Comment le droit européen gagne du terrain edit
Le droit européen gagne chaque jour du terrain sur le droit national, même si les États résistent à sa transposition comme le montre l’exemple de la directive 2008/115/CE, dite « directive retour ». Celle-ci vise à harmoniser a minima les conditions de renvoi des étrangers en situation irrégulière dans l’Union européenne. Très critiquée par les associations qui ont parlé de « directive de la honte », cette directive ne peut passer pour particulièrement libérale et elle laisse une grande marge d’appréciation aux gouvernements pour la traduire dans le droit national. On aurait donc pu s’attendre à ce que ce texte, épousant les choix politiques du moment, s’intègre sans difficulté dans l’arsenal répressif français.
Alors que les questions d’immigration se posent à l’échelle de l’Union et ne sauraient être traitées uniquement par des mesures nationales, la directive pose des principes communs pour le renvoi dans leur pays d’origine des étrangers se trouvant en situation irrégulière dans l’Union. Les législations des États membres sont en effet très différentes d’un pays à l’autre alors même que l’espace de Schengen rend nécessaire la coopération sur ces matières. L’harmonisation opérée est cependant limitée car, par exemple, alors que la durée maximale de rétention administrative avant le renvoi est en France de 32 jours, la directive laisse les États membres libres de choisir une durée de rétention pour peu que celle-ci reste inférieure à six mois. Quoi qu’il en soit, comme toute directive européenne, elle fixe un cadre qui doit être traduit en droit national.
Pourtant cet exercice apparemment simple est un véritable chemin de croix pour les autorités françaises. Sur le papier la France avait tout pour être un bon élève européen : la France n’est pas avare de production législative en la matière : 2003, 2004, 2007, 2011... le Parlement français est régulièrement invité par le gouvernement à revoir le dispositif visant à maîtriser de l’immigration. La directive adoptée en 2008 sous présidence française – elle porte la signature pour le Conseil du ministre français des Affaires européennes – laissait deux années, jusqu’au 24 décembre 2010, pour que les États membres en assurent la transposition.
Or le 24 décembre 2010, la directive n’était toujours pas transposée et son article 7, qui prévoit qu’une période de retour volontaire est laissée à la personne en situation irrégulière, n’était donc pas inscrit dans le droit français. Les arrêtés de reconduite à la frontière pris en France n’étaient pas conformes au droit de l’Union. Ils ont logiquement été annulés par le juge administratif. Le Conseil d’État a rappelé dans un avis du 21 mars 2011 que l’absence de transposition d’une directive ne peut empêcher son application si celle-ci confère des droits, en l’espèce le droit de ne pas être placé immédiatement en rétention. L’avis illustre de façon très claire un principe fondamental du droit de l’Union : les textes adoptés par l’Union ont un effet direct dans le droit de chaque État membre et la mauvaise volonté du pays qui renâcle à les transformer en droit national ne peut empêcher leur application. Toute la force du droit européen repose sur ce principe qui ne permet pas à un État membre de s’abriter derrière des dispositions législatives nationales pour ne pas appliquer les textes qu’il a lui-même adoptés à Bruxelles.
La transposition est enfin intervenue par l’adoption de la loi sur l’immigration le 11 mai 2011. L’article 7 de la directive est alors transposé et tout rentre dans l’ordre ? Il reste pourtant à savoir si la loi française est bien conforme à la directive. Si tel n’est pas le cas, la toute nouvelle loi serait alors écartée par le juge au profit de la directive. Or un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 28 avril 2011 sème le doute sur la pertinence des choix du législateur, tant la notion de délai de départ volontaire peut sembler fictive dans l’approche retenue par le législateur français.
Mais les déboires du gouvernement ne s’arrêtent pas là. Un nouveau chantier est ouvert depuis le 5 mai 2011 par la confirmation de l’annulation de l’emprisonnement d’un étranger en situation irrégulière. La Cour d’appel de Nîmes s’appuie sur l’interprétation donnée par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’arrêt du 28 avril 2011. Il ne peut y avoir de peine d’emprisonnement pour le simple fait d’être en situation irrégulière. La loi française – comme la loi italienne objet de l’arrêt – est en contradiction avec les articles 15 et 16 de la directive 2008/115/CE. La Cour d’appel de Nîmes écarte logiquement l’article L.621-1 du code des étrangers qui punit de peine d’emprisonnement le séjour irrégulier sur le territoire français. En cas d’interpellation d’un étranger en situation irrégulière, celui-ci ne peut être retenu aux fins de contrôle de son identité que pour une période de quatre heures maximum. En absence d’arrêté plaçant l’étranger dans un centre de rétention et à supposer que l’arrêté soit conforme à la directive, il conviendra de le remettre en liberté.
Ces deux cas illustrent de façon éclatante l’importance prise par le droit européen dans notre droit national mais ils mettent aussi en lumière une attitude systématique de déni de la part du gouvernement. Car aucune de ces affaires ne devrait être une surprise : la directive européenne a été votée par la France et négociée par ce même gouvernement, deux ans ont été donnés pour sa transposition. Si le droit n’est pas l’application mécanique de règles, il est en l’espèce prévisible. Le temps n’est plus où la mauvaise volonté du législateur à appliquer le droit de l’Union pouvait bénéficier de la réticence du juge à l’égard d’un droit perçu comme exogène. La coopération entre juristes et entre juges européens s’intensifie et les initiatives se multiplient. On en donnera pour preuve la fondation à Paris le 1er juin 2011 d’un Institut du droit européen regroupant magistrats, avocats et universitaires des 27 pays de l’Union.
Aujourd’hui autant les particuliers que leurs conseils savent que le juge français fera une application pleine et entière du droit de l’Union ou de la Convention européenne des droits de l’Homme. Un jour viendra certainement où la nouvelle atteindra même le gouvernement.
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