu'ils ne l'avaient jamais été. La qualité des hypothèques déclinait sensiblement. Et, ce qui est le plus important, la titrisation de ces hypothèques - leur revente et assemblage dans de vastes portefeuilles que l'on nomme titres adossés à des hypothèques (mortgage-backed securities) - s'était étendue bien au-delà des entreprises parapubliques (Fannie Mae et Freddie Mac) qui remplissaient traditionnellement ce rôle de diversification des risques.
Lorsque la crise éclata le 9 août 2007, les banques centrales intervinrent immédiatement, fournissant de grandes quantités de liquidités pour réduire les tensions sur le marché de gros des prêts interbancaires. Le résultat ? Les prêts interbancaires à un jour se multiplièrent tandis que ceux à 3 mois diminuèrent vertigineusement. Et, comme les problèmes empiraient au cours de l'hiver, les investisseurs refusèrent d'acheter autre chose que les bons du Trésor américain.
Il devint alors malheureusement clair que les outils traditionnels des banques centrales n'étaient que d'une portée limitée. La réduction du taux d'intérêt contrôlé par la Fed n'avait qu'un faible impact sur les marchés de gros des prêts interbancaires. Elle pouvait toujours injecter des liquidités dans le système financier, mais elle ne pouvaient pas s'assurer que ces liquidités allaient aux institutions qui en avaient le plus besoin.
Face à ce blocage, la Fed a alors commencé à innover. Elle a créé de nouvelles procédures de prêt sous la forme de Term Auction Facility (TAF) et de Primary Dealer Credit Facility (PDCF) : ces procédures permettaient aux établissements financiers de s'adresser directement à la Fed pour se procurer les liquidités dont ils avaient besoin, sans passer par le marché interbancaire désormais grippé. Un avantage de la TAF est qu'elle offre l'anonymat aux établissements emprunteurs, évitant ainsi les stigmates attachés à ce type d'emprunt d'urgence. L'originalité du PDCF est de permettre aux banques d'investissement (techniquement, aux 19 "primary dealers" avec lesquels la Fed réalise quotidiennement ses opérations de marché) de se financer directement auprès de la Fed, privilège normalement réservé aux grandes banques commerciales. De plus, la Fed a créé la Term Securities Lending Facility (TSLF) qui permet aux banques d'investissement d'emprunter des bons du Trésor en utilisant comme collatéral les titres "toxiques" adossés à des hypothèques. Tous ces programmes ont ouvert des possibilités d'emprunts d'un mois environ, à des taux d'intérêt relativement favorables.
Outre la création de ces nouvelles facilités, la Fed a réalisé des ajustements sur les procédures existantes. En premier lieu, la durée des accords de rachat temporaires a été portée à 28 jours. Ensuite, la Fed a étendu les lignes d'échange (swap lines) à la Banque centrale européenne et à la Banque nationale suisse, ce qui leur a permis d'offrir des dollars aux banques commerciales dans leurs zones monétaires respectives. Enfin, elle a fourni un emprunt qui a permis à la banque d'investissement Bear Stearns de poursuivre ses activités puis d'être reprise par la JP Morgan Chase.
Ces nouveaux programmes sont très différents de ceux qui existaient avant la crise. Pour comprendre la différence, il faut se rendre compte qu'en temps normal, une banque centrale utilise le contrôle des liquidités qu'elle fournit aux banques pour s'assurer que le taux d'intérêt soit aussi proche que possible de la cible qu'elle se fixe et qu'elle annonce publiquement. Avec ces nouvelles procédures, la Fed ne cherche plus à limiter ces liquidités, qu'elle fournit maintenant avec comme objectif de maintenir l'activité de crédit aussi fluide que possible.
Deuxième principe mis entre parenthèses, en temps normal une banque centrale contrôle la composition de ses actifs. Elle décide si elle préfère les titres émis par le Trésor, les réserves de devises, ou d'autres actifs, toujours de grande qualité (c'est-à-dire très peu risqués). Or chacun des nouveaux programmes mis en oeuvre par la Fed a consisté à fournir aux établissements financiers des liquidités en échange de titres de faible qualité, y compris les fameux produits toxiques qui plombent le marché de gros interbancaire. À la fin de mars 2008, la Réserve Fédérale avait ainsi consacré plus de la moitié des presque 1000 milliards de dollars de son bilan à ces nouveaux programmes :
100 milliards de dollars au TAF,
100 milliards de dollars sous formes de produits toxiques (mortgage-backed securities),
200 milliards de dollars au TSLF,
36 milliards de dollars sous forme de prêts aux autres banques centrales,
29 milliards de dollars comme prêt pour soutenir la vente de Bear Stearns,
30 milliards de dollars au PDCF.
Cette profonde modification dans la composition des actifs de la Fed a pour but d'éviter l'effondrement de la valeur des produits financiers. L'objectif est de réduire le coût des emprunts interbancaires et donc de maintenir l'activité des établissements financiers, notamment les prêts aux entreprises et aux particuliers. A l'heure qu'il est, ces programmes n'ont eu qu'un succès modeste.
Une version anglaise de cet article, accompagnée de l'étude CEPR qu'il résume, est disponible sur le site de notre partenaire VoxEU.
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