François Hollande, encore un effort! edit

20 septembre 2024

Après avoir dans la période récente publié un ouvrage[1] et livré plusieurs interviews qui donnaient à la lecture une impression de flou quant à la ligne stratégique qu’il proposait aux socialistes, François Hollande, invité du grand jury RTL-le Figaro-Public Sénat le 15 septembre, a nettement clarifié ses positions politiques. Son intervention marque à notre avis une évolution notable de son discours. Cependant, malgré l’importance des évolutions accomplies, l’ancien président reste au milieu du gué, l’orientation stratégique qu’il dessine pour les socialistes comportant encore d’importantes contradictions.

L’enterrement du Nouveau Front Populaire

Dans la postface de son ouvrage, datée du 24 juillet, François Hollande a pris ses distances avec le NFP et, plus généralement, avec la manière dont s’est organisée depuis 2022 la relation du Parti socialiste avec ses partenaires de gauche : « la création de la NUPES, écrit-il, fut conçue par LFI comme une aumône destinée à sauver les députés survivants au prix d’une humiliation et d’un effacement du socialisme français. » La position consistant à revendiquer le « tout le programme et rien que le programme du Nouveau Front Populaire réduit les chances de nouer un éventuel compromis, même texte par texte. » Il salue en revanche la campagne européenne réussie de Raphaël Glucksmann dont le score – près de 14% le 9 juin 2024 – autorise, selon lui, « la reconstitution d’une famille de pensée capable de présenter, de manière autonome un projet pour l’élection présidentielle de 2017 ». Il critique la direction d’Olivier Faure depuis 2017 : « En quelques années, le PS avait abandonné sa première place à gauche et cédé sur le plan idéologique au point de renoncer à revendiquer son identité sociale-démocrate et son engagement européen. Il souffrait des outrances et des excès de la gauche radicale. Il cherchait à s’en distancer lors de chaque polémique sans parvenir à rompre avec elle. » Ces citations semblent aller dans le sens d’une condamnation de l’alliance avec LFI et d’un soutien à Raphaël Glucksmann, même si François Hollande continue de viser l’objectif d’une majorité absolue pour l’union des gauches.

Dans son récent interview au Point du 9 septembre, il fait cependant quelques pas en arrière. À la question de Franz-Olivier Giesbert, « une coalition gouvernementale avec LFI est-elle possible ? » Il répond qu’il faut « gouverner avec toutes les composantes de la gauche », estimant qu’« avec le Nouveau Front Populaire s’est exprimée une volonté de gouverner » et que le PS pourra relever le défi de refaire l’unité de la gauche « dans la durée, pas simplement pour gagner les élections mais en réussissant, une fois au pouvoir, une forme de synthèse entre ses composantes ». Il reprend ainsi à son compte le logiciel de François Mitterrand : « Pourquoi François Mitterrand s’est-il allié au Parti communiste en 1972 ? Le programme commun était la condition pour permettre l’alternance. Plus que jamais l’union est un combat. » « Il n’y a pas d’autre pari possible. Sinon quelle est la perspective ? je ne crois pas à l’alliance avec le centre. Il n’existe pas et quand il existe c’est la droite comme on a pu le voir pendant plus de sept ans avec Macron. » Hors de l’union de la gauche point de salut, donc, pour le Parti socialiste. D’où son absence de soutien à la nomination de Bernard Cazeneuve à Matignon. L’ancien président s’en est défendu après-coup estimant qu’il n’était pas crucial pour lui de soutenir publiquement sa nomination: « Est-ce que j'avais besoin de dire que Bernard Cazeneuve, mon ami, avait mon soutien ? C'était évident, il avait mon soutien à certaines conditions », précise-t-il cependant : « des conditions qui pouvaient être posées, qui l’ont été, par le Parti socialiste. À condition qu’il respecte son gouvernement s’il était nommé, les grandes lignes, ou en tout cas, les directions qu’avait fixées le programme du Nouveau Front Populaire. »

