L’Éducation nationale face à l’IA générative edit
L’Éducation nationale est confrontée à l’appropriation massive de l’intelligence artificielle générative par les jeunes générations. Répondre à l’urgence du défi pédagogique suppose d’aborder ces outils dans leur double potentiel d’apprentissage et de danger épistémologique. Des scénarisations inspirées de l’initiative de la Red Team Défense développée par l’Agence innovation Défense pourraient aider à ancrer une pédagogie adaptée à ces enjeux devenus incontournables.
Dans la séance des questions au gouvernement du 28 mai 2024, le député Paul Midy du groupe Renaissance interroge Marina Ferrari, secrétaire d’État en charge du Numérique, sur « l’appropriation des outils de l’Intelligence artificielle par les Français qu’il faut massivement former », et ce, « dès le collège ». Ce sont donc des millions de Français qu’il faudrait éduquer « afin que personne ne soit laissée sur le chemin ». Tandis que le budget 2025 de l’Éducation nationale s’annonce très serré, la stratégie nationale pour l’intelligence artificielle (SNIA) lancée par le gouvernement en 2018, faisant suite à la mission Villani, est rentrée dans sa seconde phase de soutien de développement de domaines prioritaires constitués par l’IA embarquée, l’IA de confiance, l’IA frugale et l’IA générative. De plus, le règlement européen sur l’IA visant à garantir les droits fondamentaux, l’État de droit et la durabilité environnementale face à des outils à haut risque maniant des données sensibles (IA Act) a été récemment adopté.
L’explicabilité des systèmes d’IA à l’épreuve de la rapidité d’appropriation sociale
Si l’encadrement européen des systèmes d’IA commence à prendre forme, il se confronte à une double réalité sociologique et géostratégique assez inquiétante.
Tout d’abord, le nombre d’utilisateurs d’IA génératives a explosé en France comme nous l’enseigne le baromètre IFOP 2024 pour Talan[1], d’autant plus que près de 7 Français sur 10 qui utilisent ces outils dans l’entreprise (ChatGPT est la plateforme la plus fréquemment citée) ne le disent pas à leur supérieur hiérarchique. En 2023, ce sont les plus jeunes, 45% des 18-24 ans, qui les utilisent contre seulement 18% des 35 ans et plus. En 2024, 70% des 18-24 ans les utilisent personnellement contre seulement 22% pour les 35 ans et plus[2]. L’accentuation exponentielle de cette fracture générationnelle doit être soulignée car elle montre à la fois la nécessité et l’urgence d’intégrer ces préoccupations dans le système scolaire. Si la méfiance vis-à-vis de ces outils est déclarée chez une grande majorité d’utilisateurs, le sondage ne précise pas si cette crainte est liée à la sécurité des données ou à la fiabilité des résultats de requêtes communiqués par ces outils.
Enfin, la facilité d’accès aux grandes plateformes étrangères nécessite également une sensibilisation aux rapports de force géostratégique et aux vulnérabilités créées par la communication des données personnelles dès le plus jeune âge. Ainsi, la plateforme chinoise TikTok a atteint 3,5 milliards de téléchargements dans le monde dès le premier trimestre 2022, avec 1,2 milliards d’utilisateurs actifs par mois. En 2023, 9 millions d’internautes français se rendaient quotidiennement sur TikTok (l’application étant utilisée par 20,9 millions d’internautes ayant plus de 18 ans), la majorité des utilisateurs étant les jeunes générations (moins de 18 ans : 25% ; 18-24 ans : 42%)[3]. [FP1] La moyenne d’utilisation serait de 80 minutes par jour. La capacité de l’application à se transformer en moteur de recherche lui confère un véritable avantage compétitif par rapport à Google par exemple, puisqu’elle est préférée par de plus en plus d’utilisateurs de la génération Z.
Des défis pédagogiques multiples
Si l’urgence de la formation n’est plus à démontrer, il est nécessaire de s’accorder sur ce qui doit être enseigner face à une innovation trans-sectorielle déjà intégrée dans le quotidien des jeunes générations. Si elle n’a pour l’heure pas grand impact sur les chaines de production, elle contribue à la dérégulation du marché de l’information en constituant une forme singulière de captation de l’attention complètement inédite dans l’histoire de l’humanité. Aussi, les systèmes d’intelligence artificielle peuvent à la fois être abordés comme un environnement informatique spécifique pour l’apprentissage humain et comme un objet à la source d’un bouleversement anthropologique tel que notre rapport collectif à la connaissance se trouve singulièrement remis en cause. Tutorat intelligent et personnalisé d’un côté, apocalypse cognitive[4] de l’autre, l’intelligence artificielle constitue à la fois un outil et un objet (potentiellement menaçant) d’apprentissage.
