Garantir les dépôts : oui, mais à quelles conditions ? edit
Dix ans après la crise asiatique de 1997-08, ce que l’on pourrait nommer la crise bancaire occidentale de 2007-2008 se développe d’une façon qui était prévisible. Les banques sont sous pression et reconnaissent des pertes, les plus faibles ou les plus petites ferment, on recapitalise celles qui sont trop grosses pour faire faillite, et les actifs non performants sont retirés du système. C'est toujours la même histoire, avec quelques variantes mineures. En 1997-98, on a procédé pays par pays, dans toute l’Asie, et une abondante littérature a été consacrée à cette crise. Pourtant, une de ses leçons essentielles a été oubliée : avant d’envisager la fermeture d’institutions importantes, il faut garantir les dépôts de l’ensemble du système. Est-il trop tard pour le faire ?
En 1997, il y eut au sein du FMI des débats sur la nécessité ou non de garantir les dépôts, quand dans un pays de grandes banques allaient fermer. Dans un premier temps, les arguments en faveur d’une garantie partielle ont semblé l’emporter : l’idée était notamment d’éviter l’aléa moral. Mais à la fin, il est apparu que dans un système bancaire fragile où la confiance a disparu, la question de l’aléa moral passe au second plan. On a finalement garanti les dépôts en Indonésie, en Corée du Sud, en Malaisie et en Thaïlande « aussitôt que la gravité de la crise est apparue », pour reprendre les termes d’un rapport du FMI*. L'explication donnée était simple : « La garantie des dépôts a pour enjeu de donner confiance dans le système bancaire… cela permet de prendre le temps nécessaire à l’organisation et à la mise en œuvre du travail de restructuration, en maintenant l'intégrité du système de paiement ».
Les bonnes pratiques dans ce domaine sont donc connues, et elles sont en outre bien documentées. Elles ont pourtant été ignorées au cours de douze derniers mois. L'effondrement de Lehman Brothers, une des principales banques d'investissement, a certes été accompagné d’une protection de l’architecture du marché des repo (essentielles à la liquidité des marchés, les repo - mises en pension de titres - permettent aux banques de s’échanger des liquidités). Mais rien n’a été fait pour renforcer la confiance des déposants et des investisseurs dans le système financier. Il a fallu plusieurs semaines de panique pour que les autorités américaines décident de garantir les fonds du marché monétaire et d’augmenter la garantie des dépôts. En Europe, quand le gouvernement irlandais a dû instituer une garantie d’Etat pour protéger ses banques d'une ruée au guichet, les autres pays de l'UE n’ont songé qu’à se plaindre, avant que chacun ne vole quelques jours plus tard au secours de ses propres banques. Pressée par les événements, et à la suite d’une autre faillite, l’Allemagne décidait elle aussi de garantir les dépôts.
Dans l'état actuel de dislocation du marché et de méfiance envers le système financier, l'UE devrait elle aussi instituer une réelle garantie européenne des dépôts, financée au niveau de l’Union et non à l’échelon national. Vu le niveau d’interconnexion du système des opérations bancaires en Europe, cela n’a pas grand sens de conserver une garantie au niveau local. L’architecture du système de paiements européen est de type hub and spoke : c’est un réseau en étoile. Cela signifie que la faillite d’une des institutions centrales, où qu’elle se trouve sur le plan géographique, risque de contaminer l’ensemble du système. Et c’est encore plus vrai si l’on est confronté à une contagion d'un pays à l'autre. Il est clair que certaines banques sont trop grosses pour être sauvées au niveau national, mais aucune n’est trop grosse pour sauvée au niveau de l’UE. On sait depuis longtemps que le système de contrôle et de gestion de crise de la zone euro, organisé au niveau national, est insuffisant ; cette crise ne fait que le confirmer. Le cœur du système bancaire européen est par nature transfrontalier, et le principe de subsidiarité implique qu’il soit traité au niveau de l'UE.
Pour autant, on ne saurait garantir les dépôts sans poser quelques conditions. Lors de la crise asiatique de 97-98, le FMI exigeait des autorités nationales qu’elles mettent en œuvre des plans de recapitalisation et de restructuration de toutes les banques, en échange des garanties et des autres mesures de politique. Dans la situation actuelle les mêmes conditions pourraient s'appliquer : les superviseurs européens, lors de la mise en œuvre des garanties de couverture, devraient se montrer très stricts et exiger une publication rapide des pertes et des projets de recapitalisation, via des injections de capitaux frais ou des restrictions dans le paiement des dividendes.
Quelle est l'alternative ? De nouvelles ruées au guichet, qui peuvent menacer encore davantage la stabilité du système financier européen et coûter encore plus cher aux contribuables. La seule question est le temps. Nous connaissons déjà les bonnes pratiques : il est urgent d’abandonner prétentions, idéologie et considérations politiques à courte vue, en tirant les leçons du passé et en faisant ce qui doit l’être.
* Lindgren, Carl-Johan, Tomas Balino, Charles Enoch, Anne-Marie Gulde, Marc Quintin, and Leslie Teo (1999), “Financial Sector Crisis and Restructuring: Lessons from Asia”, IMF Occasional Paper 188
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