L’UE a-t-elle le droit de renflouer la Grèce ? edit
Les difficultés de la Grèce continuent, malgré quelques éclaircies temporaires, et le débat se poursuit lui aussi : les traités de l’Union européenne permettent-ils légalement à l’UE de renflouer un de ses États-membres ? Rien n’est moins sûr.
Sur son blog, le correspondant du Financial Times pour l’UE, Tony Barber, affirme que « l’UE dispose du pouvoir juridique de sauver la Grèce si cela s’avère nécessaire ». On peut en douter, même si les traités européens sont si ambigus sur ce point que ce sera sans doute au final une question de volonté politique.
Tony Barber se réfère à l’article 122 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ancien article 100) : le deuxième paragraphe précise que, « lorsqu’un État membre connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, en raison de catastrophes naturelles ou d’événements exceptionnels échappant à son contrôle, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière de l’Union à l’État membre concerné ». Toutefois, comme cela a déjà été dit, la clause de « no bail-out » dans les traités de l’UE interdit expressément aux États membres de prendre à leur charge les engagements financiers d’un gouvernement national (en l’occurrence d’aider à combler un déficit budgétaire).
C’est ce que dit très précisément l’article 125 du TFUE :
« L’Union ne répond pas des engagements des administrations centrales, des autorités régionales ou locales, des autres autorités publiques ou d’autres organismes ou entreprises publics d’un État membre, ni ne les prend à sa charge, sans préjudice des garanties financières mutuelles pour la réalisation en commun d’un projet spécifique. Un État membre ne répond pas des engagements des administrations centrales, des autorités régionales ou locales, des autres autorités publiques ou d’autres organismes ou entreprises publics d’un autre État membre, ni ne les prend à sa charge, sans préjudice des garanties financières mutuelles pour la réalisation en commun d’un projet spécifique ».
Cet article a pour enjeu de se prémunir contre l’aléa moral. Il donne corps au principe selon lequel il n’est ni raisonnable ni démocratique de laisser les contribuables d’un pays payer pour les erreurs des gouvernements d’un autre pays, sur lesquels ils n’ont aucun contrôle démocratique.
Dans une réponse écrite à la députée européenne Kathy Sinnott, le Conseil suggère que la clause de «no bail-out » est juridiquement supérieure à l’article permettant une aide financière aux États membres. Sur la manière dont on peut utiliser l’article 122 (ancien article 100), la réponse dit : « le Conseil rappelle les termes de la Déclaration sur l’article 100 du traité instituant la Communauté européenne, qui est annexée au traité de Nice. Selon cette déclaration, « les décisions en matière d’assistance financière, telles que prévues à l’article 100, et qui sont compatibles avec la règle du no bail-out édictée à l’article 103... »
Les actions menées en vertu de l’article 100 (aujourd’hui 122) doivent donc être « compatible avec la règle de no bail-out » de l’article 103 (aujourd’hui 125) : le droit, mais aussi la philosophie du Conseil européen sont clairs sur ce point.
Mais ce pourrait bien ne pas être la fin de l’histoire. Car il faut rappeler que l’UE ne s’est pas toujours signalée par sa capacité à respecter ses propres règles (à commencer, précisément, par ses règles budgétaires, jamais respectées en 15 ans).
La réponse écrite du Conseil à Kathy Sinnott révèle également que les États membres de l’UE n’ont jamais pensé à définir exactement ce que pouvaient constituer les « événements extraordinaires » au-delà du contrôle d’un État membre. Le Conseil insiste d’ailleurs sur ce point : « aucune définition des ‘événements exceptionnels hors du contrôle d’un État membre’ n’existe et le Conseil n’en a jamais discuté. De même, le Conseil n’a jamais discuté de la possibilité d’invoquer des « événements extraordinaires » dans le contexte de la situation économique actuelle.
Tony Barber affirme que « si vous ne définissez pas la crise financière mondiale de 2007-09 comme un ‘événement extraordinaire’, alors il est difficile d’imaginer quel genre d’événement on pourrait bien faire rentrer dans cette catégorie ». Avec ce raisonnement, c’est bien l’Union européenne elle même (y compris les États qui ne sont pas membres de la zone euro, comme le Royaume-Uni) qui pourrait ainsi être invitée à renflouer un membre de la zone euro en difficulté. Comme le note Barber, aucun des dirigeants de la zone euro n’a le moindre doute sur le fait qu’il faudra aller à la rescousse de la Grèce si le pire survient.
Mais une telle interprétation pourrait avoir du mal à s’imposer. Les ministres suédois et finlandais des Finances ont clairement affirmé qu’un bail-out est juridiquement impossible. Et dans un entretien au Frankfurter Allgemeine Zeitung, le professeur de droit européen Matthias Ruffert rejette complètement l’idée que la crise financière de ce type pourrait être définie comme des «événements extraordinaires au-delà du contrôle [du gouvernement grec] », en disant : «la dette souveraine ne peut certainement pas être comptée parmi ces événements. Quant à savoir si «la crise financière ne pouvait être considérée comme extraordinaire et incontrôlable», il répond : « cela ne pourrait pas convaincre un juge. Dans d’autres domaines, la jurisprudence établit une distinction entre les motifs strictement scientifiques et non scientifiques pour justifier des exceptions. »
On peut d’ores et déjà prévoir que ce débat risque de traîner en longueur... même si l’UE a une capacité étonnante à faire preuve de créativité avec ses propres lois, quand la mer est un peu agitée.
Une version anglais de cet article, avec les liens, est publiée ici.
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