Pourquoi il faut changer de politiques du logement edit
Depuis un demi-siècle, la progression des conditions de logement en France est spectaculaire. En 1954, moins de la moitié des logements avaient l’eau courante et un quart était équipé d’un WC intérieur. Le nombre de pièces par personne est passé de 1 en 1954 à 1,8 en 2006. Cependant, 3,4 millions de personnes environ restent logées dans des conditions insatisfaisantes, la hausse vertigineuse des prix, à l’origine de forts effets distributifs, nourrissant le sentiment d’une crise du logement. Une question cruciale est donc de savoir si les politiques du logement atteignent leurs objectifs de manière efficace.
Jusqu’à récemment, le dynamisme des prix en France s’expliquait assez bien par les évolutions des revenus, de la qualité des logements, des conditions de crédit et des coûts associés aux changements dans les modes de vie (vieillissement de la population, décohabitation entre générations, séparations). Les pratiques prudentes de l’octroi de crédit ont du reste permis d’éviter les dérives qui ont ailleurs déstabilisé le système financier. Cependant, après la forte progression de 2010, il est à craindre que le maintien de conditions de crédit favorables et des politiques nationales stimulant la demande n’alimente une augmentation déraisonnable des prix, suivi d’un brusque retournement : en cas d’emballement prolongé, les autorités devraient adopter des mesures limitant la distribution de crédit. À moyen terme, un meilleur équilibre serait atteint en orientant plus nettement l’action publique vers l’offre de logements dans les zones où la demande est excédentaire.
En effet, la photographie d’ensemble de l’intervention publique est floue. Des buts multiples, empilés et parfois difficilement conciliables sont poursuivis, comme ceux d’atteindre 20 % de logements sociaux et 70 % de propriétaires : leur combinaison improbable conduirait à une contraction du parc locatif privé, segment qui favorise le plus à la mobilité résidentielle et donc l’emploi. Ce manque de cohérence se traduit aussi par des mesures mêlant développement de l’offre et soutien à la demande. L’enjeu consisterait plutôt à concentrer les moyens sur : les aides personnelles sous conditions de ressources ; le soutien à l’offre en zones tendues, notamment via le secteur social qui devrait davantage loger les ménages défavorisés ; et la réduction des entraves aux mécanismes de marché, en s’efforçant de rendre l’offre plus réactive et les distorsions induites par la réglementation, la fiscalité et les subventions moins nocives.
1. Très fragmentés, les organismes HLM devraient être regroupés à un niveau supra communal afin de dégager des économies d’échelle, ce qui leur permettrait aussi de prendre plus de distance face aux pressions locales. Le fonctionnement actuel du logement social est doublement inéquitable. D’abord, les logements sociaux ne profitent pas nécessairement à ceux qui en ont le plus besoin. Ensuite, la pratique de loyers excessivement en retrait des valeurs de marché crée une césure brutale entre ceux qui obtiennent un logement et les autres. Il faudrait donc recentrer l’éligibilité sur les bas revenus, notamment en renforçant nettement les règles relatives aux surloyers et en veillant à leur stricte application.
2. L’encadrement des loyers vise à protéger les locataires contre des hausses injustifiées. Mais, le gel des loyers entre les deux guerres mondiales a fortement contribué à la pénurie de logements observée au milieu du XXe siècle. Il s’agit donc de trouver le dosage permettant de préserver l’équité sans décourager la mobilité choisie ni restreindre l’offre. Or l’indexation actuelle des loyers en cours de bail sur l’évolution des prix à la consommation peut inciter à l’immobilité résidentielle et fait peser le poids de l’ajustement inéluctable sur le seul segment flexible, les nouveaux loyers du secteur privé. Il convient d’opter pour une indexation basée sur l’évolution lissée des nouveaux loyers.
3. La France paraît marquée par une forte inertie de la construction de logements : tout accroissement de la demande tend à se répercuter par des hausses de prix plutôt que par de nouvelles constructions. Les compétences de l’intercommunalité pourraient être élargies en matière de permis de construire et de plan local d’urbanisme, de façon à limiter les comportements opportunistes réduisant l’offre au niveau communal, et les coefficients d’occupation des sols devraient être relevés. D’autre part, pour accroître l’offre, les délais de recouvrement du bien par le propriétaire en cas de non paiement des loyers devraient être raccourcis : c’est à l’Etat de mettre en place les solutions d’urgence permettant d’éviter les drames humains.
4. Il s’agit enfin de revoir la fiscalité sur l’immobilier. Pierre angulaire de sa légitimité, les valeurs locatives cadastrales sont caduques puisqu’elles n’ont pas fait l’objet d’une refonte depuis 1970. Or, la valeur des biens a parfois évolué de façon très différenciée au sein d’une même juridiction. La révision des valeurs cadastrales est donc impérative et un mécanisme de revalorisation périodique devrait être mis en place. La propriété occupante reste favorisée fiscalement, ce qui soutient inopportunément la demande et draine inefficacement des ressources vers l’immobilier. Les loyers fictifs, mais économiquement bien réels, que les propriétaires se versent à eux-mêmes ne sont pas taxés. Devant la difficulté pratique de leur taxation, il faudrait mettre en place une tranche de la taxe foncière dont le niveau, harmonisé nationalement, serait calé sur celui des autres revenus du capital. De plus, les plus-values sur la résidence principale devraient être imposées en différant leur prélèvement jusqu’au moment du décès dès lors qu’elles sont réinvesties. Enfin, la fiscalité sur les transactions devrait basculer sur la taxe foncière.
Le logement joue un rôle de premier plan dans l’économie en raison de son importance pour la dépense et le patrimoine des ménages, et aussi de ses retombées en termes d’inclusion sociale, de performances scolaires et d’emploi. Les politiques gagneraient à se concentrer sur l’accroissement de la quantité de logements tout en restreignant les mesures qui alimentent la hausse des prix et des loyers.
Cet article s'appuie sur le document de travail « Améliorer le fonctionnement du marché du logement français » rédigé dans le cadre de l'Etude économique France 2011 de l'OCDE.
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