Les Grecs ont-ils manipulé la finance ? edit
Lors de la récente période d’agitation autour des dettes souveraines, les pratiques de la Grèce en matière de gestion de dette publique ont soulevé de vives critiques. L’un des reproches porte sur l’utilisation d’un « swap », un instrument financier dérivé, qui a permis de diminuer fictivement le montant de dette publique grecque. Faut-il pour autant interdire aux Etats de la zone euro de recourir à certaines pratiques de gestion de dette ? Ne serait-ce pas alors une réponse simpliste et peu pertinente à un problème plus profond ?
Les pays de la zone euro sont tenus de convaincre de la bonne dynamique de leurs finances publiques, à défaut de satisfaire au critère du Pacte de stabilité imposant un ratio dette sur PIB maximal de 60%. Pour la Grèce dont la dette s’élève à environ 100% du PIB depuis une quinzaine d’années, il est particulièrement important de se montrer vertueux. Pour afficher un ratio satisfaisant, il y a deux solutions : que le PIB augmente ou que la dette diminue. La Grèce a joué sur les deux tableaux pour améliorer artificiellement ce critère. En 2006, elle joue sur le levier du PIB qui est actionné : la Grèce a ainsi proposé à Eurostat une revalorisation de son PIB nominal de 25% pour mieux prendre en compte l’économie souterraine (l’activité non déclarée de certaines professions comme les chauffeurs de taxi ou les artisans par exemple, mais aussi le trafic de cigarettes, le blanchiment d’argent et la prostitution) ; Eurostat ayant finalement validé une augmentation de 9,6%. Cette augmentation a bien sûr fortement (et rapidement) amélioré les ratios des finances publiques.
Le levier de la dette a également été actionné de différentes manières, au point que dans son rapport de 2010, Eurostat précise que « la fiabilité des statistiques grecques concernant le déficit et la dette publique a été l’objet d’une surveillance continue pendant de nombreuses années ». Le swap en est un des aspects.
Que reproche-t-on à la Grèce exactement à ce propos ? Elle est critiquée pour avoir utilisé en 2001 un instrument dérivé, le swap, pour diminuer le montant de sa dette d’un milliard d’euros. Il est utile de rappeler que cette opération a semblé être découverte mi-février, alors que sans avoir été absolument publique dès le début, elle avait fait l’objet d’un article détaillé dans le magazine Risk en 2003 et était donc connue des acteurs de marché. Le principe du swap est grosso modo le suivant. Les pays de la zone euro émettent généralement de la dette libellée en euros, mais pour bénéficier de taux plus faibles, il peut être intéressant de s’endetter dans une autre monnaie, comme le dollar ou le yen. En revanche, s’endetter en dollar par exemple signifie que le pays s’expose à des variations du taux de change euro-dollar lors des remboursements. La solution pour se débarrasser de ce risque de change, lié à la variation du cours relatif des deux monnaies, est d’utiliser un « swap de change ». Ce contrat permet d’échanger ( to swap en anglais) les paiements futurs en dollars contre des paiements en euros à une contrepartie qui se met d’accord avec l’émetteur de dette sur le montant des paiements en euros (et donc sur un taux de change implicite). En négociant simultanément l’émission dans une devise étrangère et le swap, il peut être intéressant selon les conditions de marché de choisir une émission en devise étrangère qui grâce au swap ne comporte pas de risque supplémentaire et est moins couteuse qu’une émission en monnaie domestique.
De nombreux pays, dont l’Allemagne, ont un jour fait le choix de cette forme d’émission. Sans être complètement banale, cette opération est réalisée ponctuellement par la plupart des pays de la zone euro (une exception notable est la France). Toutefois, dans le cas précis de la Grèce, les choses se sont passées un peu différemment et Goldman Sachs, la banque qui a initié le swap et l’émission de dette en dollar, a tiré profit d’une faille de comptabilité pour améliorer la situation de la Grèce. Goldman Sachs, en tant que contrepartie, a accepté un taux de change plus défavorable aujourd’hui pour un taux plus favorable dans le futur. Pour un prêt en dollars donné, la Grèce a ainsi pu recevoir un montant en euros plus élevé en échange de remboursements plus importants. L’inscription dans les comptes publics grecs s’est faite quant à elle au taux de marché, permettant ainsi à la Grèce d’ « emprunter » la différence sans que cela n’apparaisse dans les données comptables immédiatement. La dette grecque grâce au swap était diminuée de cette différence qui n’apparaîtra dans les statistiques que des années plus tard. Goldman Sachs et la Grèce ont profité d’un défaut dans la comptabilité d’Eurostat, pour qui jusqu’à récemment les instruments dérivés étaient « hors-bilan » et n’apparaissaient pas dans les comptes. Le swap avait une valeur financière positive mais était comptabilisé comme valant zéro !
Si ce swap ne violait aucune règle réelle, il manifestait une volonté de contourner le pacte de stabilité, au moins dans l’esprit. Mais comme l’ont montré les multiples précédents sur la fiabilité des données publiques grecques, l’instrument dérivé en lui-même n’est pas la source du problème. Une simple modification des règles de comptabilisation des produits dérivés, par exemple dans l’esprit des normes comptables IFRS, suffirait à lever les difficultés existantes sans priver les autres pays de la zone, d’un instrument de gestion de dette publique. Son interdiction serait potentiellement coûteuse pour les contribuables sans résoudre les problèmes de confiance dans les dettes publiques.
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