Mission Olivennes, mission impossible ? edit
Le rapport sur « Le développement et la protection des œuvres culturelles sur les nouveaux réseaux » remis au ministre de la Culture et de la Communication par Denis Olivennes propose trois mesures pour lutter contre le piratage en ligne : développer une riposte graduée qui pourrait aboutir à une résiliation du contrat internet de la personne téléchargeant des contenus de manière illégale ; filtrer et marquer les contenus échangés en ligne ; garantir une plus grande interopérabilité des formats des contenus légaux. Que penser de ces propositions ?
Commençons par la garantie d'interopérabilité des formats des contenus, très louable, mais peu crédible : il s'agit d'une donnée stratégique pour les entreprises technologiques. Ainsi, Apple est très réticent à l'idée d'ouvrir son format de musique à d'autres plateformes, pour des raisons commerciales évidentes.
Quant aux deux premières mesures, les technologies de filtrage et de marquage des contenus échangés ainsi que la riposte "graduée" passent nécessairement par une analyse technique des contenus téléchargés pour détecter les internautes "pirates". Cette violation de la vie privée des internautes menace à la fois le développement de l'e-commerce déjà freiné par des problèmes de mauvaise perception de la sécurité de paiement en ligne.
Ces freins au développement de l'internet pourraient avoir des conséquences économiques négatives importantes. De plus, ces techniques de filtrage sur internet n'empêcheront pas les gens de copier des contenus numériques. D'après plusieurs enquêtes, une proportion substantielle de personnes obtiennent des fichiers audio et vidéo par l'intermédiaire d'un intranet ou par copie de répertoires de disques durs portables ou de clés USB contre lesquels les mesures proposées ne pourront rien. Avec le développement des réseaux sans fil ouverts, il sera de plus en plus difficile de filtrer les échanges de fichiers. D'un autre côté, on risque d'assister à une guerre technologique entre les développeurs de protection et les hackers au détriment des utilisateurs des plateformes légales qui risquent de devoir utiliser des outils technologiques de plus en plus complexes et de plus en plus de restrictions. Par ailleurs, les hackers gagnent souvent les guerres technologiques.
Les membres de la mission Olivennes font souvent une analogie entre leur volonté de créer une autorité chargée de punir les actes de piratage en ligne et l'existence d'une autorité chargée de détecter et de traiter les infractions au code de la route. Cette analogie est imparfaite. Les radars sur les routes servent à garantir la sécurité de tous, ce qui justifie d'utiliser l'argent public pour financer l'infrastructure nécessaire au déploiement des radars et au traitement des contraventions. Mais qui financera cette autorité de contrôle ? Si ce sont les contribuables français, il s'agira alors d'utiliser l'argent public pour financer les profits de compagnies privées. Une telle pratique pourrait être considérée comme une subvention de l'État à un secteur privé et entrer rapidement dans le collimateur de la Commission Européenne. Il faut d'ailleurs savoir qu'aux Etats-Unis, ce sont les labels eux-mêmes, par l'intermédiaire du RIAA (Recording Industry Assocation of America), qui ont lancé plus de 20 000 poursuites contre les internautes soupçonnés de piratage. Les coûts de ces campagnes (sans compter la mauvaise presse) n'ont pas encore été dévoilés, mais le RIAA admet ne pas tirer de bénéfice de ces poursuites qui rapportent tout de même en moyenne 3 000 dollars par cas réglé hors tribunal. En France, quels seront les droits des internautes accusés à tort de piratage, comme cela est arrivé à de nombreuses reprises aux Etats-Unis ?
L’analyse économique des conclusions du rapport est que la loi sur la protection de la propriété intellectuelle, que ce soit le brevet ou le droit d'auteur, accorde une exclusivité de commercialisation de nouveaux produits ou procédés ; ce qui aboutit le plus souvent à des situations de monopole. Cette distorsion de marché est nécessaire pour inciter les entreprises à investir dans la commercialisation coûteuse de ces produits dans un environnement risqué. Sans protection, on risque une sous-production de nouvelles technologies. Cependant, il ne faut pas oublier qu'en contrepartie, les lois sur la protection de la protection intellectuelle garantissent également la diffusion des nouveaux produits dans l'économie. Ainsi, les détenteurs de brevets sont obligés de divulguer l'information technique contenue dans l'innovation technologique. De même, la loi européenne sur le droit d'auteur contient-elle des exemptions, telles que la copie d'un album musical pour un usage privé. Par ailleurs, la Sacem bénéficie des taxes sur les supports de copies (CD et DVD vierges, disques durs portables, clés USB) redistribués aux ayants droit en compensation. Le droit d'auteur a toujours cherché à équilibrer ces deux forces économiques : l'une pro entreprises et l'autre pro consommateurs. Le piratage en ligne a fait pencher la balance en faveur des internautes. Mais la mission Olivennes ne risque-t-elle pas l'excès inverse ?
Une autre dimension importante de la question est la diversité culturelle. Prenons l'exemple de l'industrie de la musique. Les nouvelles commercialisations par les principaux labels musicaux ont chuté de moitié en trois ans. On peut y voir d'un côté l'effet de la crise sur la promotion de nouveaux titres. D'un autre côté, on peut y déceler une stratégie "hit and run" à travers laquelle les entreprises essaient d'exploiter le plus rapidement possible un petit nombre d'albums et d'artistes, à travers une diffusion en boucle à la télévision et à la radio, ainsi que par une forte présence dans les rayons de ventes des supermarchés. Parmi les spécialistes, cet effet "média de masse" est cité au même niveau que le piratage en ligne et les prix élevés pour expliquer la crise actuelle de l'industrie de la musique enregistrée. La mission Olivennes ne changera pas cette stratégie. Bien au contraire, elle risque de la renforcer. Par ailleurs, beaucoup d'artistes ne sont pas présents sur les plateformes légales de téléchargement. La chanteuse classique Barbara Hendricks, lassée de voir ses disques disparaître du catalogue de son label, a décidé d'imiter le groupe rock Radiohead en décidant de vendre en ligne son nouveau CD à un prix déterminé par l'internaute. De même, un grand nombre d'artistes - et pas uniquement des inconnus - ne sont pas distribués sur les plateformes légales de ventes en ligne car ils se jugent mal rétribués. Or, Internet offre des outils inégalés de promotion de nouveaux produits à travers les communautés de MySpace, Facebook, YouTube ou DailyMotion. La mission Olivennes propose-t-elle des mesures pour exploiter ces outils qui semblent plus aptes à garantir la diversité culturelle que la mise en place de filtres ?
Au final les bénéfices en valent-ils les coûts ? Il sera facile de répondre à cette question en observant l'évolution des ventes légales de contenus numériques après le vote éventuel de la "loi Olivennes" : ces ventes devront augmenter de manière substantielle pour justifier les coûts sociaux et économiques élevés du dispositif de filtrage et d'amendes. Néanmoins, on peut être sceptique sur le caractère plausible d'un tel scénario au vu de l'expérience américaine : non seulement, les ventes légales aux États-Unis n'ont pas augmenté durant les quatre années de poursuites judiciaires contre les internautes "pirates", mais de surcroît, le nombre de personnes utilisant les réseaux de partage n'a pas diminué.
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