Son intervention au grand jury de RTL le 15 septembre marque une inflexion notable de son discours. Il propose une refondation du PS comme François Mitterrand l’avait réalisée en 1971, appelant à un nouvel Épinay qui réunirait toutes les familles et personnalités socialistes, notamment Raphaël Glucksmann et Bernard Cazeneuve. Sans reprendre l’adjectif « irréconciliables », il oppose clairement la gauche réformiste à la gauche radicale, condamnant fermement le leader de LFI pour sa dérive sectaire et communautariste, refusant l’idée d’une candidature unique de la gauche à la prochaine élection présidentielle et appelant la gauche réformiste à revendiquer son autonomie par rapport à la gauche radicale. Il n’est plus question du Nouveau Front Populaire. Il se prononce pour l’adoption d’un programme crédible et, la gauche n’étant pas majoritaire, appelle à son élargissement. Il opte également pour un mode de scrutin proportionnel intégral permettant de nouer des « contrats de coalition » et donne l’exemple de la coalition gouvernementale allemande qui comprend « les écologistes, les socialistes et les libéraux ». Il estime nécessaire de passer des compromis avec d’autres en cas d’absence de majorité de gauche et condamne le tout ou rien. Par ailleurs, il s’oppose à une dissolution de l’Assemblée avant la prochaine élection présidentielle et à la destitution du président de la République. Il regrette enfin la décision d’Olivier Faure de refuser de rencontrer le président de la République. Tout cela, additionné, conduit à remettre en cause la réalité actuelle du Nouveau Front Populaire, dont il s’est réclamé dans sa candidature aux élections législatives.

L’union de la gauche : un logiciel obsolète

Ce faisant, l’ancien président s’arrête cependant au milieu du gué pour la raison principale, selon nous, qu’il demeure fidèle à la vision d’un système partisan bipolarisé structuré par l’opposition gauche-droite et du système politique de la Ve République présidentielle, donc, à un état passé de la vie politique et de la société françaises.  En visant l’objectif d’une gauche majoritaire, François Hollande sous-estime à la fois la faiblesse générale et les divisions profondes de celle-ci. Notre système partisan n’est plus organisé autour d’une bipolarisation gauche-droite. À partir de 1974, la gauche avait représenté dans ce système près de la moitié des suffrages exprimés et le PS y fut dominant à partir de 1978. Aux récentes élections législatives, la gauche unie a rassemblé 28% des suffrages et 182 sièges sur 577, le centre 22% et 168 sièges, le Rassemblement national 33,4% et 143 sièges et LR 7% et 48 sièges.

Selon un récent sondage de l’IFOP, les candidats de gauche obtiendraient ensemble 26% des suffrages exprimés à l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon arrivant en tête, mais en chute libre, avec 9%, Olivier Faure obtenant 4% ou François Hollande 8%. Le plus probable est que Marine Le Pen et Édouard Philippe ou Gabriel Attal arriveraient nettement en tête et s’affronteraient au second tour. François Hollande refuse de prendre en compte l’installation d’un nouveau système partisan pentapartite extrême-gauche-PS-Centre-LR-RN. Il considère que le centre n’est qu’une droite et que cette droite est arrimée à l’extrême-droite, oubliant qu’en 2017 la moitié de son électorat présidentiel du premier tour de la présidentielle de 2012 a voté pour Emmanuel Macron dès le premier tour, le score du candidat du PS étant alors tombé à 6%. Il estime que la relation entre le centre et LR est l’équivalent de l’ancienne alliance UDF-RPR, ce qui est faux. Cette équivalence n’existe aujourd’hui ni du point de vue de la force électorale ni du point de vue de la solidité. Cette vision fausse a l’avantage apparent, en mettant toutes les « droites » dans le même sac, d’imaginer que la gauche unie puisse lui succéder à la faveur d’une nouvelle alternance qui marquerait le retour de la bipolarisation gauche-droite. Il demeure ainsi partisan d’une union de la gauche que les électeurs de gauche réclament, oubliant que les sympathisants du PS sont en même temps hostiles à LFI. Surtout, il défend une position contradictoire, demeurant d’un côté le partisan de l’union de la gauche et niant l’existence d’un centre et reconnaissant de l’autre côté que la gauche étant minoritaire doit s’ouvrir et faire des compromis. Mais alors, avec qui passer ces compromis ? Enfin, comment concilier la refondation d’un PS élargi à Raphaël Glucksmann et Bernard Cazeneuve et l’alliance avec LFI ? Pour être crédible, l’ancien président ne devrait-il pas dire clairement que la stratégie d’élargissement qu’il propose exclut une alliance avec LFI ? Penser que les difficultés et les contradictions pourront être résolues par l’existence d’un rapport de forces très favorable pour un Parti socialiste rénové, n’est-ce pas supposer le problème résolu ? 

