Alors, ce «réarmement démographique»? edit

2 septembre 2024

Face à la baisse de la fécondité et aux sombres perspectives démographiques, le Président de la République a évoqué, début 2024, un nécessaire « réarmement démographique » du pays. Le plus haut niveau de l’État, certainement armé des meilleures intentions, a repris un flambeau nataliste. Ses contempteurs ont attaqué. Ses partisans ont cherché, avec plus ou moins de bonne volonté, à concrétiser.

Un classique présidentiel

Tous les prédécesseurs de Emmanuel Macron n’ont pas adopté une telle emphase. Mais aucun n’est resté muet au sujet des naissances et de la démographie comme force et comme composantes du patriotisme. Charles de Gaulle, dans un discours prononcé devant l’Assemblée consultative provisoire 2 mars 1945, fait, un peu avant la victoire, le bilan de la guerre et de la situation. « La France, hélas !, note-t-il, manque d’hommes, et ce vide terrible se fait sentir non seulement quant au nombre brut, mais encore – qui ne le sait ? – quant à la qualité ». Et le général d’ajouter, avec quelques mots restés célèbres, « Ah ! messieurs, nous touchons là à une des causes principales de nos malheurs et à l’un des obstacles principaux qui s’opposent à notre redressement. De quelque façon que nous organisions notre travail national, nos rapports sociaux, notre régime politique, notre sécurité même, s’il est acquis que désormais le peuple français ne se multiplie plus, alors la France ne sera plus qu’une grande lumière qui s’éteint. »

Faisons un rapide tour des présidents de la Ve République. Lors de ses vœux télévisés aux Français du 31 décembre 1962, le général de Gaulle n’adopte pas de ton guerrier. Il signale néanmoins l’importance du sujet en termes de puissance : « Progrès démographique : la France moderne pourrait compter 100 millions d’habitants. Combien seront donc bienvenus les bébés qui naîtront chez nous en 1963 ! » Son successeur, Georges Pompidou, se tourne, lors de ses vœux du 31 décembre 1970, vers les nouveaux nés : « Voici que je pense aux 845 000 petits Français et petites Françaises qui sont nés en 1970. Chacune de ces naissances présente un acte de foi dans l’avenir. »

Valéry Giscard d’Estaing fait vibrer la corde décliniste en clôturant, le 25 juin 1980, le colloque national sur la démographie française : « L’histoire de la France est lourde d’un passé démographique longtemps défavorable qui a joué un rôle essentiel dans son affaiblissement relatif, culturel et politique. » Dans un message adressé aux participants du « Forum Naissance », le 8 décembre 1983, François Mitterrand écrit : « À vous tous qui participez à ce forum sur la naissance et qui représentez les forces essentielles de la Nation, je dis qu’il n’est de grand peuple que celui qui croit à la vie et qui, fort de cette conviction, se renouvelle sans faiblesse démographique. » Installant le Haut Conseil de la Population et de la Famille, le 12 avril 1996, Jacques Chirac s’émeut d’une fécondité affaissée : « Une telle situation est lourde de conséquences. Il existe un lien étroit entre la population d’un État et son rayonnement. La vitalité démographique est une condition de la croissance. Le recul de la natalité porte en germe la baisse de notre compétitivité, et menace à terme notre dynamisme. »

À l’occasion d’un déplacement dans le Tarn sur le thème de la politique familiale, le 7 février 2012, Nicolas Sarkozy soutient « qu’il n’est de promesse d’avenir pour un peuple et pour une Nation que les enfants qui naissent et qui grandissent sur son sol. » Et d’ajouter : « Des empires ont été détruits faute d’enfants. Des civilisations brillantes se sont effondrées faute d’enfants. De vieilles nations s’abîment aujourd’hui dans le déclin, faute d’enfants. » Moins lyrique, François Hollande, dans un discours prononcé pour la remise de la médaille de la Famille, le 20 décembre 2014, revient sur l’histoire de cette distinction et, partant, sur l’histoire démographique française en rappelant qu’« il s’agissait, après cette saignée de la guerre, de faire en sorte d’encourager les familles de France à faire des enfants, et donc de récompenser les mères le plus souvent, qui étaient devenues parfois des veuves, pour ce qu’elles pouvaient accomplir en faveur de la France. »

