Doliprane et souveraineté edit

8 novembre 2024

Le gouvernement a décidé de ne pas s’opposer à la demande de Sanofi de céder son activité génériques à un fonds d’investissement américain. Le Doliprane sera américain car, au terme de négociations tendues à trois, l’acquéreur a pris des engagements de localisation des activités en France et de préservation de l’emploi. Derrière cette affaire une thématique nouvelle a surgi dans le débat sur les investissements étrangers en France, celui de souveraineté industrielle. Terme curieux forgé à partir de catégories politiques plus qu’économiques et avancé depuis la crise du covid.

La comédie des erreurs

Dans l’affaire du Doliprane tout s’est passé comme dans les bonnes comédies en cinq actes.

Acte 1 où la France invente la souveraineté sanitaire après le choc covid. On croyait vivre dans un monde d’abondance et de libre échange et on se réveille au pire moment dans un monde de pénuries et de restrictions. Dès lors une étonnante unanimité se fait jour de l’extrême gauche à l’extrême droite pour protéger les Français en leur assurant un accès sans faille aux médicaments.

Acte 2 où l’on découvre qu’une entreprise formellement française et sous la direction de fait d’un management anglo-saxon élague son portefeuille pour complaire à ses actionnaires américains alors qu’elle est gavée de fonds publics. La passion politique qui n’est jamais loin s’investit dans les demandes de remboursement du crédit impôt recherche !

Acte 3, des acquéreurs se présentent, dont un fonds d’investissement américain et un investisseur français mais fortement dépendant d’intérêts étrangers ; les firmes européennes pas plus que les banques ne semblent séduites malgré l’intérêt appuyé manifesté par le gouvernement français pour la construction d’une filière intégrée du Paracetamol.

Acte 4, Sanofi décide de se vendre au mieux-disant américain avec le consentement de fait des autorités françaises.

Acte 5, face à l’émoi des salariés et des élus locaux le gouvernement annonce qu’il réclamera des engagements sérieux de localisation en France et qu’à défaut il pourrait s’opposer à la cession en mobilisant le décret Montebourg sur la protection des activités stratégiques, avant de se faire plus discret.

Épilogue, la cession de fait : malgré un sursaut de PAI, le gouvernement obtient un lot de consolation chèrement payé, il détiendra 1 à 2% du capital pour la BPI et un siège au Conseil d’administration.

Cette affaire a ceci d’intéressant qu’elle va soulever des réactions en chaîne dans une confusion permanente des enjeux. Le risque de manque de médicaments est-il avéré ? Les risques de fermeture d’usines et de licenciements ont-ils une quelconque crédibilité ? L’Etat sommé d’intervenir, a-t-il des raisons de le faire ? Si oui la souveraineté réside-t-elle dans la nationalité du capital, la nature des biens produits ? Y a-t-il des moyens alternatifs à la nationalisation pour assurer un flot continu de fourniture de médicaments aux Français ?

Avant d’aller plus avant répondons aux trois questions les plus simples soulevées par cette affaire.

La France risque-t-elle de manquer de Doliprane à cause du changement d’actionnaire ? La réponse est non : quel intérêt auraient des investisseurs à fermer des activités rentables sur le marché principal sans compter que le secteur est très concurrentiel et que des sources alternatives de fourniture existent ?

La France peut-elle susciter des repreneurs français sans léser Sanofi ? La réponse est oui. Du reste une solution pilotée par PAI et accompagné par la BPI a échoué de peu.

La France en accord avec sa nouvelle doctrine de souveraineté sanitaire pouvait-elle s’opposer à une telle transaction ? La réponse est oui, elle l’a fait récemment dans l’affaire Photonis.

Mais au delà de l’affaire Doliprane se pose la question de la souveraineté sanitaire

Qu’est-ce qui peut assurer le mieux cette souveraineté : le contrôle capitalistique d’une activité mature ? l’investissement dans la R&D et l’innovation ? ou la cession contrôlée à un investisseur extérieur qui préserve l’ouverture du marché français et prend des engagements sur la production et l’emploi ?

Revenons plus en détail sur ces différents points.

De la souveraineté sanitaire

Le gouvernement a d’abord hésité puis voulu s’opposer à la vente de la filiale génériques de Sanofi à un tiers étranger, comme voulait le faire aussi Servier pour Biogaran. Dans les deux cas de grands groupes à base française entendaient se dégager d’activités banalisées mais à fort rendement financier pour se constituer des marges et investir dans la recherche.

La polémique fut immédiate le gouvernement se voyant reprocher son inconséquence : souverainiste depuis le Covid, agent actif de la construction d’une usine de principes actifs du Paracetamol pour mettre un terme à la dépendance envers la Chine et l’Inde, avocat d’un protectionnisme stratégique au niveau européen, il tergiversait devant l’obstacle. Rappelons-nous, la crise du Covid ce ne fut pas seulement l’expérience d’un risque de pénurie physique d’un médicament essentiel, mais également les entraves à la libre circulation de biens essentiels par les pays producteurs ; ce fut enfin une expérience grandeur nature du commerce stratégique.

