Finance & islam edit
L'islam est fondé sur le tawhid, l'adhésion totale à la volonté de Dieu telle qu'elle s'exprime dans le Coran et la Sunna, les paroles et les actions du Prophète. Le Coran représente un corpus legis qui règle tous les aspects de la vie, y compris les contrats et l’économie. L'islam est une compénétration entre la religion et la vie sociale et économique : l’homo oeconomicus islamicus, pour résumer, agit toujours en suivant la charia. Dans les pays musulmans existe ainsi une économie religieuse qui n'a pas d’équivalent dans l'histoire européenne et peut déconcerter les économistes occidentaux.
Deux concepts fondamentaux structurent la pratique économique en terre d’islam : la prohibition du taux d’intérêt, assimilé à l’usure (les deux termes se traduisent par riba) et la prohibition de tout ce qui est incertitude (gharar), prohibition qui influe directement sur le marché de l’assurance. Le Prophète, commerçant qui connut la réussite, affirme que « Dieu a permis l'achat et la vente mais il a interdit l'usure », opposant les deux logiques et exprimant sa préférence pour les transactions réelles. Le partage du risque est à la base du profit and loss sharing : pour atteindre l’équité distributive, on partage soit les pertes soit les gains d'un investissement. Dans le cadre de cette règle, un bailleur de fonds ne peut imposer un taux d’intérêt au débiteur, puisque ce taux ne prendrait pas en compte le résultat effectif de l'investissement.
En passant dans le domaine de l’économie, ces idées religieuses informent toute la jurisprudence commerciale islamique et déterminent la légalité des contrats. Les contrats conformes au Coran sont très intéressants pour le système bancaire, particulièrement pour le crédit (étant donné la riba) et pour l'investissement de l'épargne.
Mais qu’en est-il des formes et des contrats d’inspiration islamique en Occident ? Les Etats-Unis considèrent la finance islamique avec une certaine méfiance : en février dernier, une société de capital-risque ayant son siège à Genève (où sont gérés des milliards de dollars pour le compte d'investisseurs musulmans) a fait l’objet d’une enquête menée par les services fiscaux américains. Elle était accusée de liens, via un membre de la famille royale saoudienne, avec les extrémistes musulmans du Hamas et d'al-Qaida. Le géant américain Citicorp a quant à lui contourné l’obstacle en créant une filiale islamique au Bahreïn, la Citi Islamic Investment Bank.
En Europe, c’est le milieu financier anglais qui a réagi le premier, avec la naissance de l'Islamic Bank of Britain et de la West Bromwich Building Society, qui offrent déjà des produits Shari'ah compliant, notamment dans une logique mutualiste mise en œuvre à travers le schémas du murabahah. La banque acquiert un bien pour le compte du client et le lui revend, moyennant des versements, à un prix majoré d’une marge qui représente la rémunération associée au risque de la transaction immobilière.
Les banques islamiques anglaises visent une cible d’environ deux millions de musulmans résidant en Angleterre, mais elles semblent surtout intéressées par les rejetons des riches familles moyen-orientales qui étudient dans les universités anglaises. La puissance économique des dynasties pétrolières et des riches hommes d'affaires orientaux expliquent même la naissance de la branche « islamique » de HSBC (HSBC Amanah).
Les sukuk, emprunts islamiques basés sur la titrisation d'immeubles, ont fait leur apparition en Europe en 2004 avec une émission de 100 millions d'euro par le Land de Saxe-Anhalt, entièrement souscrite à ce jour. Un grand succès européen, pourrait-on imaginer : mais à bien y regarder, on s’aperçoit que l’argent vient surtout d'investisseurs institutionnels du Bahreïn et des Emirats Arabes Unis. Rien d’étonnant : les institutions financières islamiques ont des problèmes dramatiques de liquidités ; elles ne disposent ni d’un marché interbancaire, ni d’un prêteur en dernière instance et elles ont donc besoin d’instruments de marché monétaire et obligataire Shari'ah compliant qui leur permettent de gérer leur trésorerie. On a parlé d’une question publique, mais c’est en réalité un problème d’économie privée.
Malgré ces tentatives, il ne semble pas que la finance islamique puisse jouer en Europe un rôle comparable à la finance conventionnelle : la situation socio- économique d'une grande partie des immigrés de religion musulmane, en effet, ne fait pas d’eux une cible très intéressante. Les grandes banques qui s’essaient à la finance islamique ont surtout pour ambition d'attirer vers l'Europe l'épargne et les investissements des capitales orientales, qui ont fui les Etats-Unis depuis les attentats du 11-Septembre et la vague d’islamophobie qui a suivi.
L’évaluation des capitaux en jeu est difficile, à cause de l’hétérogénéité des données mais aussi du manque de transparence. Une chose est certaine pourtant : les bourses islamiques affichent des taux de croissance et des volumes d’affaires impressionnants. Dans le seul Golfe Persique, on estime que les investisseurs manient des liquidités approchant 1500 milliards de dollars. Des données du FMI évoquent 250 milliards de dollars, répartis entre 300 intermédiaires financiers islamiques environ. Les chiffres officiels, à bien y regarder, sont fortement sous-estimés, puisqu'une grande partie de l’ « épargne » des seigneurs du pétrole est gérée dans le cadre de mandats dont le contenu est confidentiel. Les chiffres donnent le vertige.
Si l’intérêts pour les pétrodollars (ou les pétroeuros) et leur gestion en Europe explique bien les efforts des banques européennes (comme Commerzbank, Deutsche Bank, Pictet&Cie), cette stratégie semble avoir emprunté une mauvaise direction. Les pays adhérents du Gulf Cooperation Council (GCC), où existe une demande robuste de produits conformes à la loi coranique de la part des high net worth individuals, sont en effet en train de se doter des outils qui leur manquaient. À Dubai, dans les Emirats, on a voté en 2006 une nouvelle législation sur l'investissement collectif de l'épargne afin de faciliter la naissance d’un centre financier indépendant onshore, le Dubai International Financial Centre, dont l’ambition est de devenir un marché de première importance au Moyen-Orient, à l’égal de New-York, Londres ou Singapour. L’idée est de faire converger vers ce nouveau centre les 15 milliards de dollars issus du pétrole (et en croissance de 10 à 15 % par an), investis aujourd’hui dans les fonds d'investissement islamiques et en Occident. Good bye, America.
Cet article est disponible en italien sur le site www.lavoce.info
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