PS : la guerre Aubry-DSK edit
Il faut prendre au sérieux les déclarations faites ce week-end par Claude Bartolone sur son appel à des « primaires de confirmation » pour désigner le ou la candidat(e) socialiste à l’élection présidentielle. Sortant du jeu du chat et de la souris auquel se livrent depuis quelque temps les deux principaux candidats potentiels à la candidature socialiste, cette prise de la position d’un membre éminent de la direction du parti sur un enjeu essentiel : qui doit représenter le PS à la prochaine élection présidentielle ?
Claude Bartolone nous a donné son avis sur la question en déclarant : « Le truc qui monte dans le pays, c’est que c’est DSK qui doit y aller. Et s’il n’y va pas, que ce doit être Martine Aubry. Si ce n’est pas l’un de ces deux-là, c’est Apocalypse now ». Pour la première fois, l’un des membres de la direction du parti reprend ainsi à son compte le souhait des Français tels que les sondages d’opinion le traduisent aujourd’hui : celui d’une candidature de Dominique Strauss-Kahn à l’élection présidentielle de 2012. L’un des principaux soutiens de Martine Aubry à la direction du Parti socialiste s’adresse ainsi directement et publiquement à elle en lui conseillant de n’être candidate que si Dominique Strauss-Kahn ne veut pas l’être, la poussant ainsi à interpréter à l’avantage de celui-ci le soi-disant accord existant entre les deux personnalités socialistes de ne pas s’affronter lors des prochaines primaires socialistes. On comprend que, dans ces conditions, la Première secrétaire n’ait pas parue ravie de ces déclarations et ait réaffirmé son intention d’organiser de véritables primaires en 2011.
Pourquoi Claude Bartolone est-il ainsi sorti du bois, prenant le risque de mettre le Parti socialiste en ébullition en paraissant remettre en cause le processus de modernisation interne et vouloir revenir aux simples accords d’appareil ? La raison paraît simple et elle transparaît dans ses déclarations : une victoire du directeur général du FMI à la prochaine élection présidentielle est à la fois possible et plus probable qu’une victoire de la Première secrétaire. Sentant peut-être des fragilités ou des hésitations ou les deux chez celle-ci, il tente par ses déclarations de lui faire admettre qu’elle est une candidate par défaut et qu’elle ne doit en aucun cas gêner une candidature Strauss-Kahn et, mieux encore, qu’elle doit la soutenir fortement, d’où l’idée de « primaires de confirmation ». Il est encore trop tôt pour savoir à quelles conditions celui-ci accepterait d’être candidat et si Martine Aubry renoncerait facilement à sa propre candidature. Mais dès à présent un certain nombre de remarques peuvent être faites sur la situation du Parti socialiste dans la perspective de l’élection présidentielle.
D’abord, les déclarations de Claude Bartolone montrent qu’aux yeux des dirigeants socialistes, le pouvoir semble désormais à portée de main et que la chance de victoire doit être saisie à tout prix. Elles montrent ensuite, s’il en était besoin, et quelles qu’aient pu être depuis 2005 les déclarations des uns et des autres sur le rôle nuisible des sondages pour effectuer le choix du candidat socialiste, que les résultats des sondages d’intentions de vote sont devenus le critère principal sinon unique pris en compte par ces dirigeants, au moins par certains d’entre eux. Dans les déclarations de Claude Bartolone, il n’est plus question de programme ni d’alliances internes mais des chances de victoire comparées des différents candidats potentiels. Cette attitude n’est pas critiquable en soi. Après tout, le Parti socialiste est un parti de gouvernement et son envie de revenir au pouvoir est naturelle. Ce qui pose problème, en revanche, ce sont les difficultés d’articulation de cette position qui peuvent en résulter, d’une part avec la gestion des rapports de force politiques internes et d’autre part avec la mise en place de véritables primaires.
Claude Bartolone fait partie du petit nombre de leaders qui ont œuvré avec réussite pour imposer le leadership de Martine Aubry sur le PS en construisant une alliance interne avec la gauche du parti. Le problème est que la traduction en termes de projet politique de cette alliance diffère largement de ce que représente et exprime (rarement et peu il est vrai) Dominique Strauss-Kahn. Comment imposer dans ces conditions la candidature de celui-ci aux protagonistes de cette alliance et notamment à la gauche du parti ? Comment éviter de faire ressortir les différences politiques notables entre la ligne du parti et celle du candidat dans une primaire ? La seule manière de faire est alors d’éviter le débat. D’où la seconde question étroitement liée à la première : comment traiter la question des primaires ?