Cette erreur d’analyse sur l’évolution réelle du système partisan conduit François Hollande à commettre une seconde erreur sur l’évolution du fonctionnement du système politique. En effet, cette évolution a des conséquences fondamentales sur ce fonctionnement. La plupart des dirigeants politiques continuent à penser dans les termes de la Ve République présidentielle où le pouvoir s’acquiert par une victoire présidentielle qui entraîne une victoire législative. Dans ce système, où l’élection présidentielle est l’élection reine, tout dirigeant de premier rang (et même de second rang !) vise d’abord la candidature à cette élection. Depuis la récente dissolution il apparaît clairement cependant que le pouvoir réel appartiendra désormais aux partis qui pourront participer à la formation d’une majorité parlementaire et que la partie se jouera dans l’arène parlementaire.

La reparlementarisation devrait donc inciter les dirigeants politiques à penser davantage en termes de coalitions gouvernementales et à diriger leurs efforts vers la construction de telles coalitions. Ainsi, lorsque la gauche prétend qu’elle a gagné les récentes élections législatives puisqu’elle qui est arrivée en tête en nombre de sièges, elle se méprend totalement sur ce qu’est la logique parlementaire. Le gagnant sera la coalition capable de ne pas être censurée et non pas celle qui arrivera en tête en nombre de sièges. Tout parti qui aspire à participer au gouvernement du pays doit donc, dans l’état actuel des rapports de force électoraux, se mouler dans cette logique parlementaire. C’est d’ailleurs ce que fait François Hollande lui-même lorsqu’il se prononce pour la proportionnelle intégrale et donne l’exemple de la coalition en place en Allemagne.

Il faudrait alors que le PS reconnaisse, ce qu’il n’a jamais fait depuis le début de la Ve République, que la conquête de l’autonomie stratégique implique qu’il ne rejette pas a priori des compromis, voire des alliances, avec des partis situés sur sa droite. Tel est le pas, décisif, que l’ancien président n’a pas (encore) franchi, seule manière pourtant de trancher le nœud gordien. Il lui faut donc rentrer pleinement dans la logique parlementaire. Un parti de petite taille électorale, tel le PS ou LR, doit donc donner la priorité aux élections législatives et à sa participation à des coalitions susceptibles d’être majoritaires plutôt que présenter à tout prix un candidat à l’élection présidentielle qui a toutes les chances d’être éliminé au premier tour, voire écrasé, comme ce fut le cas pour l’un et l’autre partis en 2022. C’est ce que semble avoir compris LR après bien des hésitations, contrairement au PS. Dans la situation actuelle où seule une large coalition des partis non extrêmes peut empêcher le Rassemblement national d’arriver au pouvoir dans les années qui viennent, le refus durable d’une alliance au centre signerait pour le PS la poursuite de son déclin. Si François Hollande, comme il le prétend, entend faire du PS un parti social-démocrate, ce n’est pas l’union de la gauche, union agonisante, qui le lui permettra.

S’il estime que les coalitions gouvernementales avec le centre n’ont jamais eu aucun avenir, rappelons que celles nouées avec l’extrême-gauche n’en ont pas eu beaucoup non plus depuis 1920 : deux années de Front populaire, une année en 1947 avec le tripartisme, trois années de 1981 à 1984. Enfin, cinq années de 1997 à 2002 qui se sont terminé par une déroute électorale et politique. Rappelons que les communistes n’ont pas participé aux gouvernements pendant le quinquennat de François Hollande. S’il a raison de dire que les électeurs de gauche veulent l’union, c’est à lui de leur expliquer pourquoi elle ne peut que les enfermer dans une impasse durable. Il a déclaré qu’il voterait la censure du gouvernement Barnier parce que « le RN, précisément l’extrême droite, a donné une forme de quitus ». Outre que ce quitus est sans doute très provisoire, comment pouvait-on éviter une telle situation à partir du moment où le PS, en compagnie de ses partenaires du NFP, avait décidé de censurer tout gouvernement qui ne serait pas dirigé par Lucie Castets, un gouvernement de gauche qui, François Hollande le dit lui-même, aurait été immédiatement censuré. Puisque l’ancien président vient de lancer sa bataille contre la direction du Parti socialiste, il ne peut plus demeurer au milieu du gué. Il lui faut trancher le nœud gordien.

[1]  Le Défi de gouverner. La gauche et le pouvoir de l’Affaire Dreyfus jusqu’à nos jours, Perrin, 2024.