Du réarmement démographique

Mais, d’abord, qu’est-ce qu’un réarmement ? Emmanuel Macron et ses conseillers avaient certainement moins à l’idée le réarmement moral et plus à l’esprit le fait de se rééquiper en armes. Le domaine est explicitement militaire. Peut-être y avait-il un marin parmi les rédacteurs de l’intervention, reprenant alors une terminologie maritime, désignant l’action de doter à nouveau un navire en équipage, en matériel, en approvisionnements et éventuellement en artillerie. Dans tous les cas, le réarmement vaut remise en état. On veut bien croire que toute remise en état démographique soit problématique.

Les deux éléments d’armement évoqués par le Président sont, sur le registre des prestations familiales, une révision de l’indemnisation du congé parental et, sur le registre de la santé, un plan de lutte contre l’infertilité, avec, notamment, des examens de prévention et améliorer l’accès à la PMA. On ne saurait espérer de ces propositions des virages radicaux en matière de fécondité car la contribution de chacune d’entre-elles ne saurait être que minime. Mais, au moins, elles passent par des voies qui peuvent avoir une incidence.

Mieux prendre en charge l’infertilité subie, comme première arme, c’est assurément pouvoir gagner des bébés : des hommes et des femmes, aidés par la science, réaliseront leur désir d’enfant. La natalité ainsi augmentée ne bousculera cependant pas, au regard des faibles effectifs concernés, les taux de fécondité.

Réformer le congé parental, comme deuxième arme, c’est aller dans le sens de la principale revendication des jeunes parents : avoir la faculté de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle. Soutenir la fécondité échoit à cet investissement nécessaire dans une meilleure prise en charge, en quantité et en qualité, des enfants de 0 à 3 ans. Avec davantage de places en crèches et davantage d’assistantes maternelles, avec, également, un congé parental mieux rémunéré. Ces congés, avec les offres d’accueil formel pour les petits enfants, optimisées dans un service public de la petite enfance (SPPE), ne forgent certainement pas une arme de fécondité massive. Ces instruments se rangent parmi ceux à impact vraisemblable, même si limité.

Sur la forme, la sémantique martiale d’Emmanuel Macron rappelle indubitablement l’histoire de la politique familiale nationale. Certains critiques actuels, réveillant de vieilles empoignades, vitupèrent des périls contenus dans les termes de redressement, de relèvement et, à plus forte charge, de réarmement. Ils décèlent des prurits conservateurs, voire réactionnaires.

Depuis début 2024, le président français est blâmé ou moqué pour l’emploi de mots jugés trop belliqueux quand il s’agit d’infertilité et de fécondité. Le vocable supposerait un avachissement français et une certaine dégénérescence de la population française. L’accusation d’injonctions liberticides faites aux femmes et d’embrigadement afin de procréer pour le compte de la nation est cependant facile. Elle relève d’une polémique politique issue spécialement de franges militantes du féminisme, et non d’une sororité universelle. Elle instruit le procès du réarmement démographique en asservissement nataliste des femmes, en réarmement démagogique des politiques ou en dérives nationalistes et patriarcales du pouvoir. On perçoit, dans ces chicanes terminologiques, des matières qui méritent l’attention, mais aussi de la coquetterie sémantique. Ne discerner dans le réarmement démographique que le retour de pensées toxiques semble légèrement forcé.