C’est ici qu’apparaît l’objectif de l’appel de Claude Bartolone à des « primaires de confirmation » : éviter d’organiser des primaires concurrentielles qui risqueraient soit de faire ressortir les désaccords entre le candidat de son choix et la majorité au pouvoir dans le parti, notamment sur les retraites et sur la réduction des dépenses publiques soit conduire ce candidat à renoncer dans ces conditions à affronter ces primaires. Mieux vaut alors escamoter un projet qui certes représente la position de la majorité du parti mais qui risque de constituer pour Dominique Strauss-Kahn un boulet à traîner plus qu’un atout dans la prochaine campagne présidentielle où la question de la crédibilité économique sera déterminante. D’où l’idée de « primaires de confirmation » qui n’ont pas pour but de permettre un débat contradictoire entre différentes candidats sur les objectifs politiques d’une présidence socialiste mais au contraire de mobiliser, dès cette étape, le parti et ses sympathisants en faveur du candidat donné largement gagnant par les sondages. Mais alors le risque symétrique est de faire apparaître clairement que l’appareil du parti n’a adopté le principe des primaires que pour des raisons d’opportunité politique interne et qu’il n’a ni véritablement souhaité cette innovation ni réfléchi à ses effets réels sur le fonctionnement voire la nature du parti, sans compter les risques de réactions hostiles dans le parti.
La morale de cette histoire est simple : les socialistes ne sont toujours pas capables d’adopter une vision cohérente du fonctionnement du Parti socialiste susceptible d’éviter des contradictions ingérables entre les logiques de pouvoir internes et externes. Depuis plus d’un an, les dirigeants de ce parti ont développé deux stratégies opposées : d’un côté la décision de moderniser le parti et de lui donner, avec l’instauration des primaires, les meilleures chances de gagner une élection présidentielle. Dans cette perspective, il s’agit de laisser le choix du candidat aux sympathisants socialistes quel que soit son positionnement politique au sein du parti. D’un autre côté, le parti – ou plutôt sa direction – a donné la priorité aux équilibres internes et aux accords d’appareil, adoptant un projet qui n’avait de sens que par rapport aux questions de pouvoir dans le parti mais qui ne pourrait pas constituer un véritable programme pour la conquête électorale du pouvoir, tant la question de la crédibilité économique sera décisive dans la prochaine campagne présidentielle.
La difficulté principale pour le Parti socialiste, que ces deux stratégies sont devenues non seulement contradictoires mais peuvent compromettre gravement les espoirs de victoire des socialistes. Ainsi, la direction du parti est poussée dans ses retranchements : l’ancien système des accords d’appareil et la logique de la prise du pouvoir interne ne sont plus de nature à permettre la désignation du meilleur candidat possible à l’élection présidentielle. Il risque en effet d’empêcher le nouveau système des primaires de produire ses effets positifs mais au contraire de dissuader le meilleur candidat potentiel de se présenter.
La déclaration de Claude Bartolone peut alors être comprise comme la manifestation d’angoisse poussée par un dirigeant, pressé d’arriver au pouvoir, mais qui a compris que le clash de ces deux logiques contradictoires pouvait présenter un piège mortel pour le parti. Pour y échapper, la seule possibilité est alors d’oublier à la fois le programme – de gauche – du parti et la procédure de désignation démocratique des primaires adoptée par ce même parti. C'est-à-dire de condamner les deux logiques opposées d’un seul mouvement et de faire appel, sans conditions et si possible unanimement, à celui qui pourrait mener le parti au pouvoir. Il s’agit donc d’organiser une sorte de plébiscite, ce qui constitue souvent la seule solution de procéder face à l’impossibilité de faire fonctionner des procédures à la fois démocratiques et efficaces. Telle pourrait être la signification de l’appel à la « primaire de confirmation ». Gagner d’abord. Si cet objectif n’est pas critiquable en soi, le fait qu’il soit nécessaire pour l’atteindre de renoncer en même temps au projet politique et à de véritables primaires démontre par l’absurde que le système ne fonctionne plus. Mieux vaudrait alors le transformer que de faire appel, au bout du compte, à un homme providentiel qui, dans un système plus satisfaisant, aurait probablement tout autant de chances d’être désigné par les sympathisants socialistes, sans pour autant rendre les primaires secondaires.
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