Les mythes des subprimes edit
Depuis qu’on a commencé aux États-Unis à distribuer et à refinancer en grande quantité des prêts hypothécaires subprime, au début des années 2000, ces prêts ont suscité beaucoup d’intérêt. Cet intérêt n’a fait que croître avec l’explosion des défauts de paiement connue sous le nom de « crise des subprimes ». Les chercheurs, les décideurs et le public ont essayé d'identifier les facteurs qui ont déclenché l’implosion de ce marché et à sa suite celle du système financier global. Mais une bonne partie des explications avancées sont des mythes. C’est en tout cas la leçon de plusieurs études empiriques récentes. Premier mythe : les hypothèques subprime n’étaient distribuées qu’à des emprunteurs peu solvables.
La réalité est qu’elles furent distribuées à tous les types d'emprunteurs. L’idée qu’elles n’aient concerné que des emprunteurs peu solvables vient de ce que l’on néglige la complexité du marché des subprimes et du fait que ces hypothèques soient définies de diverses façons, et pas seulementen fonction de la solvabilité des emprunteurs. Si un prêt était accordé à un emprunteur avec une réputation de faible solvabilité ou un passé de non-paiment, les prêteurs le classaient dans les crédits subprime. Mais étaient également classés dans cette catégorie des prêts accordés par un prêteur spécialisé dans les crédits à coût élevé, et ce même si tous ces prêts n’étaient pas des subprimes. Enfin certains types de prêts hypothécaires généralement indisponibles sur le marché primaire du crédit, comme les « 2/28 hybrides » (deux ans à taux fixe suivis de 28 années à taux variable), étaient classés comme subprimes même s'ils étaient accordés à des emprunteurs parfaitement solvables qui auraient pu prétendre à un crédit sans surprime.
Le processus de titrisation pouvait aussi affecter la désignation comme subprime. Beaucoup d'hypothèques subprime ont été titrisées pour être vendues sur le marché secondaire. Ceux qui procédaient à la titrisation regroupaient des ensembles de prêts hypothécaires classés du plus au moins risqué, sur la base d’un classement qui combinait plusieurs facteurs de risque, comme la réputation de solvabilité, les ratios montant du prêt/valeur du bien, le taux d’endettement de l’emprunteur par rapport à son revenu, etc. Les ensembles les plus risqués formaient un titre « subprime ». Et tous les emprunts réunis dans ce titre recevaient le même label, sans forcément que cela reflète la solvabilité des emprunteurs.
Deuxième mythe : les crédits subprime promouvaient l’accession à la propriété.
Entre 2000 et 2006, un million d'emprunteurs environ ont eu recours à un crédit subprime pour financer l'achat de leur premier logement. Ces emprunts ont contribué à augmenter légèrement la proportion de propriétaires parmi les ménages américains. Malheureusement, beaucoup de ces emprunteurs ont fait défaut deux ou trois ans après avoir contracté leur crédit.
Le nombre de ces défauts l'emporte sur le nombre de ménages ayant acquis leur premier logement à l’aide des crédits subprime, annulant l’effet « subprime » dans la hausse de la proportion de ménages propriétaires. En bref, les emprunteurs ne deviennent vraiment des « propriétaires » que s'ils peuvent conserver leur logement, et ce n’est pas exactement ce qui se passait pendant les années subprime.
Troisième mythe : la crise aurait été déclenchée par une baisse des exigences des prêteurs.
En analysant ce qu’il est advenu des crédits hypothécaires subprime la première année après la signature du prêt, on trouve qu’environ 10% des emprunteurs ayant contracté entre 2001 et 2005 étaient en défaut ou présentaient des problèmes, contre 20% des emprunteurs ayant signé entre 2006 et 2007. Cette progression rapide et significative fut d’ailleurs l’un des signes annonciateurs de la crise. Mais si ce phénomène reflétait une détérioration des normes de prêt, on aurait dû observer un relâchement substantiel en 2006 et 2007, deux millésimes qui ont connu presque immédiatement des taux de défaut très élevés. Les données, cependant, ne montrent pour ces millésimes aucun changement significatif dans les normes. En fait, les critères associés à une majoration des primes, comme le taux d’endettement du ménage emprunteur ou le ratio montant de l’emprunt/valeur du bien, se sont un peu relâchés chaque annnée de 2001 à 2007. Mais le relâchement de 2006 et 2007 n'était pas suffisamment différent de ceux des années précédentes pour expliquer l’augmentation de presque 100% des taux de défaut juste avant la crise.
Quatrième mythe : les crédits subprime ont connu un taux de défaut élevé parce que les gens utilisaient leur logement comme garanties pour emprunter à nouveau.
Alors que les prix de l’immobilier montaient et que les taux des emprunts hypothécaires baissaient, les montants dûs sur les crédits étaient devenus inférieurs à la valeur des biens immobiliers qu’ils avaient financé. Il devenait alors possible d’utiliser ces gains en capital pour obtenir de nouveaux emprunts pour financer de nouvelles dépenses. Même si cette pratique était répandue dans les années subprime (2001–2007), on ne peut la considérer comme l’explication des très nombreux défauts et saisies auxquels on a assisté quand les courbes des prix de l’immobilier et des taux d’intérêts se sont inversées. En fait, on s’aperçoit que ces nouveaux prêts ont connu un taux de défaut plus faible ceux qui n’ont servi qu’à acheter un logement.
