Urbanisme commercial : à qui profite le statu quo ? edit
A l'heure où le Parlement examine le projet de Loi de modernisation de l'économie, penchons-nous sur l'une de ses mesures phare, qui suscite scepticisme chez nombre de députés et activisme de la part des lobbies : la réforme de l'urbanisme commercial.
De quoi s'agit-il au juste ? En France, l'ouverture d'un magasin de plus de 300 m² est soumise depuis 1996 à autorisation préalable, délivrée par une Commission dénommée CDEC. Cette réglementation part d'une intention louable : contrôler l'implantation de nouveaux magasins, pour mieux protéger le petit commerce d'un développement anarchique de la grande distribution. En réalité, cette mesure d'apparence anodine s'est révélée particulièrement néfaste pour la concurrence et le pouvoir d'achat des Français, sans pour autant enrayer le déclin du commerce de proximité.
La procédure d'autorisation a joué le rôle d'une véritable barrière, décourageant les nouveaux acteurs et confortant les positions des distributeurs installés. En effet, le coût d'un dépôt de dossier, la longueur des procédures due aux recours introduits par les concurrents ont opéré une sélection à l'entrée en faveur des " insiders ". Dans ces conditions, on ne s'étonnera guère que les CDEC approuvent aujourd'hui plus de 80% des projets : il s'agit pour l'essentiel de dossiers soumis par des enseignes installées, lesquelles siègent d'ailleurs dans les Commissions et prennent donc part à la décision.
On ne s'étonnera pas non plus que le nombre de mètres carrés autorisés continue d'augmenter chaque année en France - plus de 4 millions pour la seule année 2007 : plus de mètres carrés ne rime pas forcément avec plus d'acteurs et plus de concurrence, lorsque ce sont les mêmes qui s'étendent.
Cette sélection à l'entrée a eu plusieurs effets indésirables.
Premier effet indésirable : une forte concentration de la distribution, non seulement au niveau national mais également au niveau local. Les grands distributeurs ont racheté les petits concurrents, multiplié les enseignes et les formats. Les travaux empiriques ont ainsi montré la récurrence des positions dominantes locales. A titre d'exemple, une étude d'Asterop considère que seules 13% des zones de chalandises sont véritablement concurrentielles.
Second effet indésirable : une inflation structurelle. La concentration locale de la distribution, c'est le consommateur qui en paye tous les jours la facture avec des prix élevés. Pourquoi un distributeur baisserait-il ses prix alors qu'il est dominant dans sa zone de chalandise ? La loi sur l'urbanisme commercial, conjuguée au seuil de revente à perte (loi Galland) et à l'interdiction de discrimination tarifaire, a alimenté la dérive continue des prix : selon Eurostat, les prix de l'alimentaire restent en moyenne 7% plus cher en France que dans le reste de l'Europe. Cette inflation s'est révélée anti-redistributive, en pénalisant d'abord les ménages les plus démunis, qui consacrent 18% de leur budget à l'alimentation.
Dernier effet indésirable : un déficit en emplois. Le monopole n'est jamais l'allié de l'emploi et ce pour deux raisons : les hausses de prix qu'il engendre limitent la demande ; l'entrée de nouveaux acteurs innovants qui viendraient élargir la gamme des produits et services offerts est bridée. A contrario, les expériences passées d'ouverture à la concurrence de secteurs réglementés ont révélé un fort gisement en emplois : ainsi, la libéralisation du transport routier après 1986 a créé plus de 150 000 postes. Pourquoi en irait-il autrement dans la distribution ?
Les études économiques abondent aujourd'hui, qui convergent toutes pour souligner les effets indésirables des lois sur l'urbanisme commercial. Pourtant, les préjugés ont la vie dure et les détracteurs de la réforme ne manquent pas de brandir plusieurs étendards pour prêcher l'immobilisme.
Premier étendard, celui de la protection du petit commerce. Contrairement à l'idée reçue, le statu quo ne profite pas au petit commerce mais aux intérêts particuliers des grands distributeurs, dont les monopoles locaux ne sont pas contestés par l'entrée de nouveaux acteurs. La défense du petit commerce est un alibi dont il ne faut pas être dupe. Non qu'il ne faille pas défendre le petit commerce de proximité, bien au contraire. Mais il existe pour cela des instruments spécifiques d'aide directe qui doivent être renforcés.
Second étendard, celui de l'invasion du hard discount, surtout lorsqu'il a le mauvais goût d'être étranger. La diabolisation de ce type de commerce n'est aucunement justifiée. Le hard discount se révèle vital pour les plus démunis : un hard discount " pur " vend en moyenne son panier 20% moins cher qu'un discounter " traditionnel ". Le hard discount n'est pas en concurrence frontale avec le petit commerce mais avec le supermarché : on va au hard discount pour acheter sa lessive moins cher et l'on dépense le gain de pouvoir d'achat en produits frais chez le petit commerçant de son choix.
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