À l’inverse pour les rares libéraux cette intervention dans une cession signait le détricotage du multilatéralisme, un risque de renchérissement des médicaments alors qu’une solution de marché et une négociation des conditions de la cession permettaient d’obtenir de meilleurs résultats.

En fait, dans le brouillard des échanges d’arguments l’affaire Doliprane fut l’occasion pour le gouvernement de trancher plusieurs débats.

Cela aurait dû être évident notamment depuis l’échec de Sanofi à produire un vaccin anti-covid, mais être souverain en matière médicale c’est être à la frontière technologique, là où se jouent les enjeux de la santé de demain face aux nouvelles pathologies et aux nouveaux risques et non dans la défense d’une activité mature. Le débat sur la souveraineté aurait donc dû porter sur le recul constant de l’industrie française du médicament, naguère première en Europe, et depuis plongée dans un déclin continu avec un flux de nouvelles molécules quasiment à sec.

À l’inverse préserver l’emploi existant pour une activité mature ne peut justifier la mobilisation des moyens financiers de l’Etat d’autant que le même résultat pouvait être obtenu par la négociation avec les acquéreurs.

Un autre débat aurait pu être initié à l’occasion de cette affaire. S’il est avéré que les risques de pénurie de médicaments ne se limitent pas à Doliprane mais à des catégories de plus en plus larges, notamment dans les antibiotiques, les anticancéreux et les produits d’anesthésie, comment se fait il que les producteurs désertent la France : la politique du prix du médicament pilotée par la Sécurité sociale ne devrait-elle pas être mise en cause ?

La souveraineté de long terme percute la défense immédiate du pouvoir d’achat du consommateur et la préservation des équilibres comptables de la Sécurité sociale.

Être souverain en matière médicale, c’est accepter de rémunérer la recherche dans la fixation du prix du médicament, et non être obsédé par les équilibres de court terme de la dépense sociale qui conduisent à rogner en permanence le prix du médicament.

La souveraineté actionnariale enfin offre une piètre protection même en matière de localisation sur le territoire national des activités d’une entreprise nationale.

Être souverain ce n’est pas avoir l’obsession de l’emploi local, mais promouvoir l’attractivité règlementaire sociale et fiscale du territoire national.

Des leçons pour la politique industrielle

Que conclure de ce débat sur la souveraineté mal engagé avec la question du Doliprane ?

Se soucier de la sécurité d’approvisionnement dans le domaine pharmaceutique est légitime. Les pouvoirs publics instruits par l’expérience du covid et par les rapports réguliers de l’Académie de pharmacie savent qu’on ne peut plus s’en remettre aux seuls mécanismes du marché. La stratégie qui se dessine depuis relève du trépied et vise à combiner action sur les stocks, sécurisation de la fourniture par des accords de nearshoring et dans certains cas à identifier la production locale.

Exiger des industriels des médicament et de l’ensemble de la chaine du médicament la disponibilité sur le sol national de trois mois d’approvisionnement par exemple est déjà un premier moyen de faire reculer les risques de pénurie.

Remettre en cause le duopole sino-indien en matière de production de principes actifs est un deuxième moyen. Cela passe par le développement de la production chez nos voisins d’Afrique du Nord, de Turquie ou d’Europe de l’est.

Produire en Europe enfin est la troisième option comme le gouvernement français vient de le décider en France pour l’usine de principes actifs du Paracetamol.

Assumer une ambition de maitrise des molécules d’avenir est également un souci légitime. De ce point de vue l’action du président Trump pour le vaccin contre le covid est exemplaire. Attirer la meilleure recherche sur le sol national, accélérer le transfert du laboratoire à l’usine, se donner les moyens d’un accès rapide et large de la population aux nouvelles molécules constitue le triptyque d’une stratégie efficace. Le président Trump et son conseiller scientifique ont mis douze milliards de dollars sur la table pour accélérer le transfert de la paillasse à la chaîne de production du nouveau vaccin. L’Europe et les États-Unis par la commande publique ont ensuite favorisé l’usage du nouveau vaccin. L’enjeu de souveraineté devient alors plus lisible. Il passe par l’articulation entre l’écosystème d’innovation (du labo à la start-up), l’écosystème financier du seed money pour la start-up au financement de l’entreprise) et le système de gouvernance (du président aux agences de santé).

On voit dès lors tout le chemin qui reste à parcourir en Europe pour mimer le système américain : absence de structure fédérale, querelles interétatiques sur le juste retour, absence d’un DARPA européen. Mais l’enjeu est là : l’Europe ose à présent parler de souveraineté et de politique industrielle, Draghi a pointé les faiblesses européennes et le fossé qui se creuse avec la Chine et les États-Unis. Le mot d’ordre pour l’Europe à présent est : Just do it