Loi sur la rétention de sûreté : le test européen edit
Le Conseil constitutionnel a tranché : la loi instituant la rétention de sûreté est validée pour une grande partie. Certains commentaires ont évoqué la possibilité d'une censure de la Cour européenne des droits de l'homme, le gouvernement soutient que des régimes analogues existent en Belgique, en Allemagne ou aux Pays-Bas. Qu'est-ce que la France risque vraiment ?
Le débat repose sur l'interprétation du paragraphe premier de l'article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: a. s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent; (...) e. s'il s'agit de la détention régulière (...) d'un aliéné (...) ». La Cour a constamment rappelé qu'il ne pouvait y avoir d'autres motifs pour la privation de liberté.
L’Assemblée nationale et le Sénat ne voyaient une conformité avec le droit européen que par le biais d’un lien avec la condamnation initiale. Mais cette analyse juridique semble assez fragile : la jurisprudence de la Cour citée à l'appui de cette thèse repose sur des cas belges et britanniques basés sur le prononcé d’une peine « perpétuelle ». Nous ne sommes pas dans ce cas de figure. La rétention de sûreté est seulement envisagée par la condamnation et prononcée ultérieurement. C’est ce qui lui fait échapper à la qualification de peine mais son rattachement à la condamnation initiale – conformément à l’analyse juridique des parlementaires - est jugé essentiel par le Conseil Constitutionnel pour fonder l’impossibilité d’une rétroactivité. Ce lien ténu avec la condamnation initiale pourrait-il satisfaire les exigences de la Cour ? Cela semble difficile puisque la privation de liberté, distincte de la condamnation initiale, ne se fonde que sur l’expertise pratiquée sur la personne plusieurs années après la condamnation. C’est bien cette expertise qui est au cœur de la justification possible de la privation de liberté.
La question qui se pose alors est de savoir si le régime de la rétention de sûreté français revient à un internement pour cause de maladie mentale. La Cour exige que « l'aliénation doit avoir été établie de manière probante ; le trouble mental doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble. ». Le texte de loi permet cette interprétation puisqu'une personne ne pourra faire l'objet d'une rétention de sûreté que s'il est établi que cette personne présente une « particulière dangerosité » et une « probabilité très élevée de récidive » parce qu’elle « souffre d’un trouble grave de la personnalité ». C'est probablement en ce sens qu'il faut interpréter la validation du Conseil constitutionnel : il restera aux juges de vérifier que l'hypothèse d'un grave trouble de la personnalité assimilable à une aliénation est bien vérifiée. Ce sera aussi la tâche de la Cour européenne des droits de l'homme car elle vérifiera que les éléments caractérisant l'aliénation sont probants.
Constatons que la jurisprudence citée par le gouvernement français à l'appui de ses observations devant le Conseil constitutionnel (Arrêt du 11 mai 2004, Morsink c. Pays-Bas) est un peu à double tranchant : certes la rétention de sûreté hollandaise n'est pas rejetée dans son principe, mais les Pays-Bas sont bels et bien condamnés du fait que les conditions de mise en œuvre du régime de sûreté ne sont pas respectées. Il est probable que la Cour n'hésitera pas à condamner la France si les éléments retenus pour engager une rétention de sûreté ne caractérisent pas objectivement une aliénation, la dangerosité et le risque de récidive ne pouvant être pris en considération pour la privation de liberté.
A cet égard, les députés et sénateurs ne se faisaient guère d’illusion sur la possibilité de fonder le régime de rétention de sûreté sur la base de la notion d’aliénation. Par ailleurs, on sent bien que si l’état psychiatrique d’une personne permet d’établir qu’elle est particulièrement dangereuse, alors il n’y a pas de doute qu’il est possible de prononcer – y compris dans l’état du droit avant l’adoption de la loi – son internement.
Si la loi actuelle n'est effective que pour les condamnations à des peines de 15 ans prononcées à compter de 2008, il faudrait attendre 2023 pour une première application. Avant d'atteindre la Cour européenne des droits de l'homme, il faudra avoir épuisé toutes les voies de recours nationales, ce qui prendra bien quelques années... Une première décision de la Cour de Strasbourg interviendrait donc en 2030 ? Si cette situation est confortable pour le commentateur qui peut se permettre de développer les scénarios juridiques les plus extravagants sans risquer de voir son crédit ruiné à court terme, on conviendra que cela n'est pas très satisfaisant.
On se prend à rêver qu'une activation de la Charte des Droits fondamentaux soit possible. En effet, dès l'entrée en vigueur du nouveau Traité signé à Lisbonne, une plainte soumise à la Commission sur la base d'une violation de la Charte dont l'article 6 proclame que « Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté », permettrait d'engager une procédure d'infraction contre la France devant la Cour de Justice. Malheureusement, il ne fait guère de doute que le droit pénal soit exclu des matières communautaires. Il n'est donc pas possible d'invoquer la Charte. Il faudra attendre.
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