L'Europe des moins-disants edit
Le 29 mai 2005, à l'issue d'un débat véhément, les Français, rapidement suivis par les Hollandais, rejetaient nettement le projet de constitution européenne. Peu après, face à la menace d'une avalanche de réponses négatives, le Conseil européen décidait d'une pause dans les procédures de ratification, laissant à chaque Etat le soin de décider des mesures à prendre. Dans la foulée, plusieurs Etats renonçaient aux référendums qu'ils avaient prévus. Un an plus tard, où en sommes-nous ?
A l'évidence, aucune stratégie de repli n'avait été prévue. Au cours de la "pause de réflexion" décrétée par le Conseil européen, le fantomatique plan B, dont l'ombre avait occupé une partie de la campagne, a brillé par son absence. On commence toutefois à voir émerger ici et là des embryons de scénario de relance.
Il se trouve encore quelques optimistes - dont Valéry Giscard d'Estaing - pour croire que le processus de ratification va se poursuivre et qu'il contraindra la France et les Pays-Bas à revenir sur leur décision. Mais ils ne sont pas nombreux, tant la refus du printemps dernier a été net. Grosso modo, les stratégies que l'on évoque aujourd'hui se divisent en deux camps. D'un côté les tenants d'une solution artisanale destinée à sauver ce qui pourrait l'être de la constitution ; de l'autre ceux d'une mise au rencart des questions institutionnelles.
La première stratégie a notamment été évoquée par Nicolas Sarkozy dans un discours qu'il a prononcé au début de l'année devant la Fondation Adenauer, et il se dit que Mme Merkel n'y serait pas insensible. Partant de l'idée que certains aspects de la constitution étaient moins controversés que d'autres, pourquoi ne pas les extraire du texte de la constitution, afin d'en organiser une entrée en vigueur simplifiée ? On envisage ainsi pêle-mêle une ratification de la charte des droits fondamentaux, un traité séparé reprenant les dispositions relatives à la politique étrangère, une utilisation systématique des clauses-passerelles qui permettent un passage au vote à la majorité qualifié en matière de justice et d'affaires intérieures, et même un mini-traité reprenant les dispositions institutionnelles de la première partie, qui pourrait être ratifié par les parlements, sans recours au référendum.
D'autres vont plus loin dans le pragmatisme. Le Président de la Commission, Jose Manuel Barroso, a été l'un des premiers à souligner (de façon assez discrète, dans un premier temps) qu'il fallait prendre acte de la position fermement exprimée par les peuples français et hollandais, et admettre qu'en son état actuel, le projet de constitution était bel et bien mort. Face à cette impasse institutionnelle, l'unique source de mouvement serait d'emprunter un autre chemin, celui de projets concrets répondant aux aspirations des citoyens: l'Europe des projets d'Edouard Balladur, l'Europe des résultats évoquée par un document récent de la Commission.
Ces deux approches se heurtent toutefois à de nombreuses difficultés, d'ordre juridique ou politique. La première surestime sans doute l'ampleur du consensus qui existait sur certains points. La charte des droits fondamentaux a été contestée au cours de la campagne référendaire. Le texte de la constitution était avant tout un compromis entre des préférences parfois diamétralement opposées ; son saucissonnage risque donc de s'avérer problématique. Juridiquement, la première partie est incomplète sans certaines dispositions modificatives de la fameuse troisième partie. Enfin, l' entrée en vigueur à la sauvette de dispositions rejetées par le peuple viendra nourrir la méfiance que l'opinion nourrit à l'endroit des gouvernants.
Le pragmatisme de bon aloi de la seconde stratégie évoque une constante de l'histoire européenne. Si L'Europe s'est construite sur base de projets relativement précis - le pool charbon-acier, le marché commun, le programme marché intérieur de la Commission Delors, la monnaie unique - et si toutes les tentatives de "big bang" constitutionnel - de la Communauté européenne de défense au projet de constitution - se sont heurtées à un échec, c'est qu'il est plus simple de s'entendre sur des projets concrets que sur une définition abstraite de ce que doit être l'organisation institutionnelle du continent. Mais les grands projets du passé avaient une indéniable portée politique. Faire la CECA, c'était répondre à la question géopolitique du moment : que faire de l'Allemagne ? L'union économique et monétaire apportait une réponse à la même question, dans un contexte radicalement différent, marqué par la chute du rideau de fer et la réunification allemande. Or quelle que puisse être leur utilité, les quelques projets dont on parle aujourd'hui sont muets sur les grands enjeux de la construction européenne. Ils ne nous disent rien sur la place des peuples dans l'ensemble, ni sur son positionnement sur la scène internationale.
Ce silence a sans doute dû à de multiples facteurs culturels et politiques. L'élément institutionnel n'est pas le moindre. Aujourd'hui, rares sont ceux qui portent le projet européen. Les responsables nationaux - et c'est normal - ont pour horizon naturel les frontières de leur pays, et pour calendrier les échéances électorales nationales. La Commission actuelle, elle, semble avant tout préoccupée de ce que diront les gouvernements - normal puisque ce sont eux qui la choisissent. Mais ceci aboutit à une situation néfaste, où personne ne semble se soucier de tenir un discours cohérent aux citoyens européens, qui ont pourtant manifesté avec éclat leur volonté de s'approprier les choix européens et d'en comprendre le sens. Comment combler ce fossé entre ces citoyens et les responsables européens ? C'est la question à laquelle devraient s'intéresser les réformateurs. Mais à l'évidence, elle appelle plus qu'un bricolage institutionnel.
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