Le coût des retards scolaires edit
Au moment où les candidats au baccalauréat du millésime 2008 s’apprêtent à poursuivre des études ou à rechercher un emploi, un examen des données françaises récentes montre quelle est la sanction du retard scolaire sur le marché du travail. Une année de retard par rapport à la norme, quel que soit le niveau de diplôme, se traduit par un salaire inférieur d’à peu près 9% en moyenne, pendant les premières années de carrière. Les effets sur l’insertion dans l’emploi sont encore plus marqués : une année de retard se traduit par une baisse d’environ 19% du taux d’emploi dans les cinq années qui suivent la sortie du système éducatif, soit près de douze mois de chômage de plus. Ces faits méritent un essai d’interprétation.
On peut en effet se demander quelle est la valeur privée des années perdues par certains élèves à l’école et à l’université, puisque le rendement d’une année d’études supplémentaire est de l’ordre de 8 à 9%. En moyenne prise sur les « retardataires », une année de retard efface donc complètement le bénéfice d’une année supplémentaire d’études. Réussir sa licence avec un an de retard sur la moyenne de sa génération cause une baisse d’environ 9% du salaire perçu pendant les 5 premières années de carrière, par rapport aux licenciés d’âge normal. Le licencié retardataire mettra en moyenne 12 mois de plus à trouver un emploi stable dans les mêmes 5 années suivant sa sortie de l’université. Il est possible et même probable que les effets sur le salaire perdurent, en s’atténuant un peu, sur l’ensemble du cycle de carrière, mais les données dont nous disposons ne nous ont pas permis de le montrer. En outre, ces effets négatifs du retard dépendent peu du niveau de sortie. Par exemple, perdre un an à l’université et la quitter sans diplôme fait de l’étudiant un bachelier avec un an de retard qui touchera en moyenne un salaire de 9% inférieur aux bacheliers d’âge « normal » qui n’ont pas perdu de temps à la fac, etc. Il est légitime de s’interroger ensuite sur la valeur pour la société dans son ensemble du financement sur fonds publics d’années d’études supérieures dont le rendement privé est nul, voire négatif.
Les économistes n’ont pas pu trancher le débat qui oppose, de manière un peu caricaturale, les tenants de la théorie du capital humain et ceux de la théorie du signal. La première théorie, associée au nom du prix Nobel de sciences économiques Gary Becker, stipule que les diplômés sont mieux payés parce qu’ils sont plus productifs, et qu’ils sont plus productifs parce qu’ils ont acquis des compétences à l’école – en simplifiant à l’extrême. La seconde théorie est associée au nom d’un autre prix Nobel, Michael Spence. Sous sa forme la plus caricaturale, cette théorie soutient que même s’ils n’acquièrent pas de compétences immédiatement productives à l’école, les diplômés seront mieux payés car les diplômes renseignent les employeurs sur des caractéristiques de talent et d’aptitude des étudiants, innées ou acquises en dehors de l’école, qui ne sont pas aisément observables, mais qui en revanche, sont directement utiles pour les employeurs. Les diplômes sont vus, non pas comme les témoins d’une production de compétences par l’école, mais comme un « signal » des talents et des aptitudes, c’est-à-dire comme un moyen de transmettre aux employeurs une information cachée sur la productivité des candidats à l’embauche. La réalité, comme toujours, se situe quelque part entre ces deux versions extrêmes de la théorie, et toute la difficulté du sujet est là ; le surcroît de salaire que l’on peut attendre en moyenne d’une année d’études supplémentaire est l’addition de deux composantes : la rémunération de compétences acquises à l’école, à laquelle s’ajoute une prime due au fait que la réussite au diplôme révèle l’existence chez le diplômé de qualités difficilement observables au premier abord.
Les employeurs peuvent interpréter d’autres signaux que le diplôme : par exemple le retard scolaire. Ce que nos résultats montrent clairement (le lecteur intéressé pourra les consulter in extenso ici), c’est que le retard scolaire trahit des caractéristiques individuelles considérées comme peu désirables par l’employeur. Pour obtenir ces résultats, nous avons utilisé les données d’une enquête de génération du CEREQ (un échantillon de plus de 12000 étudiants de sexe mâle observés pendant 5 ans après leur sortie du système scolaire), appariées avec des données de l’INSEE, des données du Ministère de l’Education Nationale et des données géographiques mises à notre disposition par l’Institut Géographique National, et qui jouent un rôle crucial. Pourquoi des données géographiques ? Parce que la variabilité des conditions scolaires liées au lieu de résidence des étudiants dans leur enfance permet d’identifier l’effet pur du retard scolaire sur les salaires. Nous tenons bien évidemment compte du déterminisme sociologique lié au milieu socioprofessionnel d’origine. Il est bien clair que les fils d’ouvrier ont tendance à avoir plus de retard à l’entrée en sixième, sont plus souvent orientés vers le technique que les fils de cadres, etc.
Question finale – la plus intéressante peut-être : pourrait-on éliminer ces problèmes de décote liée au retard scolaire en abolissant complètement les redoublements de la maternelle à l’université ? La réponse est oui, en théorie, car le retard scolaire ne révèlera rien au delà de l’intervention d’un éventuel accident « excusable ». Il restera cependant une distribution sous-jacente, imparfaitement observable, des talents et aptitudes des individus. Si donc on « bradait » les diplômes pour limiter au maximum les redoublements, les salaires des jeunes diplômés baisseraient inexorablement, car un diplôme signalerait alors un diplômé en moyenne moins talentueux. Si on maintient le niveau des diplômes et qu’on interdit le redoublement, les salaires des diplômés monteront par rapport aux non-diplômés ou aux diplômés de niveau inférieur, les effectifs inscrits aux divers niveaux varieront. On peut imaginer une réponse du marché socialement valable : l’accès à l’université étant redevenu plus difficile, le niveau moyen des étudiants qui s’arrêtent au niveau bac montera, donc le salaire de ces bacheliers se réévaluera ; cela aura pour contrecoup d’accroître les incitations de ceux qui auraient abandonné leurs études secondaires à essayer d’avoir le bac, diminuant le taux de sortie sans diplôme.
L’éducation apparaît bien, du point de vue individuel, comme un investissement privé qui présente certains risques : des coûts plus ou moins élevés pour les individus et leurs familles (dont les redoublements sont une cause majeure de variation), des déconvenues possibles en termes de revenus du travail. En effet, au delà du diplôme, les salaires dépendent aussi beaucoup des qualités personnelles du jeune diplômé, telles qu’elles peuvent être appréciées au moment de l’embauche. Il n’est pas certain que les jeunes et leurs familles réalisent toujours pleinement les conséquences des risques pris avec le temps nécessaire pour réussir un diplôme : à l’école aussi, time is money.
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