Crise financière : quel remède, docteur ? edit
Chaque jour, dans l’urgence, banques centrales et gouvernements luttent contre l’incendie : une impressionnante crise de confiance s'est déclarée au sein du système financier le plus sophistiqué jamais atteint. Avant même que fumée et poussière ne retombent, il faut essayer de discerner les questions sur lesquelles les pouvoirs publics doivent aiguiller les acteurs de ce drame afin de limiter les dommages et de faciliter la reconstruction.
La question est souvent posée de la façon suivante : faut-il plus ou moins de « réglementation », plus ou moins de « marché » ? La réponse est catégorique : il faut à la fois plus de marché et plus d'organisation et de discipline des acteurs.
Trop de « réglementation » a des effets pervers : une ligne de défense rigide procure un sentiment trompeur de sécurité. Les agents financiers sont habiles à monter des opérations de contournement, sur des marchés non réglementés, principalement marchés dérivés et/ou de gré à gré. Ces lieux, pourvoyeurs un temps de profits substantiels, ont aussi servi de foyers aux opérations les plus mal maîtrisées. Sur ces segments, trop de « laisser faire » a donc privé l’industrie financière du cadre de fonctionnement nécessaire à une gestion plus rationnelle de l’information. La mise en place de marchés organisés de produits standardisés est donc vitale pour le fonctionnement efficace du système, car ils permettent une collecte et un traitement plus sobre et efficace de l'information, matière première du système financier. Ils sont en outre utiles à l’intervention éclairée des pouvoirs publics, en permettant une surveillance instantanée des prix et des positions prises, moyennant quelques règles de transparence.
Ces rappels simples devraient inciter a priori les investisseurs avisés à préférer prendre position sur des marchés organisés. Encore faut-il que les professionnels et les pouvoirs publics en développent le champ, par exemple par l’instauration de chambres de compensations sur de nouveaux compartiments. Les marchés dérivés sont des candidats attitrés pour bénéficier de ce type d’évolution : les parties prenantes aux Credit Default Swaps sont enfin en train de monter la clearing house qui leur fait défaut, en particulier lorsqu’il faut solder les positions sur les établissements défaillants.
Les investisseurs ont également fait l'amère expérience des limites des informations fournies par les agences de notation et les analystes financiers, le plus souvent en retard sur les évolutions des marchés : les short sellers vont même jusqu’à se flatter d’avoir été en avance sur les conseillers patentés. Nous avons aussi constaté ce qu’il advient du prix des actifs lorsque les investisseurs s’en remettent systématiquement à des intermédiaires tiers. Il est dès lors facile de se convaincre que la révélation des positions effectives prises par les opérateurs pour leurs comptes propres s'avère nécessaire. En outre, les intervenants professionnels qui consacrent plus de ressources à la collecte et au traitement de l’information sont naturellement en position de jouer un rôle leader, a priori bénéfique. Il faut accroître la transparence des positions prises par les professionnels dûment agréés. Cela peut aussi aller jusqu'à la création d'intervenants « publics » de référence. C’est ce que tente de faire le plan Bernanke-Paulson : l'une des missions assignées sera d'estimer des prix acceptables, donc en partie normatifs, pour les actifs toxiques. On règle ainsi, en période de crise, la question encore jamais résolue de la régulation du prix d'actifs financiers spécifiques. On demande en fait à une agence spécialisée, et non plus à la banque centrale, d'intervenir, sans interférer a priori avec la politique monétaire.
Si les structures de marché sont essentielles, il est tout aussi vital que la solvabilité des principaux intervenants ne puisse pas être durablement suspectée. Sans cela, point de liquidité et sans liquidité point de marché. Les troubles actuels rencontrés sur les marchés interbancaires en constituent une illustration extrême.
Certes, des systèmes de garantie, en tout premier lieu sur les dépôts, peuvent venir rassurer ex ante les investisseurs. Mais on a fait l’expérience qu’ils sont surtout efficaces pour des défaillances isolées. En cas de risques systémiques, cette approche conduit la puissance publique à étendre, dans l'urgence, le champ de sa garantie à l’ensemble des intermédiaires et à l’ensemble de leurs engagements, y compris les uns vis-à-vis des autres.
Les pouvoirs publics doivent donc surtout compter sur la crédibilité d'intervenants clairement investis de pouvoirs permanents de surveillance et de renflouement. Ainsi, le rôle incomparable de « prêteur en dernier ressort » des banques centrales trouve dans la crise actuelle un champ immense d’expérimentations et de généralisations. Comme cela ne suffit plus, les États (re)découvrent le rôle essentiel d’« actionnaire en dernier ressort ». Il apparaît aujourd’hui indispensable d’institutionnaliser cette fonction encore peu formalisée. La critique principale adressée à l’encontre du plan Bernanke-Paulson tient ainsi dans sa gouvernance approximative (confusion des missions-soutien des cours ou intervention en capital-, confusion des responsabilités). Il faut à l'inverse saluer les efforts des gouvernements européens qui créent des agences spécialisées d' « actionnaire en dernier ressort ». Celles-ci peuvent mieux fonder leurs interventions sur une information objective dès lors que leur position les prémunit autant que possible contre l’arbitraire étatique d'une part et la collusion avec des intérêts privés d'autre part. C’est une approche qui survivra à la crise actuelle car elle s’avère opérationnelle et fera œuvre de prévention pour autant que lesdites agences se montrent suffisamment prédatrices vis à vis des opérateurs qui auraient manqué à leurs règles affichées de prudence.