Cinquième mythe : les subprimes ont connu un taux de défaut élevé à cause des conversions automatiques de prêts à taux fixe en taux variable.
La croyance selon laquelle les conversions automatiques de taux fixes en taux variables (« resets ») ont causé beaucoup de défauts a son origine dans les analyses statistiques de la performance des prêts effectuées sur deux types d'emprunts – prêts hypothécaires à taux fixe et à taux variables – peu après l’apparition du problème des subprimes. Les premiers résultats des calculs de taux de défauts conventionnels ont suggéré que le taux de défaut des prêts à taux variable était significativement plus élevé que celui des prêts à taux fixe. Mais cette analyse sous-estime les problèmes de performance des prêts à taux fixes, parce qu'elle mélange des prêts contractés des années différentes. Il se trouve que les prêts les plus anciens avaient tendance à présenter de meilleures performances, et que les taux fixes ont perdu de leur popularité de 2001 à 2007 ; chaque année on signait moins d’emprunts de ce type. Or les nouveaux prêts ont présenté un taux de défaut plus élevé que les plus anciens. Cela valait pour les nouveaux prêts à taux fixes, mais ils étaient cachés dans le vaste stock des anciens prêts à taux fixe. Par contraste, les défauts des nouveaux prêts à taux variable étaient plus d’autant plus visibles qu’ils représentaient une proportion plus élevée du stock total.
Si nous comparons la performance des prêts à taux fixe et à taux variable contractés la même année, nous trouvons qu’au bout d’un an, les prêts à taux fixes signés en 2006 et 2007 présentaient un taux de défaut de 2,6 et 3,5 fois ceux signés en 2003. Les taux de défauts des prêts à taux variables, quant à eux, ne représentaient en 2006 et 2007 que 2,3 fois et 2,7 fois les chiffres de 2003. Bref, les prêts à taux fixe ont montré grosso modo autant de signes de faiblesse que les prêts à taux variables. Et ces signes de faiblesse sont apparus en même temps ; il semble donc incorrect de conclure que les prêts à taux fixe ont commencé à connaître une hausse du taux de saisies après que la crise a été déclenchée par les prêts à taux variable. Par ailleurs, les prêts à taux variable ont montré des taux de défaut élevés bien avant que longtemps avant qu’il soit prévu de les refinancer, ce qui indique que la mauvaise performance de ces crédits ne saurait s’expliquer par le seul changement des taux d'intérêt.
Sixième mythe : les emprunteurs subprime se voyaient offrir des taux excessivement attractifs.
Les prêts hypothécaires hybrides, qui offraient des taux fixes les premières années avant de passer en taux variable, étaient disponibles aussi bien dans le marché primaire du crédit que dans celui des subprimes, mais à des conditions significativement différentes. Ceux du marché primaire offraient des taux fixes de départ significativement bas, qu’on appelait « teasing rates », avec une remise à niveau après le passage en variable. Les gens supposaient que les taux initiaux des crédits subprime étaient tout aussi bas et ils parlaient également de taux « teaser ». Mais entre 2001 et 2007 le taux moyen des prêts hypothécaires subprime hybrides, au début des remboursements, allait de 7,3% à 9,7%, alors que les taux des prêts hypothécaires du marché primaire tournaient autour de 2–3%. Les taux des crédits subprime hybrides étaient sans doute plus attractifs que ceux des crédits subprime à taux fixe, mais parle de « teaser » est très exagéré.
En conclusion, beaucoup des mythes présentés isolent une caractéristique des crédits subprime, ou des emprunteurs qui y avaient recours, ou encore des circonstances économiques dans lesquelles ces emprunts étaient contractés, pour en faire LA cause de la crise. Tous ces facteurs ont certainement leur importance, mais aucun n’est à lui seul responsable de l’explosion des taux de défauts ayant conduit à la crise des subprimes. Avec le recul, cette crise relève de l’histoire bien connue des bulles qui éclatent : les crédits hypothécaires subprime ont connu un succès remarquable, pendant lequel le marché a presque été multiplié par huit en six ans. Entre 2001 et 2007, la qualité des hypothèques s’est détériorée chaque année, les risques généraux ont augmenté et l'évaluation de ces risques a perdu en qualité. La hausse régulière des prix de l’immobilier a dissimulé les faiblesses et surtout le caractère insoutenable à long terme des dynamiques qui faisaient fonctionner ce marché. Quand le voile a enfin été levé, avec une contraction nationale des prix, la qualité réelle des emprunts s’est révélée brutalement, avec une vaste vague de défauts et de saisies dont le marché ne s’est toujours pas remis.
Une version anglaise de cet article, sur laquelle vous pouvez trouver les références des études empiriques dont s'inspire cet article, est publiée sur le site de notre partenaire VoxEU.
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