Comment aider les élus à mieux travailler ? edit
La proposition de Ségolène Royal d'instaurer des « jurys citoyens » renvoie à une procédure anglaise de démocratie participative, les citizens juries, étrangère à l'idée d'une évaluation a posteriori du travail des élus. Prenons toutefois le temps de discuter l’idée de panels de citoyens invités à procéder à cette évaluation.
Ces panels, s’ils étaient choisis au hasard, devraient comprendre des citoyens de gauche comme de droite. Il est peu probable que ceux des électeurs qui ont voté pour les responsables en exercice évaluent leur action de la même manière que ceux qui leur ont préféré d’autres candidats. Quel type d’appréciation pourra alors donner ce panel, comment parviendra-t-il à construire une opinion cohérente ? Si le consensus est impossible, lequel des deux jugements conviendra-t-il de retenir ? L’élection suivante semble un lieu plus indiqué pour cette évaluation et son expression par les urnes.
C’est précisément le sens de la démocratie représentative que de sortir des opinions toutes faites pour faire émerger une meilleure représentation de l’intérêt général. Cela suppose des procédures, lourdes et complexes quelquefois, mais nécessaires pour mettre à distance les passions. La proposition de Ségolène Royal semble relever au contraire de la démocratie directe, une forme politique dont les défauts sont bien connus : représentations simplistes, opinions mal ou peu construites, polarisation excessive, manipulations plus faciles et plus fréquentes.
On pourrait certes proposer que le panel se livre à un jugement purement formel, par exemple sur la présence des élus à l’Assemblée s’il s’agit de députés, le nombre de dossiers traités, les promesses tenues, etc. Ségolène Royal a parlé elle-même d’« indicateurs ». Mais à quoi sert alors de faire évaluer ce travail par des citoyens ? On parviendrait à un résultat bien plus intéressant en permettant à tout citoyen d’accéder à ces indicateurs sur un site dédié.
Passons sur ces premières difficultés. Quelle forme donner à ce jury ? Faut-il prendre le mot « jury » au pied de la lettre et faire défiler les élus devant les citoyens ? Faut-il instruire leur dossier, leur adjoindre des avocats ? Une telle confusion des genres ne semble guère propice à redorer le blason de l’action publique. Entendons-nous bien, mon propos ici n’est pas d’installer les experts et les décideurs dans une tour d’ivoire et de cantonner les citoyens dans un rôle de spectateurs. Mais il me semble important de ne pas se méprendre sur ce que peut être la démocratie participative.
Cette expression est d’ailleurs généralement mal comprise en France. Au mépris des expériences menées depuis une dizaine d’années, elle est souvent assimilée à la possibilité pour tous de participer à la décision publique, alors même que le débat public ne draine pas les foules, et que certaines procédures exigent au contraire un nombre réduit de participants. C’est, là encore, confondre démocratie directe et participative. Revenons aux définitions, en rappelant que l’influence des citoyens sur la prise de décision publique peut théoriquement s’exercer de trois manières : la démocratie élective qui permet aux citoyens de choisir ceux qui exerceront en leur nom le pouvoir de décision ; la démocratie participative qui permet à un nombre limité de citoyens d’éclairer à l’amont la décision des élus sur un sujet particulier, alors que le mandat qui leur a été confié et la responsabilité qui leur a été accordée sont généraux ; enfin, la démocratie directe qui permet au plus grand nombre de décider de façon ultime, par exemple à la faveur d’un référendum.
En pratique, alors que les élections permettent de choisir une « trajectoire » de décisions, la démocratie participative ouvre la possibilité, pour une décision particulière, de recueillir une forme d’expertise d’usage, via la remontée de propositions diversement élaborées.
Cela n’a rien à voir non plus avec un quelconque spontanéisme. La démocratie participative permet au contraire à des propositions construites de se faire entendre. Selon la procédure retenue, l’élaboration de ces propositions varie d’ailleurs sensiblement. Schématiquement, on peut distinguer les trois modalités suivantes : les débats publics ouverts, les commissions liées à des institutions particulières et les panels de citoyens.
Simples réunions de quartiers ou débats sur d’importants projets d’aménagement menés sous l’égide de la Commission nationale du débat public (CNDP), les débats publics ouverts rassemblent avant la prise de décision les parties intéressées à la résolution d’un problème donné. Ce sont le plus souvent les propositions de la société civile organisée qui sont portées à la lumière, mais le débat est ouvert, au sens où toute partie se sentant intéressée peut en principe y participer, même sans y être formellement invitée.
Tel n’est pas en revanche le cas des participants aux commissions institutionnelles, du type des Comités locaux d’information (CLI) et des Commissions locales d’information et de surveillance (CLIS). Les membres de ces commissions sont désignés non pas pour débattre d’un projet, mais pour accompagner le fonctionnement, grâce à l’information dispensée, d’un site ou d’une installation généralement dangereux. On sort ici du débat public stricto sensu.
Les panels de citoyens, qu’il s’agisse des panels des conférences de consensus ou de cercles plus informels, sont composés d’un nombre restreint d’individus, désignés au terme d’une procédure de sélection. En France, le choix de la quinzaine de citoyens incombe à un institut de sondage, sur la base d’un cahier des charges. Ces groupes délibèrent sur une question d’intérêt général dont la solution ne semble pas s’imposer a priori. Les propositions finales n’ont pas grand chose à voir avec ce que chaque citoyen participant pouvait penser auparavant. Elles sont le fruit d’une information préalable de grande qualité, le plus souvent assez lourde, et d’une délibération collective ; une délibération au sens propre, le panel étant contraint par la procédure de prendre en compte les points de vue contradictoires possibles.
La démocratie participative n’a pour vocation ni de dédoubler et de parasiter la démocratie représentative, ni de s’y substituer. Sa légitimité tient à ce qu’elle peut apporter au processus de prise de décision publique. Cet apport varie en fonction de la procédure et du niveau en cause, local ou national. Sur de grands sujets de société, les conférences de citoyens contribuent à éclairer l’intérêt général. Les conférences échappent au prisme partisan consubstantiel à la vie parlementaire ; elles débouchent sur des recommandations argumentées et contribuent ainsi à introduire de la rationalité en amont de la décision publique ; elles y parviendraient plus encore si leur commanditaire politique était contraint de répondre à leurs recommandations, quitte à contre-argumenter. La démocratie participative ne s’oppose donc pas à la démocratie représentative, elle en conforte au contraire l’exercice en l’éclairant à l’amont. Elle n’a d’autre dessein que de permettre aux élus de décider en meilleure connaissance de cause.
Il y a donc mieux et plus à attendre de la démocratie participative que ces jurys de citoyens censés surveiller le travail des élus : permettre à ces mêmes élus de mieux travailler.
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