Fécondité, égalité, liberté, activité

La fécondité, thème pétri d’idéologies, est un éternel sujet d’avenir. Chaque responsable politique doit s’en préoccuper, tandis que les démographes seront inlassablement mobilisés pour produire des données et les interpréter. Du point de vue de la science démographique, aucun modèle parfait n’explique les variations de fécondité. Celles-ci procèdent de décisions individuelles (et conjugales) sur lesquelles les répercussions des politiques publiques sont, au mieux, mesurées.

Il n’existe certainement ni voie unique, ni instrument magique pour stopper la diminution de la fécondité et pour la voir augmenter. Peut-être pourrait-on se contenter de dire qu’il faut agir tous azimuts. Ceci aussi se discute. Un branle-bas de combat global serait moins efficient que le choix raisonné de quelques voies à suivre, de quelques instruments à favoriser, dans un cadre rigoureusement établi.

Il est vrai, à l’inverse, que déconstruire ce qui existe, sans vision d’ensemble, peut se révéler délétère. Attention par conséquent, en voulant trop raboter budgétairement, à ne pas affecter la capacité des ménages à ancrer leurs anticipations dans la stabilité des dispositifs. Le bougisme règlementaire, mû par de compréhensibles soucis d’économie, et les inévitables différends qu’il suscite, rendent plus changeant et plus délicat l’environnement des familles.

Une stratégie propice à la natalité privilégie la stabilité, la lisibilité, la durabilité, la continuité. Favoriser ces éléments en « té » n’interdit pas les réformes et les innovations. Un réarmement démographique – si l’on conserve l’expression – doit cependant faire attention au désarmement par détricotage.

Stratégiquement, plutôt que des bricolages et rafistolages, il faut privilégier l’essentiel. Or, à force de nuancer les effets, se profile une conclusion défaitiste sur l’impuissance publique et les illusions des décideurs. La pondération systématique brouille le message. En réalité, l’action publique compte. Non pas en raison de ses différents programmes scrutés séparément, mais en considération de sa substance et de sa cohérence générale.

Pour finir, sans relativiser, sur une voie d’excellence, où il est toujours possible de s’améliorer, le point clé de la fécondité moderne réside très probablement dans l’activité féminine et ce qui la facilite. C’est, en quelque sorte, la munition essentielle de l’armement démographique moderne.

Égalité et liberté représentent les deux clés du dossier : égalité des droits pour les femmes et pour les hommes ; liberté pour les gens d’avoir le nombre d’enfants qu’ils souhaitent. L’accomplissement de cette égalité et la valorisation de cette liberté procèdent d’une action publique multifacette mais suivant des pistes raisonnées et respectueuses de la diversité des attentes. Les voies familiales de l’épanouissement et de l’émancipation ne sont pas universelles. Pour les politiques publiques, le mot d’ordre n’est pas pression, pas même incitation, encore moins obligation ou sommation. C’est facilitation.

Analyser les freins et les leviers de la fécondité aboutit à une recommandation de modestie pour le décideur, comme d’ailleurs pour l’observateur. Tout ne réside pas dans des normes et des budgets publics, dans des équations et des bases de données.

Rares sont, de nos jours, les parents qui procréent expressément pour la patrie. Quelques-uns désirent une descendance au regard de leurs vieux jours à venir. Plus nombreux sont ceux qui enfantent dans une logique élémentaire de sensations et de convictions individuelles. Le bonheur prime. Cette rationalité peut paraître, à juste titre, éloignée de la notion de réarmement. La fécondité, évidemment, ne mute pas mécaniquement en fonction des desiderata des décideurs publics et d’une conduite militaire des affaires familiales collectives. Toutefois, un collectif ne peut grandir que si ses membres trouvent des raisons de s’aimer. 

Le dernier mot, autour de la fécondité, revient finalement à l’une de ses dimensions principales, une variable indispensable, instable, incontrôlable et non aisément objectivable : les sentiments. Amour sacré de la patrie, éventuellement, amour des conjoints et des enfants, certainement.