La méthode Red Team Défense au service de l’Éducation nationale
L’initiative de la Red Team Défense[5] peut contribuer à cette réflexion et tenir les contradictions mentionnées liées au développement systémique des outils de l’intelligence artificielle. La Red Team Défense, collectif constitué de scénaristes, de dessinateurs et d’auteurs de science-fiction, avait pour objectif d’imaginer des formes plausibles de conflictualité sur un horizon 2030-2060. L’intérêt est d’être dans une temporalité suffisamment éloignée pour imaginer que nos dépendances technologiques seront maximales et en même temps suffisamment proches aussi pour pouvoir faire des fictions spéculatives. La méthode suppose à la fois la mise en place des ateliers où élèves et enseignants collaborent avec des auteurs de science-fiction pour imaginer et expérimenter des méthodes d'enseignement du futur, ainsi que l’adoption d’une approche interdisciplinaire où la technologie, l'éthique, la sociologie et l'éducation se rencontrent pour réfléchir aux impacts de l'IA sur l'éducation.
Si l’expertise est au cœur des institutions publiques, de nombreuses questions restent ouvertes : dans un contexte où l’on observe une série de défaillances du système français, comment imaginer des ruptures radicales en manière éducative ? Comment imaginer les conséquences d’une individualisation de l’apprentissage, passant de la logique de la salle de classe à l’échelle des besoins de l’individu ? Comment accompagner l’acquisition de nouvelles compétences, le maintien de l’esprit critique, la résolution des problèmes ou l’adaptation face au changement ? La pédagogie formelle au cœur des institutions scolaires est-elle suffisante pour contrer le bouleversement anthropologique des outils de l’intelligence artificielle ? Ces quelques questions, à l’heure où l’intelligence artificielle générative bouscule des repères, doivent être appréhendés par le biais de la fiction.
Annexe. Expérimentation de l’IA générative comme outil d’apprentissage.
Nous avons effectué la requête suivante le 29 mai 2024 à 11h sur ChatGPT4 (accès gratuit) : « Peux-tu m'écrire un court article (2000 signes espaces compris) qui aurait pour titre "L’Éducation nationale face aux outils de l’intelligence artificielle générative".
Résultat de la requête (V.TOURNAY/ChaptGPT4)
L’Éducation nationale face aux outils de l’intelligence artificielle générative
L’intelligence artificielle générative (IAG), notamment à travers des outils comme ChatGPT, bouleverse les horizons éducatifs. L’éducation nationale se trouve confrontée à un défi de taille : intégrer ces technologies tout en préservant les fondements pédagogiques traditionnels.
Les IA génératives, capables de produire du texte, des images ou des codes de manière autonome, offrent des possibilités inédites. En classe, elles peuvent personnaliser l'apprentissage, proposer des explications alternatives et aider à la rédaction de devoirs. Les enseignants peuvent les utiliser pour concevoir des supports pédagogiques variés et attractifs, répondant mieux aux besoins divers des élèves.
Cependant, l’introduction de l’IAG dans l’éducation n’est pas sans poser des questions. Comment garantir la qualité et la fiabilité des contenus générés par des IA ? La dépendance accrue aux technologies ne risque-t-elle pas d'affecter le développement de compétences fondamentales comme la pensée critique et la rédaction ?
Pour relever ces défis, l’Éducation nationale doit adopter une approche équilibrée. Former les enseignants à l’utilisation de ces outils est primordial. Ils doivent être capables de distinguer les productions de qualité et d’utiliser l’IAG pour enrichir, plutôt que remplacer, leurs méthodes pédagogiques. De plus, il est essentiel d’éduquer les élèves à une utilisation critique des IA. Ils doivent comprendre le fonctionnement de ces outils, leurs limites et les biais potentiels qu’ils peuvent introduire.
Un autre enjeu est l’équité d’accès. Les écoles doivent être équipées de manière adéquate pour éviter une fracture numérique accrue entre établissements. Les ressources financières et techniques doivent être allouées de manière juste pour que tous les élèves puissent bénéficier des avantages de l’IAG.
En conclusion, l’IAG représente une opportunité précieuse pour l’Éducation nationale, à condition d’être intégrée de manière réfléchie et responsable. En formant les enseignants, en sensibilisant les élèves et en veillant à une distribution équitable des ressources, l’Éducation nationale peut tirer parti de ces outils pour enrichir l’expérience éducative et préparer les jeunes aux défis du XXIe siècle.
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[1] Le baromètre 2024 IFOP pour Talan (groupe international de conseil en innovation et en transformation par la technologie, « Les Français et les IA génératives ».
[2] https://www.blogdumoderateur.com/francais-ia-generative-2024/#:~:text=En%20effet%2C%2070%20%25%20des%2018,les%20plus%20de%2035%20ans.
[3] https://www.wizishop.fr/blog/chiffres-tiktok
[4] Du titre de l’ouvrage de Gérald Bronner à ce propos : L’Apocalypse cognitive. La face obscure de notre cerveau, PUF, 2021.
[5] La Red Team Défense est une initiative de l’Agence de l’Innovation de Défense du ministère des Armées, avec l’EMA, la DGA et la DGRIS, conduite dans le cadre du Document d’orientation de l’Innovation de Défense. Site internet dédié à l’initiative: <https:// redteamdefense.org/decouvrir-la-red-team>.