Peut-on à cet égard oser ajouter quoi que ce soit à la littérature volumineuse sur les normes prudentielles ? Comme beaucoup de normes de conduite, ce sont en principe des guides de bon sens dont on s’attend à ce qu’ils soient spontanément respectés, sauf par des contrevenants manifestes. Il est en effet vain de prétendre inscrire dans des règlements détaillés tous les états probables de la nature et tous les actes déviants imaginables. Il s'agit plutôt de requérir des pré dispositions et une capacité d’adaptation intelligente des assujettis. C’est l’essence de la discussion sur le caractère pro cyclique des ratios prudentiels. A cet égard, il est naturel que soient remises au goût du jour quelques règles simples telles que la mise en réserve d’une part des profits des années de vaches grasses, ouvrant des possibilités de reprise les années de vaches maigres.
Qui plus est, le principe même de la comptabilité à la fair value permet-il même de révéler les véritables fonds propres ? Les pouvoirs publics préfèrent normalement les méthodes dont on ne peut pas soupçonner qu’elles puissent cacher de l’information fondamentale. La profession bancaire a certes raison de ne pas vouloir retenir pour référence des « prix de casse » enregistrés sur des marchés si étroits qu'ils ne sont plus des marchés. Mais peut-elle pour autant vouloir, à discrétion, figer certaines valeurs au coût historique sans attirer une légitime suspicion. Il existe une voie de compromis : si un prix de marché ne peut pas être appliqué à un actif, il reste que le coût historique diminué de provisions réalistes ne devrait pas être très éloigné de la valeur des cash flows actualisés. La volatilité cyclique des valeurs est un fait : les cash flows anticipés intègrent les conséquences des chocs non anticipés. Autant mesurer cela aussi sereinement que possible, sachant qu'en contrepartie les normes de fonds propres seront établies en conséquence.
Impossible de ne pas finalement mentionner la nécessaire discipline des schémas d'incitation au sein même des établissements. Le modèle originate and distribute est ainsi mis en accusation pour avoir engendré des comportements « irresponsables » voire « frauduleux ». A la différence des moralistes, nous ne pensons pas que l’on puisse seulement s’en remettre à l’éthique individuelle. Bien sûr, nous croyons à l’éthique. Mais encore faut-il que des règles communes permettent à ceux qui en sont pourvus de survivre voire de s’imposer. Ce thème recouvre à la fois des problèmes de ressources humaines et des problèmes de gouvernance d'entreprise.
On doit évidemment se joindre à la critique des rémunérations « à la performance » lorque celles-ci poussent à maximiser un chiffre d’affaires absolu : les brokers sur le marché du subprime sont pris pour caricature ; les traders quant à eux reçoivent des bonus pris sur des marges brutes de négoce et non sur des profits dûment calculés. Certaines expériences malheureuses ont montré qu’il pouvait être dangereux de trop mépriser les rémunérations « à l’effort » (salaire) et son corollaire, le monitoring par la hiérarchie ou par une équipe de pairs (la méthode Toyota fait moins rêver que le star system !). De même peuvent apparaître comme dangereuses les méthodes indexant les rémunérations d’aujourd’hui sur les profits anticipés, comme c'est le cas des stock options pouvant être liquidées trop tôt. Il serait évidemment plus rassurant de lier les rémunérations aux profits dûment constatés ex post.
L’adoption formelle du schéma de rémunération des dirigeants en assemblées générales d’actionnaires mériterait en outre d'être généralisée. Car c'est l'ensemble du contrôle exercé par les actionnaires qui paraît insuffisant. S'il est naturel qu'ils payent pour les erreurs passées, encore faut-il trouver de nouveaux actionnaires, capables de savoir et de décider à quoi ils engagent leurs fonds. Pensons ne serait-ce qu’un instant aux fonds de retraite. Même les prêteurs y ont intérêt : n'ont-ils pas pris le risque de devoir reprendre l'actif pour solde de tout compte si la valeur de celui-ci devenait inférieure au montant des dettes ? Les pouvoirs publics aussi y ont intérêt : ils ne peuvent pas faire eux-mêmes, avec une égale application, le travail de monitoring chez tous les agents. Il est donc sain que les actionnaires puissent exercer de réelles prérogatives, notamment via la désignation des administrateurs. Jusqu’où et comment séparer la fonction de dirigeant de la fonction de représentant des actionnaires ? Que valent les « administrateurs indépendants » (indépendants de qui ? du old boy network ?), quelles légitimités et quelles incitations seraient nécessaires pour s’assurer d’un monitoring suffisant de leur part ?
Voilà des sujets que la crise financière met sur le devant de la scène et qu’il faut tous saisir simultanément pour renouveler cette fameuse « confiance », de façon durable.
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